Paragraphe 2 : Le défi de la répression
pénale des atteintes à la responsabilité de
protéger
A l'état actuel des choses on ne peut s'empêcher
de reconnaitre avec DE CHAZOURNES que : « le droit international
pénal est devenu un instrument à part entière dans la
conduite des relations internationales »91. Un
véritable ordre juridictionnel pénal s'est affirmé au
cours des dernières années, mais surtout avec l'instauration de
la Cour Pénale Internationale en 1998. Ce développement du droit
international pénal s'expliquerait par la volonté de la
communauté internationale de ne plus tolérer les violations
massives des droits humains fondamentaux qui sapent les principes
d'humanité les plus élémentaires. C'est dans ce sens qu'il
conviendrait, par exemple, d'apprécier la création des tribunaux
internationaux pour la Yougoslavie et le Rwanda, en 1993 et 1994, comme des
« décisions morales, exprimant
91 - DE CHAZOURNES, (L. B.), op. cit.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
38
Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
l'indignation de la communauté des nations
civilisées devant les crimes commis »92. A
fortiori, la mise sur pied de la CPI répond à la même
logique.
Aujourd'hui, la justice pénale internationale tente
tant bien que mal de s'adapter à la morphologie des relations
internationales encore très complexes. Toutefois, si elle a pu glaner
quelques acquis ça et là, les défis qui jalonnent son
chemin restent nombreux et très difficiles.
A l'ère de la CPI, les plus grandes victoires
pénales de la responsabilité de protéger restent, jusque
là, la condamnation de Charles Taylor pour crimes de guerre et crimes
contre l'humanité commis en Sierra Léone, l'arrestation de
l'ancien Président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, et son
transfèrement à La Haye afin qu'il réponde des exactions
postélectorales commises dans son pays en 2010 ou encore la reddition de
Bosco Ntaganda... Les procès en cours sont nombreux et l'activité
de la Cour pénale internationale demeure foisonnante comme en
témoignent les multiples mandats d'arrêt internationaux qu'elle a
émis. Cela dénote d'un progrès considérable du
droit pénal international et témoigne de la volonté de
réprimer les atteintes graves aux droits humains fondamentaux.
En dehors de l'activité de la CPI, d'autres
juridictions pénales à caractère international participent
à la répression des crimes visés par le Statut de Rome.
Nous ne reviendrons pas ici sur l'importante activité des tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo après la deuxième guerre mondiale ni sur
les tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavie et le Rwanda
(TPIY et TPIR). Ces questions ont largement été largement
traitées93. Tout ce dispositif juridictionnel démontre
à suffisance que la responsabilité de protéger a une
garantie pénale conséquente qui peut être mise à
profit pour dissuader et sanctionner les crimes de guerre, crimes contre
l'humanité, le nettoyage ethnique et le génocide. Il peut
dès lors être aberrant de constater combien le chemin de
l'impunité reste à défricher pour le droit international
pénal.
Emmanuel DECAUX écrivait avec raison que : «
le défi éthique de la moralisation du droit international n'est
pas de juger les crimes commis par le vaincus, mais de laisser impunis les
crimes commis par les vainqueurs »94. L'impunité se
présente comme le plus grand défi à
92 - DEFRAGES, (Ph. M.), op. cit. pp. 72-73.
93 - Voir QUOC DINH, (N.) et al. op. cit. pp. 784 et s.
94 - DECAUX, (E.), « Légalité et
légitimité du recours à la force : de la guerre juste a la
responsabilité de protéger », Droits fondamentaux,
n° 5, janvier - décembre 2005.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
39
Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
relever dans la lutte contre les violations graves et massives
des droits de l'Homme. Il est nécessaire que les personnes responsables
de telles d'atteintes, quelles qu'elles soient, répondent
de leurs actes devant la Communauté Internationale.
Aucun statut ou privilège ne doivent s'opposer à leur traduction
devant la justice. A ce niveau, il est heureux de constater que le Statut de
Rome écarte toute fin de non-recevoir à la poursuite
pénale internationale contre un Chef d'Etat basée sur
l'immunité qu'emporte sa qualité officielle. Il dispose en son
article 27 que :
« Le présent Statut s'applique à tous
de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la
qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef
d'État ou de gouvernement (...) n'exonère en aucun cas de la
responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas
plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la
peine.
Les immunités ou règles de procédure
spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle
d'une personne (...) n'empêchent pas la Cour d'exercer sa
compétence à l'égard de cette personne
»95.
Seulement, ce Statut à vocation si étendue a une
porté bien limitée parce que n'ayant pas été
ratifié par certains Etats, et non des moindres, comme les Etats-Unis,
la Russie, l'Israël, la
République islamique d'Iran, la Chine, l'Inde et le
Pakistan, ainsi qu'une bonne dizaine d'Etats africains. A cela, s'ajoute le
manque de coopération notoire des Etats avec la Cour qui est
matérialisé par l'inexécution des mandats d'arrêt
internationaux émis par la juridiction. Ce phénomène reste
cependant accentué par « le sentiment que la Cour pénale
internationale,
essentiellement chargée de demander des comptes aux
coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, est une
`'cour pro-occidentale et anti-africaine» »96. Il est
difficile
d'ignorer de telles dénonciations si l'on sait que
l'écrasante majorité des activités de la Cour
pénale internationale est orientée vers l'Afrique.
Hélène DUMONT trouve une manière imagée de
dénoncer la soustraction de certaines grandes puissances à la
compétence de la CPI et, partant, l'éventuelle impunité de
leurs responsables, coupables de crimes internationaux, lorsqu'elle
écrit : « on attrape plus souvent les petits poissons que les
gros dans les filets du droit pénal »97.
95 - Article 27 du Statut de Rome de la CPI du 17 juillet
1998. Document A/CONF.183/9. Disponible sur www.icc-cpi.int
96 - Projet de Rapport UIP précité, p. 7.
97 - DUMONT, (H.), « Criminalité
collective et impunité des principaux responsables : est-ce la faute du
droit pénal ? », RSC n°1 Janv.-Mars, 2012, pp.3-18.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
40
Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
Un autre défi pas moins important est relatif à
la détermination de la part de responsabilité individuelle des
auteurs de violations graves à la responsabilité de
protéger et des peines adéquates pour les sanctionner. Cela
permettrait de mieux prendre en compte les criminalités de masse. Pour
DUMONT, il importe de « concevoir des règles de
détermination de la responsabilité pénale individuelle qui
permettent de juger ces plus hauts responsables avec des règles de
participation criminelle et de responsabilité pour les actes d'autrui
qui soient fonctionnelles et représentatives de leur part réelle
de responsabilité dans un crime collectif et qui ne soient pas injustes
au point de leur attribuer indistinctement, arbitrairement et objectivement
tous les actes d'autrui »98. Cela est d'autant plus
nécessaire que les instigateurs ne coïncident pas forcément
avec les auteurs matériels des crimes visés par la
responsabilité de protéger.
C'est une entreprise certes difficile si l'on considère
l'absence d'un code pénal international, mais un effort de
prévision et de répression de ces crimes internationaux dans la
législation interne pourrait être d'un apport important. Pour
commencer, « les Etats peuvent établir leur propre juridiction
à l'égard des crimes poursuivis, en prévoyant leur
incrimination et leur répression en droit interne »99.
Un tel effort aurait un effet dissuasif certain et donnerait
assurément plus de poids pénal à la responsabilité
de protéger. Il incombe aux Etats de donner suite à une telle
recommandation. Cela pourrait augmenter le crédit de la
responsabilité de protéger qui semble bien entamé.
|