Chapitre II : L'antinomie de leur finalité
Autant la dynamique du droit de veto est difficilement
conciliable avec celle de la responsabilité de protéger autant
leur finalité reste tout aussi contradictoire. Si le droit de veto
42 - Ibid. p. 2
43 - Voir le Rapport CIISE précité.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
n'est accordé qu'aux membres permanents du Conseil de
sécurité, la responsabilité de protéger se veut
universelle et profite à toute la Communauté Internationale.
C'est ainsi que le droit de veto apparaît comme un privilège
exclusif des membres permanents du Conseil de sécurité
(Section 1) tandis que la responsabilité de
protéger se présente telle une garante de la
sécurité humaine (Section 2) qu'elle contribue
à rendre plus effective.
Section 1 : Le droit de veto, un privilège exclusif
des membres permanents
La Charte des Nations Unies cite nommément les cinq
membres permanents du Conseil de sécurité 44 à
qui elle accorde le droit de veto (art. 27 § 3). Cette « arme
défensive absolue »45favorise le maintien de leur
hégémonie au sein de l'ONU (Paragraphe 1) tout
en leur permettant de préserver leurs intérêts
stratégiques (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le maintien de l'hégémonie
des membres permanents
L'hégémonie de fait de quelques Etats
(principalement les Puissances Alliées pendant la seconde guerre
mondiale) a été institutionnalisée par la Charte des
Nations Unies en 1945. En effet, ses rédacteurs n'ont pas
hésité à cristalliser les noms des vainqueurs de la guerre
dans la Charte (art. 23 § 1 précité). C'est ainsi que ces
puissances vont se retrouver dans l'organe exécutif de l'organisation
mondiale qu'est le Conseil sécurité, chargé d'assurer une
« responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales » (art. 24 § 1 de la
CNU). Cette fonction va incomber principalement aux membres permanents qui
bénéficient du privilège du droit de veto.
Le veto consacre la suprématie des membres permanents
qui planent sur l'institution onusienne en ce sens qu'il est « une
prérogative exorbitante reconnue aux seuls membres permanents, qui fait
du Conseil leur otage tout en les plaçant au-dessus de la charte
»46. Ainsi, les membres permanents contrôlerait
l'Organisation des Nations Unies de bout en bout et orienterait son action
à leur guise. Une telle opinion est partagée par Serge SUR qui,
en faisant
44 - L'art. 23 § 1 de la CNU dispose : « Le Conseil
de sécurité se compose de quinze Membres de l'Organisation. La
République de Chine, la France, l'Union des Républiques
socialistes soviétiques, le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande
du Nord, et les Etats-Unis d'Amérique sont membres permanents du Conseil
de sécurité. Dix autres Membres de l'Organisation sont
élus, à titre de membres non permanents du Conseil de
sécurité, par l'Assemblée générale (...)
». La Russie a été substituée à la
défunte URSS.
45 - VALTICOS, (N.), op. cit.
46 - SUR, (S.), Op.cit.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
allusion aux membres permanents, pense qu'il faut «
autant dire que, d'une part, ils sont au dessus de la Charte - on ne peut pas
non plus les exclure sans leur consentement - et que, d'autre part, la Charte
ne saurait fonctionner sans leur accord »47. Il existe
dès lors, très clairement, une prépondérance des
membres permanents dans le dispositif onusien qui est d'ailleurs prise en
compte dans la répartition des charges financières
réparties entre les membres de l'ONU.
L'article 17.2 de la Charte des Nations Unies dispose que
« les dépenses de l'Organisation sont supportées par les
Membres selon la répartition fixée par l'Assemblée
générale ». Cette répartition donne une part
plus grande aux cinq membres permanents et conforte ainsi, au niveau financier,
leur prééminence sur les autres membres. C'est ainsi que les
États-Unis, première puissance mondiale, sont les principaux
contributeurs de l'ONU aussi bien pour le budget général de
l'Organisation que pour celui des opérations de maintien de la
paix48. Cette clé de répartition des charges
financières de l'ONU garantit à l'organisation mondiale un
minimum de disponibilité de ressources financières. Cependant,
elle accroit aussi la dépendance de l'institution à
l'égard de ces Etats et favoriserait aussi leurs écarts de
comportement par rapport à Charte.
Ainsi, nous pouvons légitiment penser que l'invasion
américaine de l'Iraq en 2003, sans autorisation du Conseil de
sécurité, n'est pas sans relation avec cette place de choix
qu'occupent les États-Unis au sein de l'ONU. Cela d'autant plus
qu'aucune sanction n'a été prononcée contre ce pays pour
avoir agi en dehors de la Charte des Nations Unies. D'ailleurs, il ne pouvait
pas en être autrement si l'on sait qu'il « était certes
établi, implicitement, dans la Charte que l'ONU ne pourrait rien
entreprendre contre les grandes puissances dotées du droit de veto et
engagées dans un conflit qui constituerait une rupture de la paix
»49. Dès lors, le droit de veto consacre une
véritable hégémonie des membres permanents du Conseil de
sécurité qui sont quasiment intouchables. Ces puissances ne
manquent pas, par moment, d'user voire d'abuser du privilège de leur
veto pour la satisfaction de leurs intérêts propres au
détriment de ceux de la Communauté Internationale.
47- Ibid.
48 - NOVOSSELOFF, (A.), « Les États-Unis et les
Nations Unies », Centre Thucydide - Analyse et recherche en relations
internationales, « s.d. »
49 - QUOC DINH, (N.) et al. .Droit international public,
Paris, LGDJ, 8e édition, 2009, p.1097.
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Le droit de veto et la responsabilité de
protéger des Nations Unies Paragraphe 2 : La préservation
des intérêts des membres permanents
Dans la conduite des relations internationales, les Etats sont
fondamentalement guidés par la poursuite de leurs intérêts
vitaux ou stratégiques. Par le passé, cette logique
débouchait bien souvent sur des guerres sanglantes et
dévastatrices. L'avènement de l'Organisation des Nations Unies a
certes atténué le phénomène, mais il ne l'a pas,
pour autant, fait complètement disparaitre. Que ce soit au sein de
l'Organisation mondiale ou en dehors de celle-ci, l'action des Etats reste
tournée vers la satisfaction de leurs intérêts propres.
Pour Raymond ARON, « (...) ni les blocs ni les non-engagés, ni
les Grands ni les Petits ne se conduisent, aux Nations Unies, autrement
qu'ailleurs. Chaque acteur y exprime des idées ou des passions et
tâche d'y défendre ses intérêts »50.
Ce sont donc principalement les intérêts nationaux des Etats
qui motivent la conception et la conduite de leurs politiques internationales.
Or, le moins que l'on puisse constater en ce domaine est qu'il y a une
« absence de congruence entre les intérêts nationaux et
l'intérêt collectif »51.
Dans le cadre onusien, le droit de veto reste le principal
moyen mis à la disposition des membres permanents en vue de la
protection de leurs intérêts stratégiques dans un monde
devenu multipolaire. Compte tenu des modalités d'adoption des
résolutions au Conseil de sécurité, le veto «
empêche qu'une décision ne soit prise contre les
intérêts d'une grande puissance qui de toute façon n'en
tiendrait pas compte »52. Il leur permet alors de garder
la main haute sur le jeu international.
Cette vocation défensive des intérêts des
membres permanents conférée au veto est aujourd'hui largement
admise. A la limite, elle ne souffre d'aucune contestation. Le Rapport du
Groupe de personnalités de haut niveau de décembre 2004 l'a
implicitement confirmé en recommandant vivement que le droit de veto
« (...) ne soit utilisé que lorsque des intérêts
vitaux sont véritablement en jeu » 53 . Toutefois, nous
pouvons nourrir de sérieux doutes quant à l'efficacité de
cette recommandation au moins pour deux raisons.
50 - ARON, (R.), Paix et Guerre entre les nations,
Paris, Calmann-Lévy, 1984, pp. 549-550.
51 - GUEYE, (B.), « Réformer l'ONU », Revue EDJA
n° 59, 2003, p. 85
52 - CHARPENTIER (J.), Institutions internationales,
op.cit. p.56
53- Paragraphe 256 du Rapport du Groupe de personnalités
de haut niveau, op.cit.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
D'une part, au niveau international il n'existe aucun
organisme susceptible d'apprécier le caractère vital ou pas des
intérêts nationaux que protégerait un Etat en
exerçant son droit de veto.
D'autre part, le recours fréquent au droit de veto,
quand bien même une urgence humanitaire se présente, s'accommode
mal d'une conformité avec l'esprit de cette recommandation. Autant dire
qu'en cette matière les Etats sont à la fois juges et partis.
Cette recommandation ne revêt aucun caractère contraignant pour
les Etats qui s'en passent avec cynisme du moment que cela risque de ramer
à contrecourant de leurs intérêts.
Si l'on jette un coup d'oeil à la pratique
récente du Conseil de sécurité, on se rend compte que le
recours au droit de veto est plus que fréquent (Cf. Annexe
2). En outre, l'ensemble des membres permanents y ont tous recours
même si la Russie et la Chine l'utilisent le plus souvent. A cet
égard, deux exemples peuvent illustrer à suffisance ces
propos.
D'une part, les États-Unis opposent
systématiquement leur veto contre tout projet de résolution
condamnant l'Etat d'Israël. C'est ainsi qu'ils ont empêché
l'adoption d'un projet de résolution présenté par le Qatar
en juillet 2006 « condamnant les opérations militaires
menées par Israël, puissance occupante, dans la bande de Gaza, en
particulier l'attaque qui a eu lieu à Beit Hanoun le 8 novembre 2006,
opérations qui ont fait des morts parmi la population civile et
causé la destruction massive d'infrastructures essentielles et de biens
palestiniens »54. Plus récemment, en 2011, une
résolution soutenue par pas moins de quatre vingt Etats «
condamnant la poursuite des activités d'implantation de colonies par
Israël, Puissance occupante, dans le territoire palestinien occupé
»55 a été aussi bloquée par les
États-Unis qui ont voté contre.
D'autre part, l'actualité montre le couple sino-russe
annihile toute chance d'adoption d'une résolution autorisant une
intervention, au nom de la responsabilité de protéger, en Syrie.
Les projets de résolution allant dans ce sens butent sur leur droit de
veto en dépit des « (...) violations flagrantes et
généralisées des droits de l'homme et des libertés
fondamentales que les autorités syriennes continuent de commettre, comme
le recours à la force contre les civils
54- Document S/2006/878 du 12 juillet 2006.
55- Document S/2011/24 du 18 février 2001.
56 - Document S/2012/77 du 4 février 2012, Nations
Unies.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
Dès lors, nous voyons que les jeux d'alliance au
Conseil de sécurité altèrent le concept de la
sécurité collective. L'inaction face à des
atrocités massives allonge le lot de victimes humaines. Les grandes
puissances laissent faire au nom de leurs intérêts à courte
vue, qu'ils soient politiques, économiques ou stratégiques.
Pendant ce temps, la sécurité humaine reste
reléguée au second plan. Pourtant, on peut considérer
qu'elle est une partie intégrante de la responsabilité de
protéger qui contribue à sa garantie.
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