CONCLUSION
Il s'agissait dans ce chapitre de passer en revue la
théorie de la décentralisation politique et administrative et son
impact sur la croissance économique. Nous avons pu constater que c'est
au travers des principes de proximité (HAYEK, 1948 et OATES, 1972) et de
subsidiarité (GREFFE, 2005 et OLSEN, 2007) que la
décentralisation influe respectivement, sur l'économie nationale
et sur l'économie locale. Les études empiriques sur la
décentralisation et croissance économique se sont beaucoup plus
concentrées sur l'aspect financier, car beaucoup plus facile à
capter (AKAI et SAKATA, 2002 ; FARIDI, 2011). Ce handicap a été
contourné par la construction des indices (NDEGWA, 2002 et BAK Basel
Economics, 2009). La littérature empirique autour du concept de
décentralisation politique et administrative demeure très faible
par rapport à celui de la décentralisation financière. Il
n'en demeure pas moins que la théorie est suffisamment claire sur le
fait qu'il faille décentraliser le pouvoir décisionnel politique.
S'inspirant de TIEBOUT (1956), EBEL et YILMAZ (2001) conclut sur le fait que
« plus le nombre d'unités politiques visé par la
décentralisation du pouvoir décisionnel est élevé
plus il est possible de maximiser les gains économiques. Cela s'explique
par le fait que s'il existe un grand nombre d'unités politiques, les
citoyens ont plus de chances de trouver une collectivité assurant le
niveau de services qui répond le mieux à leur
préférences ». Une évaluation de statistique
descriptive à partir d'indices peut constituer une approche pertinente
pour une évaluation empirique de cette théorie, de même
qu'une approche économétrique s'inspirant des travaux de la BAK
Basel Economics en 2009. C'est l'objet du chapitre suivant.
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Alembe Ayima mathieu, diplôme d'études
supérieures en sciences économiques Option : gouvernance et
développement économique
Mémoire de Master II : Décentralisation et
croissance économique : le cas de 6 pays d'Afrique
subsaharienne
CHAPITRE II : DECENTRALISATION POLITICO ADMINSTRATIVE
ET CROISSANCE ECONOMIQUE : LE CAS DE 6 PAYS D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE
INTRODUCTION
La vague des mouvements de décentralisation qui s'est
approprié la plupart des pays d'Afrique subsaharienne a
été surtout le résultat des pressions extérieures.
L'échec des politiques de développement « up » à
travers un Etat central fort va remettre en question ce mode de gestion
publique dans les années 80. Il faut cependant reconnaitre que la
décentralisation ne s'est pas mise en place au même moment et de
la même façon en Afrique Subsaharienne. SEBAHARA (2000) insistera
sur le fait que « les processus de décentralisation sont
très différent d'un pays à l'autre non seulement parce
qu'ils s'inscrivent dans des histoires différentes mais également
parce qu'ils édictent des dispositions formelles variées ».
Il n'existe donc pas de modèle de décentralisation qui pourrait
être appliqué partout, par simple transposition.
L'on peut relever trois phases dans la mise en place
progressive du processus de décentralisation en Afrique subsaharienne
(SYLL, 2005) : le Sénégal fait partie des pays précurseurs
puisqu'il a entamé son processus de décentralisation dans les
années 1972. La deuxième vague est celle des années 80 :
on y retrouve des pays comme la Guinée dont le processus de
décentralisation a été initié en 1986. La
troisième vague, plus générale est celle des années
90, caractérisée par le lancement des politiques de
décentralisation dans des pays comme le Cameroun, l'Afrique du
Sud...etc.
Ainsi, après la mauvaise expérience des
politiques de « libéralisation » imposée par les
bailleurs de fond, notamment les PAS et l'initiative PPTE, quelle certitude
disposent les pays d'Afrique subsaharienne quant au bien-fondé de cette
nouvelle orientation politico économique venue de l'extérieur ?
La décentralisation via le transfert de compétences
décisionnelles peut-elle être considérée comme un
facteur de croissance économique en Afrique subsaharienne ? Il
s'avère donc capital de pouvoir évaluer l'impact du transfert de
compétences décisionnelles sur la croissance économique en
Afrique subsaharienne. Il s'agira donc de mesurer ce concept pour pouvoir
élaborer un modèle de régression (section I) avant
d'analyser les résultats pour une possible proposition de politiques
économiques (section II).
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croissance économique : le cas de 6 pays d'Afrique
subsaharienne
SECTION I : TRANSFERT DE COMPETENCES DECISIONNELLES EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE : ETAT DES LIEUX, MESURE ET MODELE A TESTER
Le transfert de compétences décisionnelles
est-il un facteur de croissance économique ? Pour répondre
à cette question il faudra être en mesure de capter ce
phénomène afin de pouvoir l'insérer dans un modèle
de régression linéaire pour les estimations. A cet effet, nous
présenterons d'abord le cadre des décentralisations politiques et
administratives (I) avant de présenter la méthodologie de mesure
utilisée en 2002 pour évaluer ce concept et le modèle que
nous allons tester (II).
I. LE TRANSFERT DE COMPETENCES DECISIONNELLES EN
AFRIQUE SUBSAHAHRIENNE
Il faut également relever que le transfert de
compétences décisionnelles ne s'est pas fait de manière
commune à tous les pays. Elle dépend largement de la
volonté politique de chaque Etat, des gouvernements successifs et de
leurs stratégies respectives, du contexte politique de chaque pays et du
degré de résistance à la pression des bailleurs (COQUART
et BOURJIJ, 2010). Mais bien que ce processus soit spécifique à
chaque pays, certains aspects communs s'y dégagent notamment en Afrique
subsaharienne selon que l'on soit un pays Francophone ou Anglophone. Nous
analyserons ainsi le cas de la décentralisation politique (1) avant
d'aborder l'aspect administratif de cette politique (2).
1. La décentralisation politique en Afrique
Subsaharienne
La décentralisation politique a pour objectif une vaste
participation populaire au processus de prise de décision. Les
autorités locales élues sont davantage indiquées pour la
prise en compte des intérêts des populations et ce, de par leur
proximité institutionnelle, ils sont amenés à proposer de
meilleures prestations de services ; ce que le gouvernement central ne pourrait
faire d'une manière efficace.
Au lendemain des indépendances, la grande
majorité des pays d'Afrique subsaharienne ont hérités des
systèmes politiques fortement centralisés et souvent
gérés par des régimes autoritaires. L'organisation
politique dépend toutefois du type de colonisation qu'a connu chaque
pays. On en distingue deux modèles :
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supérieures en sciences économiques Option : gouvernance et
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Mémoire de Master II : Décentralisation et
croissance économique : le cas de 6 pays d'Afrique
subsaharienne
Les pays d'Afrique Francophone
(Sénégal, Cameroun, Guinée, RDC ...etc) ont
adopté une décentralisation politique largement sous le
contrôle du pouvoir central (COQUART et BOURJIJ, 2010). Cette
volonté a été davantage mise en avant par les processus de
déconcentration qui pérennisent l'influence de l'Etat central
à travers des agents nommés qui le
représentent et qui devront lui rendre des comptes. Les
collectivités locales vont s'affirmer dans ces pays un peu plus tard,
notamment sous la pression des bailleurs de fond qui vont pousser les pays
francophones d'Afrique subsaharienne, notamment du centre, à
transférer également des compétences aux autorités
élues. Le cas spécifique des pays francophones
d'Afrique de l'Ouest, qui sont très avancés en termes de
décentralisation politique est lié au simple fait que ces pays
ont connu dans la période d'après indépendance des guerres
intestines qui ont poussé rapidement les autorités à
très vite comprendre la nécessité d'un partage de pouvoir
et de responsabilités (MOUSSA et IBOULDO, 2012).
Le processus de décentralisation politique demeure
relativement jeune dans les pays de notre échantillon. Par exemple, le
Sénégal bien qu'ayant été le premier pays d'Afrique
francophone à connaitre la communalisation, le nombre de communes vient
d'augmenter de 41 (Décret 2008-748 du 18 juillet 2008). Preuve d'une
décentralisation politique en construction. Le Constat en encore plus
amer en RDC où l'on fait face depuis plusieurs décennies au
report des élections municipales : d'abord en 1965, ensuite en 1989 et
plus récemment celles de 2007.La transparence et l'alternance qui
assurent une fourniture efficace de biens publics ne sont pas assurées.
Pour ce qui est du Cameroun, les élections municipales gagnent en
régularité malgré la double prorogation du mandat des
maires en 2012, la transparence n'y est pas encore. En ce qui concerne la
Guinée, son processus est encore très jeune même si l'on a
pu noter une certaine transparence depuis les élections municipales de
2002. (Confère annexe 1, tableau 2 pour la guinée).
Les pays Anglophones d'Afrique subsaharienne
engagé dans ce processus sont caractéristiques de la politique de
l' « Indirect Rule1 » appliquée par le colon
Anglais. La décentralisation dans des pays comme l'Afrique du Sud,
l'Ouganda ... a davantage tenu compte des structures politiques traditionnelles
existantes ; ce qui a rendu moins important le poids des autorités
centrales étatiques. C'est la raison pour laquelle malgré la
jeunesse des
1La politique de l'indirect rule, mise en place par
le colonisateur anglais, reconnaissait le pouvoir traditionnel local. Ce
dernier constituait ainsi l'interface à travers lequel, les colonies
étaient gérées d'où le qualificatif de gestion
indirecte.
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Mémoire de Master II : Décentralisation et
croissance économique : le cas de 6 pays d'Afrique
subsaharienne
élections municipales en Afrique du Sud
(premières élections municipales en 1995 et 1998 en Ouganda),
l'on peut noter une telle régularité et une telle
transparence.
Cette principale différence entre la partie Anglophone
et la partie Francophone d'Afrique Subsaharienne semble être le fait
majeur responsable de l'avance prise par ces pays dans ce processus car
l'organisation coloniale était prédisposée à la
décentralisation, ce qui n'est pas le cas des pays d'Afrique
francophone.
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