Section 2 : La responsabilité de protéger,
une notion déjà discréditée ?
La responsabilité de protéger connait des
fortunes diverses au sein de la Communauté Internationale. Si cette
dernière est quasi unanimement d'accord sur le concept, sa pratique n'en
reste pas moins décriée. La responsabilité de
protéger se présente ainsi comme une notion fortement
critiquée (Paragraphe 1) et une nécessité
de réformer le droit de veto (Paragraphe 2)
s'imposerait pour lui redorer le blason.
98- Ibid.
99 - ABESSOLO, (S.), « Responsabilité de
protéger et ordre juridictionnel international: les défis de la
justice pénale internationale », Colloque sur« La
prévention des conflits et la sécurité humaine en Afrique
: la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger »,
Libreville - 20 et 21 juin 2007.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies Paragraphe 1 : La responsabilité de
protéger, une notion fortement critiquée
Dès sa naissance, la responsabilité de
protéger a fait l'objet de critiques très vives. On lui
prêtait notamment une volonté déguisée des grandes
puissances de s'ingérer dans les affaires intérieures des pays
plus faibles. Pour ne rien arranger aux choses, ses récentes mises en
oeuvre très controversées lui ont davantage attiré les
foudres de ses détracteurs. Ces derniers ne manquent jamais une occasion
d'essayer de la discréditer, aux yeux de l'opinion mondiale, en
invoquant divers arguments naturellement peu glorieux à son
égard. On lui reproche, entre autres, son instrumentalisation par
certains Etats puissants, la sélectivité de sa mise en oeuvre ou
encore le caractère tardif de celle-ci.
Pour certains, il existerait des limites intrinsèques
à la notion de responsabilité de protéger. Ce serait
notamment le cas avec sa formulation qui est jugée trop
générale et donc imprécise. C'est en tout cas ce que
semble penser SZUREK quand elle écrit : « par la
généralité intrinsèque de sa formulation et son
indétermination, la responsabilité de protéger se
prête facilement à des applications beaucoup plus
diversifiées que celles des crimes internationaux dont on voudrait faire
son champ matériel exclusif »100.Cette
imprécision de la notion est de nature à favoriser son
instrumentalisation de par une interprétation extensive des
résolutions autorisant des interventions sous sa bannière. Ce
risque est d'autant plus grand qu'il n'existe aucun document juridique,
universellement accepté, qui détermine très exactement les
modalités de la mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger. Pour certains auteurs, la résolution 1973 (2011) a
ainsi été détournée à sa fin initiale afin
de renverser le régime de Kadhafi alors qu'elle autorisait une
intervention visant uniquement la protection des Civils. Pareille situation
s'était produite quelques années plutôt, en 2003, avec
l'intervention américaine en Iraq. Serge SUR estimait sur ce cas que la
résolution « ne se donnait pas pour objectif le changement de
régime en Iraq, mais encore elle subordonnait le recours à la
force à la constatation par le CS de sa violation, constatation qui,
comme on le sait, n'a jamais été opérée
»101. Le risque reste dès lors très grand
que la responsabilité de protéger soit un moyen officieux pour
servir les desseins interventionnistes de quelques Etats puissants
malintentionnés.
100 - SZUREK, (S.), op. cit.
101 - SUR, (S), op. cit.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
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Une autre critique adressée à
responsabilité de protéger résulterait de la
sélectivité notée dans son application. A ce propos,
Andrea BIANCHI faisait remarquer que la responsabilité de
protéger « est une arme noble en soi, mais elle est à
double tranchant. Le principal danger relève de la manière
sélective dont la communauté internationale risque d'appliquer le
concept » et elle s'interrogeait en ces termes : « pourquoi
le met-on en oeuvre en Libye et en Côte d'Ivoire et pourquoi ne le
fait-on pas ailleurs où cela pourrait aussi se justifier?
»102. Le cas syrien actuel, où le blocage du
Conseil de sécurité empêche toute intervention, ainsi que
toute situation similaire, passée ou future, sont de nature à
renforcer ce sentiment de sélectivité dans la mise en oeuvre de
la responsabilité de protéger.
Enfin, une dernière critique consiste à dire que
même si on a des interventions, afin de protéger des civils
confrontés à des crimes visés par la responsabilité
de protéger, celles-ci sont souvent tardives. En effet, l'intervention
militaire doit être autorisée en derniers recours. La
responsabilité de protéger donne la priorité à la
diplomatie préventive. Cela fait que la Communauté Internationale
favorise le dialogue politique entre les belligérants pour arrêter
des exactions contre toute population qui en serait victime. Seulement,
l'inconvénient de ce procédé est que plus on recherche une
solution politique au conflit, plus une possible intervention militaire est
retardée et plus le lot de victimes civiles augmente. Cela a
poussé William BOURDON à penser qu'« intervenir trop
tard, c'est évidemment toujours plus de morts et d'exactions. C'est
prendre le risque de dresser l'acte de décès de la
responsabilité de protéger »103. De plus,
pour cet avocat, la responsabilité de protéger souffrirait d'une
immense ambiguïté qui serait « celle d'exiger qu'une
action militaire ne soit justifiée que si elle a des chances
raisonnables de réussir, c'est-à-dire de faire cesser ou
d'éviter des atrocités et à tout le moins, d'éviter
à ce qu'elles n'aboutissent à des conséquences plus
dramatiques que l'inaction »104. La responsabilité
de protéger nécessiterait alors une faculté de
réaction plus prompte de la des Nations Unies afin de mieux jouer son
rôle. Il faut espérer que la responsabilité de
protéger, à l'image du « droit d'ingérence
», ne soit pas « qu'une des ultimes illusions produites par
un esprit soixante-huitard à bout de souffle, un mélange de
bonnes intentions et de réalisations
102 - Le Temps SA, le 13 avril 2011.
103 - Le Monde du 17 juillet 2012.
104 - Ibid.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
foireuses »105. En d'autres termes,
il est nécessaire que la Communauté Internationale donne une
nouvelle impulsion à la responsabilité de protéger. Dans
cette perspective, une réforme du droit de veto pourrait constituer un
début de solution.
Paragraphe 2 : La nécessité de
réformer le droit de veto
D'après VALTICOS, la réforme du veto s'impose.
Il estime, en effet, que : « le dilemme est maintenant clair : ou bien
le droit de veto sera substantiellement modifié ou bien les Nations
Unies, et notamment le Conseil de Sécurité, connaitront une
sérieuse éclipse dès qu'une question importante se
présentera (...) »106. Il est ainsi établi
que le droit de veto est de nature à annihiler la responsabilité
de protéger de la Communauté Internationale de par sa promptitude
à bloquer le processus décisionnel au sein du Conseil de
sécurité. Sa réforme pourrait dès lors avoir un
effet positif sur la mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger qu'elle pourrait contribuer à rendre plus effective.
Toutefois, il ne s'agirait pas de réformer pour le faire, mais
plutôt pour donner au Conseil de sécurité les
possibilités de s'acquitter, avec diligence et efficacité, de sa
responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales.
Plusieurs propositions de réforme du Conseil de
sécurité incluant inéluctablement celle de l'usage du
droit de veto ont été faites par certains auteurs. Il faut
reconnaitre qu'en ce domaine la doctrine est particulièrement prolixe.
Toutefois, nous ne voudrions retenir, ici, que celles d'entre elles qui nous
semblent être de nature à pouvoir aider à une meilleure
mise en pratique de la responsabilité de protéger. Dans cette
perspective, hormis un engagement des membres permanents à renoncer
à l'exercice de leur veto dans certaines circonstances, la
réforme du veto se présenterait sous la forme d'une alternative :
soit on supprime purement et simplement le droit de veto soit on le modifie de
manière substantielle.
La suppression du droit de veto est une entreprise aux
lendemains incertains. Outre l'attachement marqué des membres permanents
à ce privilège, l'absence de veto au Conseil de
sécurité serait de nature à générer des
tensions au sein de l'Organisation mondiale et pourrait même
détruire le système onusien. C'est ce que pense SUR selon qui si
le droit de veto n'existait pas « il serait possible à une
majorité d'imposer ses décisions contre l'opposition de certains
membres permanents. Mais le prix à payer serait lourd : les membres
visés ne s'inclineraient
105 - DEFARGES, (Ph. M.), op. cit. p. 168
106 - VALTICOS, (N.), op. cit.
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vraisemblablement pas, et l'on aggraverait la crise au
lieu de la résoudre »107. Une telle crainte peut se
comprendre aisément. Elle n'est cependant pas un argument suffisant pour
écarter la suppression du veto. En effet, cette suppression supposerait
l'assentiment de tous les membres permanents qui, de facto, seraient
d'accord à ce que les décisions se prennent à la
majorité des voix. Leur propre volonté manifestée
équivaudrait alors à une autolimitation qui les empêcherait
de refuser les résolutions adoptées sur cette base. Il reste
toutefois que même si une telle réforme du droit de veto est de
nature à faciliter la mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger, elle est difficile à réaliser car elle
supposerait une révision de la Charte des Nations Unies. Or, cette
dernière ne peut être modifiée que par des amendements qui
doivent être « adoptés à la majorité des
deux tiers des membres de l'Assemblée générale et
ratifiés, conformément à leurs règles
constitutionnelles respectives, par les deux tiers des Membres de
l'Organisation, y compris tous les membres permanents du Conseil de
sécurité »108. Dès lors, la question
reste entière car aucune révision de la Charte ne pourra
être opérée sans l'accord unanime des cinq membres
permanents. Décidément, l'abolition du droit de véto
constitue un chemin aussi incertain que celui de Sisyphe et son rocher.
A défaut d'une suppression du droit veto, sa
modification apparait comme nécessaire pour permettre au Conseil de
sécurité de pouvoir s'acquitter de sa responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité
internationales avec diligence. Pour se faire, il est primordial que soient
modifiées les modalités d'adoption des résolutions. Un tel
argument est défendu par certains auteurs dont VALTICOS qui écrit
: « un système différent, comme une méthode de
vote qualifié, qui tienne compte de l'importance des Etats,
calculée sur la base de plusieurs facteurs - et qui ne se contente pas,
pour admettre un veto, de l'opposition d'un seul des Etats
considérés - devrait pouvoir permettre au Conseil de
sécurité d'éviter dans une plus grande mesure les impasses
et d'assumer davantage le rôle qui lui a été assigné
»109. BOUTROS-GHALI aborde dans le même sens en
considérant que « l'accroissement du nombre de voix
nécessaires à la décision d'intervention du conseil de
sécurité peut se révéler, à
l'évidence, un moyen efficace de renforcer le poids des membres non
permanents en leur donnant la possibilité d'user d'un veto collectif, ce
qui permettrait d'éviter qu'un seul Etat, quel qu'il soit, puisse, comme
actuellement,
107 - SUR, (S.), op. cit.
108 - Art. 108 de la CNU.
109 - VALTICOS, (N.), op. cit.
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bloquer le processus
décisionnel»110.Ces arguments ne s'opposent pas
à l'élargissement du Conseil de sécurité à
d'autres membres. Toutefois, la réforme devrait éviter de
conférer le droit de veto à d'autres membres. A
l'évidence, cela risquerait de rendre le processus de décision
encore plus aléatoire si l'on sait déjà que les membres
permanents s'en servent souvent pour la défense de leurs
intérêts nationaux au mépris de certaines urgences
humanitaires.
Aussi, un changement des modalités d'adoption des
résolutions du Conseil est souhaité. La pratique a
déjà fait un grand pas en ne considérant plus l'abstention
d'un membre permanent comme un vote négatif. Cependant, il est assez
problématique que l'opposition d'un seul veto puisse empêcher une
intervention et laisser perpétrer des massacres qui choquent la
conscience humaine. Pour donner plus de chance à la
responsabilité de protéger, il serait salutaire qu'une
réforme exige au moins l'opposition de deux vetos pour rejeter un projet
de résolution en matière humanitaire.
De telles réformes seraient d'un apport incommensurable
pour l'effectivité de la responsabilité de protéger. Elles
permettraient à toute l'humanité de pouvoir vivre dans un monde
plus sûr avec des libertés plus grandes, assorties de garanties
plus fortes de paix. Seulement, ce ne sont pas les propositions de
réforme qui manquent, mais plutôt la volonté politique de
les réaliser. Les membres permanents du Conseil de
sécurité ne semblent pas être trop enclins à
partager leur privilège du veto encore moins à y renoncer de peur
de voir leur influence dans le monde diminuer. Tout cela est de nature à
renforcer le pessimisme autour d'une éventuelle réforme du
Conseil de sécurité et du droit de veto. C'est pourquoi
d'ailleurs certains pensent que « la réforme ne se fera pas.
Elle demeurera un thème d'études et de débats, mais elle
est irréalisable à échéance prévisible, ne
serait-ce que parce qu'elle suppose le consentement unanime des cinq membres
permanents »111. Ce qui serait bien dommage pour l'avenir
de la responsabilité de protéger.
110 - BOUTROS-GHALI, (B.), op. cit.
111 - SUR, (S.), op. cit.
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