CONCLUSION GENERALE
Compte tenu de la place centrale du Président de la
République dans le constitutionnalisme africain, les conditions
d'éligibilité à la fonction, font l'objet de nombreux
enjeux. On a vu que dans un premier temps, au sortir des régimes de
Parti unique, la volonté des mouvements populaires rassemblés
dans les Conférences nationales, était de repenser
l'équilibre des pouvoirs au sein de l'État, ainsi que d'y
redéfinir notamment la place du Président de la
République. Un Président de la République se devant alors
d'être non seulement un bon représentant de la volonté du
peuple, mais également un bon gestionnaire des affaires publiques. Les
efforts mis en place pour faire émerger une nouvelle
génération de dirigeants à la tête des États
africains, à travers l'édiction de nouvelles conditions
d'éligibilité, se heurtent à des difficultés de
poids. On a pu en effet, relever des difficultés liées à
la pratique même des garants des institutions constitutionnelles, face
aux conditions d'éligibilité. Ainsi il existe une pratique de
l'instrumentalisation constitutionnelle et une incapacité manifeste des
juges à garantir l'application et le respect de la norme suprême.
Enfin, c'est avec tristesse que l'on découvre que, les
éléments internes et externes susceptibles de constituer des
obstacles aux pratiques antidémocratiques des dirigeants
s'avèrent manifestement insuffisants.
Où rechercher dès lors la cause d'un tel
échec démocratique ? Cet état de fait conduit
nécessairement à s'interroger sur la pertinence du système
institutionnel appliqué en Afrique. En effet, ce dernier semble
générer des obstacles à la réalisation du but
assigné aux conditions d'éligibilité. On observe tout
d'abord, une tendance des systèmes africains à favoriser la
concentration du pouvoir dans les mains du Président de la
République. Puis dans un second temps, on constate une
inadéquation du modèle démocratique choisi par le
constituant originel, avec les réalités socioculturelles
africaines. En effet, comme il a déjà été dit, on
sait que le modèle démocratique occidental appliqué dans
les États africains, est fortement éloigné des modes de
pensées traditionnels africains. Ces derniers ne connaissent pas, par
exemple, la logique individualiste qui domine largement le modèle
démocratique occidental. De plus, les conditions
d'éligibilités élaborées sur la base de ce
modèle ont pour conséquence, de ne pas favoriser une
adéquation entre les caractéristiques choisies pour pouvoir
occuper le
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poste de Président de la République et les
aspirations des sociétés africaines elles même. Il
semblerait que ce que veulent les élites dirigeantes ne corresponde pas
à ce que veut le peuple.
Ce sont au contraire les liens étroits entre un
dirigeant et la société qu'il dirige qui permettront de garantir
une bonne gestion des affaires publiques. Une telle proximité passe par
la connaissance pour le dirigeant, des évènements historiques et
des modes de pensée philosophiques, moraux et spirituels qui
caractérisent l'Afrique d'aujourd'hui. Ces divers éléments
constitutifs de la façon de penser africaine, trouve leur source d'une
part dans l'Afrique précoloniale, et sont également issus
d'influences extérieures diverses. Ces influences extérieures
sont essentiellement occidentales, du fait de la colonisation et de la
mondialisation de la pensée occidentale. Cependant, si la pensée
occidentale est bien véhiculée en Afrique à travers des
institutions africaines découlant de son modèle, la pensée
et les systèmes politiques de l'Afrique précoloniale sont peu
étudiés. Néanmoins ces derniers structurent largement
encore la vie des sociétés africaines et constituent un socle de
références commun aux États du continent, qui
permettraient de remettre en adéquation le fait juridique légal
avec la réalité normative africaine. Ainsi les choix politiques
des classes dirigeantes pourront-ils se mettre plus en conformité avec
les réalités socioculturelles du continent.
En tant que points de référence
fondamentaux159, les régimes politiques démocratiques
de l'Afrique précoloniale, nous fournissent de bels exemples de
régime dans lesquels peu de place était laissée à
la possibilité d'abus de pouvoir. Ainsi sur les classes dirigeantes
à l'époque précoloniale Mbog Bassong nous apprend qu'
« en générale, la royauté africaine et la
chefferie sont considérées comme sacrées. Malgré ce
fait majeur, ce droit considéré comme divin en vue de la
régulation harmonieuse de la société ne met pas le chef ou
le roi au dessus de la loi. L'autorité est limitée ici par la
constitution, et sa désignation n'est pas automatique. Très peu
de cas nous montrent un chef tyrannique. Il existe en général un
conseil ou collège de mandataires qui veille au respect des normes
régissant le gouvernement et auxquelles il est bien entendu
assujetti.
159 Fondamentaux d'une part, car à l'origine des
institutions politiques traditionnelles africaines, et d'autre part au regard
du fort intérêt scientifique que doivent susciter ces
régimes hautement démocratiques.
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Ce conseil est aussi habilité à
désigner le chef selon des critères bien
définis»160. La rigueur avec laquelle
l'équilibre entre pouvoir et responsabilité est respectée
est la clé du succès de ces systèmes passés. En
Afrique précoloniale, il n'est pas de pouvoir sans responsabilité
et le premier principe découle du second. C'est donc en
réalité un déséquilibre entre ces deux notions qui
a été institué dans les États africains
contemporains161. Il faut donc souhaiter à l'avenir un
meilleur respect d'un tel équilibre, dans l'intérêt non
seulement de la progression démocratique africaine, mais
également de la progression démocratique mondiale.
160 BASSONG Mbog, Les fondements de l'État de droit en
Afrique précoloniale, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 83. Les
critères de désignations des chefs ici évoqués
reposent essentiellement sur l'ancienneté, à la fois de la
personne qui a vocation à gouverner, et à la fois à celle
de sa génération.
161 Il existe de nombreuses prérogatives
attachées à la fonction présidentielle dans le
constitutionnalisme africain actuel, alors même que le régime de
responsabilité est quasi-inexistant.
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