III. REVUE DE LA LITTERATURE
? Revue théorique :
La décentralisation est un concept multidimensionnel et
en tant que tel, elle recèle plusieurs aspects : l'aspect politique
(plus de pouvoir et de participation à la base), l'aspect
économique (promotion du développement économique), et
l'aspect socio-culturel (promotion du savoir et du savoir-faire local). Cette
qualité fait d'elle un concept dont l'analyse mono disciplinaire devient
assez difficile. Les théories de la décentralisation sont de deux
ordres (SIDDIQUEE, 1995) :
- Les théories libérales ou normatives et
- Les théories analytiques ou descriptives.
MUSGRAVE (1959) définit les trois fonctions de l'Etat
à savoir : l'allocation des ressources, la redistribution et la
stabilisation de l'activité économique. Les fonctions de
redistribution et de stabilisation de l'économie font état de
consensus dans la littérature économique : elles devraient
être assurées par le gouvernement central. Seule la fonction
d'allocation des ressources peut être exercée par les
gouvernements locaux, raison pour laquelle les divergences entre partisans de
la théorie libérale et ceux de la théorie analytique se
situent autour de cette fonction.
Déjà qu'un peu plus tôt, HAYEK (1948)
relevait déjà les effets positifs de la décentralisation
sur cette fonction d'allocation des ressources. La décentralisation, en
permettant de rapprocher les décideurs politiques des citoyens,
améliore la connaissance des besoins et des préférences
des populations. Une meilleure information dans l'élaboration des
politiques publiques est un facteur important d'efficacité dans
l'allocation des biens publics, ces derniers générant des
externalités positives pour l'économie. RONDINELLI (1989) appuie
un peu plus cette idée lorsqu'il affirme que : « sous la condition
d'un choix assez libre, la fourniture de
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développement économique
Mémoire de Master II : Décentralisation et
croissance économique : le cas de 6 pays d'Afrique
subsaharienne
certains biens publics est économiquement plus efficace
lorsqu'un grand nombre d'institutions locales sont engagées que lorsque
le gouvernement central, en est le fournisseur ».
TIEBOUT (1956) met également en avant l'importance de
la décentralisation parce que, dit-il, par la concurrence qu'elle
suscite entre les collectivités locales pour attirer les citoyens (et
donc, la base fiscale), les gouvernements locaux sont obligés
d'élaborer des politiques publiques plus efficaces et efficientes. Dans
un tel contexte, les services et biens publics sont de meilleure
qualité, ce qui permet encore à l'économie de
bénéficier des externalités positives que
génèrent la qualité des institutions et la qualité
des biens publics fournie. En plus de cela, STIGLER (1957) met en avant le fait
qu'un gouvernement représentatif est plus efficace lorsqu'il est plus
proche des gens car l'information nécessaire pour diriger est optimale
et la redevabilité des dirigeants locaux est effective. En effet, dans
l'exercice de leurs responsabilités en matière de services
publics, ils sont assujettis à un contrôle de la part de leurs
résidents dont ils sont tenus de rendre des comptes (EBEL et YILMAZ,
2001). C'est la raison pour laquelle OATES (1972) énonce le principe
d'après lequel chaque service public devrait être fourni par
l'institution exerçant un contrôle sur le territoire minimum et
ce, afin d'internaliser d'un côté les avantages et de l'autre, les
coûts d'une prestation de service publique. Cependant, les vertus de la
décentralisation sur l'économie nationale, à travers les
externalités positives qu'elle génère dans
l'économie, ne font pas l'unanimité dans la littérature.
Les partisans de la théorie analytique développent des
contre-arguments.
D'abord PRUD'HOMME(1995) remet en cause l'argument de la
meilleure adéquation de l'offre des biens publics aux
préférences des citoyens dans le contexte des pays en
développement. Les besoins des populations de ces pays étant
connus de tous : il s'agit de leur fournir des services et biens publics de
base. Il n'est point besoin de révéler ces
préférences à travers une organisation politico
administrative décentralisée. A part cela, l'hypothèse de
la mobilité des agents parfaitement informés et « votant
avec les pieds » (TIEBOUT, 1956), n'est pas applicable dans le contexte
des pays en développement (CALDEIRA, 2011). BARDHAN (2002)
considère que la mobilité des habitants dans ces pays est
limitée et qu'elle n'est pas toujours guidée par de telles
considérations.
De plus, BARDHAN et MOOKHERJEE (2006) en notant le faible
niveau de la démocratie locale dans le cadre des pays en
développement, n'y croient pas trop à la redevabilité des
dirigeants locaux qui obligerait ceux-ci, à élaborer des
politiques publiques efficaces et
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efficientes. Qui plus est, la décentralisation est
souvent considérée comme un facteur de corruption ne serait-ce
que par le simple fait que la multiplication des centres de décisions
politiques augmente les opportunités de corruption (PRUD'HOMME,
1995).
Tous ces arguments laisse perplexe quant aux effets positifs
de la décentralisation sur l'économie nationale. C'est
également le cas dans la littérature empirique.
? Revue empirique :
La littérature empirique révèle
également l'opposition entre partisans de la théorie
libérale et ceux de la théorie analytique.
Tout d'abord les travaux de WOLLER et PHILLIPS (1997)
concluent sur une relation négative et significative entre la croissance
économique et la décentralisation. Cette étude porte sur
un ensemble de 17 pays développés sur la période 1947-1991
: ils font une régression sur données de panel. Il en est de
même pour les travaux de DAVOODI et ZOU (1998). En analysant l'effet de
la décentralisation fiscale sur la croissance économique, ces
travaux concluent également sur une relation inverse dans le contexte
des pays développés et aucune corrélation dans le cas des
pays en développement. Il faut signaler que cette étude s'est
faite sur un panel de 46 pays et une estimation à l'aide des MCO. XIE et
al (1999) conclut sur une relation négative et significative entre la
croissance et la décentralisation financière aux Etats-Unis sur
la période de 1947-1991. Cependant, MALIK et al (2006) aboutissent quant
à eux à une série de résultats mitigés :
à partir des données en séries temporelles sur la
période 1972-2005 et en utilisant les MCO sur une régression
linéaire, les variables de la décentralisation
élaborées par ces auteurs, ont des paramètres
négatifs et significatifs pour certains et des paramètres
positifs pour d'autres.
LIN et LIU (2000) étudient la même question dans
le contexte chinois à l'aide d'une série temporelle de 23 ans
(1970-1993). Ils aboutissent sur une relation positive entre la
décentralisation financière et la croissance économique.
La décentralisation financière a donc, dans le contexte chinois,
un effet positif et significatif sur la croissance économique. THIESSEN
(2003), aboutit à ce même résultat dans le contexte des
pays de l'O.C.D.E. il le fait également à partir d'un panel sur
la période 1973-1998. La BAK Basel Economics1(2009)
1Institut de recherche suisse qui offre, depuis 1980,
des services pour effectuer des recherches empirique et quantitative sur des
sujets d'ordre économique. En 2009, cet institut effectue un travail
commandité par
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appui encore plus ce résultat à partir d'une
étude en données transversales dans le contexte de l'union
Européenne en année 2008. A partir des indices de
décentralisation politique, administrative et financière, et
à l'aide d'un modèle de régression linéaire,
l'estimation à partir des M.C.O donne des paramètres positifs et
significatifs pour toutes les variables de la décentralisation. La
décentralisation qu'elle soit politique, administrative et
financière a un impact positif sur la croissance économique.
Cependant, plusieurs critiques peuvent être faites
à ces travaux : il n'existe pas de consensus sur la forme du
modèle à utiliser, de la même manière qu'il n'existe
pas toujours de consensus sur les variables de la décentralisation
à mobiliser pour des analyses empiriques. Le cas spécifique de la
décentralisation financière qui est captée, très
souvent, par la part des recettes/dépenses locales sur les
recettes/dépenses nationales est très critiquée (XIE et
al, 1998 EBEL et YILMAZ, 2001) notamment parce qu'elle ne rend pas compte de
tous les aspects de la décentralisation financière.
L'élaboration d'indices (NDEGWA, 2002 ; BAK Basel Economics, 2009) a
permis de contourner cette insuffisance car ces indices tiennent compte des
aspects qualitatifs et quantitatifs des dimensions politique, administrative et
financière de la décentralisation.
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