Le droit de veto et la responsabilité de
protéger des Nations Unies Section 2 : La responsabilité de
protéger, un gage d'humanisme international
La responsabilité de protéger a pour
finalité la protection de l'individu contre toute sorte d'atteinte. Sa
consécration participe d'un souci d'humanisation des relations
internationales (Paragraphe 1). Pour se faire, elle postule le
pragmatisme (Paragraphe 2) dans sa mise en oeuvre.
Paragraphe 1 : L'humanisation des relations
internationales
La proclamation d'une responsabilité de protéger
assumée par la Communauté Internationale répond surtout
à un souci d'humanisation des relations internationales. Elle se traduit
par une valorisation croissante de la place de la personne humaine dans la vie
des nations.
Pour certains auteurs le concept de responsabilité de
protéger n'est peut être pas aussi innovent que l'on a bien voulu
le croire. Parmi eux, on peut citer CHAZOURNES et CONDORELLI qui estiment qu'il
n'est qu'une « nouvelle parure pour une notion déjà bien
établie ». En effet, pour eux « la
dénomination change, mais les principes évoqués par la
`'responsabilité de protéger» restent en substance ceux
auxquels on se referait auparavant en utilisant les termes «droit
d'ingérence» ou «obligation de respecter et de faire
respecter» »35. Dans le même sillage, d'autres
auteurs se demandent si ce n'est qu'un « un nouveau concept pour de
vieilles pratiques ? »36.
Ces analyses teintées de prudence sont
compréhensibles. Cependant, la responsabilité de protéger
constitue sinon un aboutissement, du moins une étape
supplémentaire importante franchie dans la longue quête
d'humanisation de la vie entre les Etats. Concevoir la notion comme une issue
serait sans doute trop risqué si l'on songe à la capacité
du droit international à se réinventer continuellement. Il serait
plus exact de parler d'une d'évolution, ce qui aurait le mérite
de mettre plus en avant le caractère innovant de la
responsabilité de protéger.
Les efforts pour donner un visage plus humain aux relations
entre les Etats sont séculaires et persévérants. Un bref
aperçu historique montre que la mise de la guerre hors-la-loi par le
Pacte
35- DE CHAZOURNES, (L. B.) et CONDORELLI, (L.), op.cit.
36- LEMAIRE (J.), « La responsabilité de
protéger : un nouveau concept pour de vieilles pratiques ? », Note
d'Analyse du GRIP, 31 janvier 2012, Bruxelles.
Disponible sur
http://www.grip.org/fr/siteweb/images/NOTES_ANALYSE/2012/NA_2012-01-31_FR_J- LEMAIRE.pdf
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
de Briand-Kellog, l'interdiction du recours à la force
dans les relations internationales par le Pacte de la SDN puis par la Charte
des Nations Unies (art. § 4) en 1945 montrent que le droit international
n'a cessé de se préoccuper du sort de l'Humanité. Ces
inquiétudes vont trouver un écho favorablement croissant dans des
notions telles que le « droit d'ingérence humanitaire
», le« devoir d'ingérence », «
d'intervention humanitaire », forgées pour donner une
dimension pratique à la protection des êtres humains contre toute
forme d'exaction.
Ainsi, la responsabilité de protéger est venue
rendre plus concrète cette volonté longuement affichée.
Cela d'autant plus que « la cause du respect des droits de l'Homme est
l'affaire de tous et la grande famille des Nations Unies n'est pas à cet
égard divisible. Elles ont toute l'humanité en partage et il
serait dommage que les buts pacifiques et humanitaires inscrits en tête
de la charte soit compromise par l'absence de consensus » 37 . Face
aux enjeux humanitaires et sécuritaires qu'elle présente, la
responsabilité de protéger est ainsi logiquement endossée
par les gouvernants du monde entier. Ces derniers se sont dits «
prêts à mener en temps voulu une action collective résolue,
par l'entremise du Conseil de sécurité, (...) lorsque ces moyens
pacifiques se révèlent inadéquats et que les
autorités nationales n'assurent manifestement pas la protection de leurs
populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage
ethnique et les crimes contre l'humanité »38. Cet
engagement pris par la Communauté Internationale lors du Sommet mondial
de 2005 a été surtout matérialisé par
l'intervention en Libye autorisée par la résolution 1973 (2011)
du Conseil de sécurité.
Vraisemblablement, la responsabilité de protéger
a pour objectif l'humanisation des relations internationales. Cela d'autant
plus qu' « aujourd'hui, l'humanité atteindrait une
maturité suffisante pour ne plus tolérer certaines situations
sans réagir. De plus des risques mettant en danger la survie même
de l'humanité réclameraient des réponses communes à
tous les hommes »39. Il est vrai en effet que
mondialisation effrénée s'accompagne d'une globalisation des
risques de nature terroriste ou militaire. Pour relever ces nouveaux
défis, la sécurité collective doit être plus prompte
à se déployer. Cette philosophie de l'action inhérente
à la notion de responsabilité de protéger lui
confère son caractère pragmatique.
37- WECKEL (Ph.), « L'emploi de la force contre la
Yougoslavie ou la charte fissurée », RGDIP 2000-1, pp. 19-36
38- Document final du Sommet mondial de 2005, op.cit.
39- DEFARGES, (Ph. M.), L'ordre mondial, Paris, Armand
Colin, 2e édition, p. 165
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies Paragraphe 2 : Le caractère pragmatique de la
responsabilité de protéger
La responsabilité de protéger trouve son origine
et son développement dans le caractère intenable de l'impuissance
prolongée de la Communauté Internationale face à des
situations de violations flagrantes et massives des droits humains les plus
fondamentaux. Face à l'atrocité de certains conflits internes
dans lesquels les principes de la souveraineté et de la
non-ingérence excluaient toute possibilité d'intervention, des
réflexions pour pallier ce genre de situation ont été
enclenchées. Elles devaient être aussi pratiques que possibles en
répondant aux préoccupations formulées par le
Secrétaire Général de l'ONU en ces termes : «...
si l'intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible
à la souveraineté, comment devons-nous réagir face
à des situations comme celles dont nous avons été
témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations
flagrantes, massives et systématiques des droits de l'homme, qui vont
à l'encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre
condition d'êtres humains? »40. Elles ont abouti
à la formulation de la responsabilité de protéger
qualifiée d'« outil de mobilisation incontestable pour une
action rapide lorsque le pire se produit »41 par l'Union
interparlementaire.
Face à des violations massives des droits de l'Homme,
l'inaction de la Communauté Internationale ne peut qu'aggraver la
situation. Srebrenica et Rwanda en sont des exemples patents. Il est donc
nécessaire que la réaction internationale soit rapide dans de
pareils cas. La responsabilité de protéger se propose justement
d'être cet instrument d'action rapide.
Ainsi, c'est une véritable philosophie de l'action qui
nourrit les racines profondes de la responsabilité de protéger.
Cette dernière traduit l'état d'esprit de la Communauté
Internationale qui n'entend plus laisser perpétrer des massacres sans
réagir. Cela d'autant plus que, de quelque nature qu'elles soient et
où qu'elles se produisent, les violations massives des droits de l'Homme
constituent des menaces à la paix et à la sécurité
internationales à tous les Etats du monde. Il devient alors
impératif de réagir pour arrêter de telles exactions. En
2005, le Secrétaire général de l'ONU, Koffi ANNAN,
soulignait cela dans son rapport intitulé « Dans une
liberté plus
40- CIISE, Op.cit., pp. VII-VIII
41 - Projet de rapport sur la « responsabilité de
protéger : le rôle du Parlement dans la protection des Civils
» présenté par M. L. RAMATLAKANE (Afrique du Sud),
Co-Rapporteur, à la 127e Assemblée de l'Union
interparlementaire et réunions connexes, Québec, Canada, 21-26
octobre 2012. Document A/127/4a)-R.1 disponible sur le site
www.ipu2012uip.ca
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
grande » en estimant que lorsque la
Communauté Internationale est confrontée à un
génocide ou à des violations des droits de l'Homme à
grande échelle, il est inacceptable que les Nations Unies demeurent
passives et laissent les événements aller à leur terme.
Dans la même lancée, la CIISE met bien en
évidence le pragmatisme inhérent à la
responsabilité de protéger en rappelant la mission qui lui a
été confiée. En effet, on peut lire dans son rapport le
passage suivant : « En tant qu'organe indépendant, nous avions
de manière générale pour mandat de favoriser une meilleure
compréhension de la difficulté de concilier l'intervention
à des fins de protection humaine et la souveraineté; nous devions
plus précisément oeuvrer à l'émergence d'un
consensus politique mondial sur la manière de passer de la
polémique - souvent synonyme de paralysie - à l'action dans le
cadre du système international, en particulier par l'entremise des
Nations Unies »42. Cela démontre à
suffisance la volonté de la Communauté Internationale de se doter
d'un mécanisme pratique qui puisse contourner les obstacles de la
souveraineté et du principe de non intervention. Pour se faire, il faut,
par-dessus tout, une prompte capacité des membres permanents du Conseil
de sécurité à s'entendre autour de l'essentiel. Or,
l'essentiel, dans le cadre de la responsabilité de protéger, se
résume à la sauvegarde des droits humains fondamentaux dont le
droit à la vie et à l'intégrité physique.
Un autre facteur attestant du pragmatisme de la
responsabilité de protéger réside dans sa division en
trois composantes que sont la « responsabilité de
prévenir », la « responsabilité de
réagir » et la « responsabilité de
reconstruire »43. En effet, cette identification de
différents niveaux de mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger est de nature à permettre une meilleure
adéquation de l'action à entreprendre avec la
réalité de la menace considérée.
Toutefois, il faudrait signaler que l'antinomie entre le droit
de veto et la responsabilité de protéger ne tient pas seulement
à leur dynamique. Leur finalité, elle aussi, se prête
à leur opposition.
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