Chapitre I : Le caractère mitigé de la
conciliation
Du fait de l'imprévisibilité des membres
permanents qui ne sont tenus à aucune modalité d'exercice de leur
droit de veto, la prise de décision au Conseil de sécurité
est d'un très grand aléa. Derrière chaque décision
du Conseil se cache une forêt de tractations très complexes et
dans lesquelles les intérêts stratégiques des uns et des
autres occupent une place de choix. Cela explique la fréquence de
l'usage du veto par un ou plusieurs membres permanents quand bien même il
s'agit de questions humanitaires. Nous allons ainsi étudier tour
à tour le caractère aléatoire de la prise de
décision au Conseil de sécurité (Section 1)
et la sélectivité des interventions (Section
2).
Section 1 : Le caractère aléatoire de la
prise de décision au Conseil de sécurité
Deux facteurs nous semblent donner un caractère
aléatoire à toute prise de décision au Conseil de
sécurité. Le premier tient à ce qu'il conviendrait
d'appeler « la souveraineté » du droit de veto
(Paragraphe 1) et le second au jeu des alliances protectrices
(Paragraphe 2) qui se constituent aux Nations Unies.
Paragraphe 1 : La « souveraineté » du
droit de veto
L'exercice du droit de veto ne fait pas l'objet d'une
règlementation préétablie et définitive. La Charte
des Nations Unies s'est bornée à reconnaitre ce droit aux membres
permanents sans en déterminer les modalités d'usage. Ce quasi
vide juridique autour du droit de veto fait que ses détenteurs
l'utilisent à leur guise quitte, bien souvent, à en abuser.
Qu'importe, aucune autorité n'a compétence à restreindre
son usage. Le droit de veto revêt alors une certaine
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
« souveraineté » absolue. Encore est-il que
même la souveraineté nationale a perdu de son absolutisme d'antan.
Dans tous les cas, deux aspects permettent de parler d'une souveraineté
du droit de veto. Ce sont, d'une part, l'absence d'obligation de justifier la
décision de recourir au veto et, d'autre part, l'absence de plafonnement
de son usage.
Si l'on s'attache au premier, on peut constater que la Charte
des Nations Unies ne fait aucune obligation aux membres permanents de justifier
le recours à leur droit de veto. Ainsi, il est loisible à tout
membre permanent du Conseil de sécurité, s'il n'est pas d'accord
avec un projet de résolution, de recourir à son veto pour le
bloquer sans avoir à justifier son opposition. Depuis la création
de l'ONU en 1945, l'usage du veto est la chose la mieux partagée au
Conseil de sécurité. Serge SUR faisait fort justement remarquer
que « le veto a été utilisé de façon
extensive, et par tous les membres permanents même si c'est de
façon inégale, l'URSS restant le champion toutes
catégories »66. Aujourd'hui encore, en dépit
de la fin la guerre froide et malgré la redistribution des cartes de la
géopolitique mondiale, du remplacement de l'URSS par la Russie au
Conseil de sécurité, le veto continue d'être utilisé
de manière abusivement souveraine. D'ailleurs, cet usage «
déraisonnable »67 du veto a poussé le
ministre des affaires étrangères d'Allemagne, lors de la
54e session de l'Assemblée générale des Nations
Unies, à proposer l'introduction d'une règle exigeant que tout
Etat utilisant son droit de veto en explique clairement les
raisons68. On peut penser que même l'adoption d'une telle
règle n'aurait pas empêché les Etats de continuer à
recourir à leur droit de veto parce qu'à l'évidence les
Etats trouveraient des arguments fallacieux pour se justifier. Cependant, cela
aurait au moins eu le mérite d'encadrer un tant soit peu l'usage du
droit de veto.
Pour ce qui est du deuxième aspect, il faut dire que
l'usage du droit de veto ne fait l'objet d'aucune sorte de limitation.
Là aussi, le silence de la Charte des Nations Unies est pour le moins
assourdissant. Au fond, l'impression qui se dégage est, qu'au moment de
sa rédaction, les auteurs de la Charte n'avaient pas pris la pleine
mesure du droit de veto et les conséquences de
l'éventualité de son usage abusif. Ainsi, aucun plafonnement n'a
été indiqué par la Charte et la pratique du Conseil n'en a
pas déterminé non plus. Les membres permanents recourent alors
à
66 - SUR, (S.), Op. Cit.
67 - Le veto français contre une intervention
armée en Iraq a été qualifié de «
déraisonnable » par le Premier ministre britannique
d'alors.
68 - Voir VALTICOS, (N.), op. cit.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
leur droit de veto autant de fois que d'envie. Cela, soit pour
protéger des intérêts stratégiques soit pour
s'opposer à l'adoption de résolutions contre d'autres Etats avec
qui ils ont des alliances protectrices officieuses.
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