Chapitre II : L'effectivité contrastée de
la responsabilité de protéger
Si les critiques adressées à la
responsabilité de protéger sont nombreuses et parfois très
acerbes, il reste que le concept a acquis une consécration
désormais incontestable. Sa mise en oeuvre se voit facilitée par
l'adaptation de la pratique internationale (Section 1) autour
du droit de veto. Toutefois, l'usage qui a déjà été
fait de la responsabilité de protéger en Libye et l'impasse
actuelle sur la crise syrienne ont fortement conforté la position de ses
détracteurs. Il se pose alors la question de sa
crédibilité (Section 2) qui semble bien
entamée.
Section 1 : L'adaptation par la pratique internationale
Cette adaptation n'obéit pas à une logique
déterminée. Elle est faite de tractations et de concessions entre
les membres permanents du Conseil de sécurité. En même
temps, elle laisse une large place à volonté politique
internationale de pénaliser les atteintes à la
responsabilité de protéger, ce qui constitue un véritable
défi de Sisyphe. Elle se manifestera alors par l'abstention à
user du droit de veto en certaines circonstances graves (Paragraphe 1)
et par la répression pénale des manquements à la
responsabilité de protéger (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'abstention à user du droit veto
en matière humanitaire
Un engagement des membres permanents du Conseil de
sécurité à s'abstenir à user de leur droit de veto
afin d'éviter des violations massives des droits de l'Homme semble
être la clef de voûte d'une effectivité plus grande de la
responsabilité de protéger. Aussi bien le rapport de la
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
36
Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des Etats que celui du Groupe de personnalités de
haut niveau recommandent une renonciation partielle à l'usage du
veto.
Selon la CIISE : « Les cinq membres permanents du
Conseil de sécurité devraient s'entendre pour renoncer à
exercer leur droit de veto, dans les décisions où leurs
intérêts vitaux ne sont pas en jeu, afin de ne pas faire obstacle
à l'adoption de résolutions autorisant des interventions
militaires qui, destinées à assurer la protection humaine,
recueillent par ailleurs la majorité des voix »87.
Pour elle, cela doit être l'un des principes à considérer
lorsqu'une intervention militaire est envisagée88. Seulement,
le Rapport ne précise pas ce qu'il faudrait entendre par «
intérêts vitaux ». Elle ne donne pas non plus
d'indication sur l'organe international qui serait apte à
apprécier le caractère vital des intérêts que tel ou
tel membre permanent déciderait de mettre en avant pour opposer son
veto. Cela laisse penser que cette appréciation reviendrait alors
souverainement aux Etats qui se retrouveraient dans une position de juges et
parties. Un tel schéma ne résout pas le problème. Il ne
fait que le déplacer comme le constate MBONDA pour qui : «
pareille recommandation ne modifie en rien l'ordre des choses. Si les «
intérêts vitaux » des membres du Conseil de
sécurité constituent le critère à partir duquel ils
peuvent être amenés à renoncer à l'exercice de leur
droit de veto, on est très loin de la priorité accordée
aux besoins des personnes qui se trouvent dans la détresse et qui ont
besoin d'un secours urgent, indépendamment, précisément,
des intérêts vitaux de quiconque »89.
Le Groupe de personnalités de haut niveau est
allé plus loin en formulant une demande à l'intention des
détenteurs du droit de veto en ces termes : «
Nous demandons également aux membres permanents de
renoncer solennellement, chacun en ce qui le concerne, à faire usage de
leur droit de veto en cas de génocide ou de violation massive des droits
de l'homme »90. Officiellement, ces recommandations n'ont
jamais été suivies d'effets. La renonciation, même
partielle, au droit de veto ne semble pas incluse dans le chronogramme des
Etats membres permanents. Les acquiescements de principe cachent mal leur
volonté de garder jalousement ce privilège qui leur sert d'arme
pour défendre leurs intérêts partout dans le monde.
Pourtant, cette
87 - CIISE, op.cit. p. XIII
88 - La CIISE donne quatre catégories de principes pour
une intervention militaire : la définition d'un seuil de
juste cause, le recours à des principes de
précaution, la recherche de l'autorité
appropriée et la prise en compte de principes
opérationnels. Ibid. pp. XII-XIII
89 - MBONDA, (E.-M.), op. cit.
90 - Rapport du GPHN, op. cit. Paragraphe 256.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
renonciation semble indispensable au bon fonctionnement du
Conseil de sécurité. D'ailleurs elle s'est souvent
réalisée, dans bien des cas, par l'abstention d'un ou de
plusieurs membres permanents pour permettre des interventions militaires
destinées à protéger des civils. Cela a été
le cas pour la Somalie et de la Bosnie-Herzégovine (1992-1993), du
Rwanda (1994), du Zaïre (1996), du Timor oriental (1999), etc.
Pour la mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger, l'abstention à user du droit de veto s'est notamment
réalisée à deux reprises pour permettre déploiement
de la « responsabilité de réagir » de la
Communauté Internationale. En effet, les interventions militaires en
Côte d'Ivoire et en Libye en 2011 n'ont pu se faire qu'avec l'absence
d'opposition d'un droit de veto. La Communauté Internationale s'en
était par ailleurs largement félicitée. Il est
évident qu'à défaut d'une réforme du droit de veto
ou d'une renonciation partielle à l'exercice de celui-ci, l'abstention
reste le seul moyen de donner au Conseil de sécurité la
possibilité de s'acquitter de sa mission de protection des civils avec
rapidité. Cela donne une nouvelle envergure à la diplomatie
onusienne. Dans la nouvelle structuration multipolaire des relations
internationales, le dialogue permanent entre acteurs internationaux s'impose
comme une exigence primordiale, car les défis sont nombreux. Parmi eux,
il y a celui de la répression pénale des atteintes à la
responsabilité de protéger.
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