2.1.3.3. Approche socio-économique
Cette approche se fonde sur deux postulats : l'individualisme
méthodologique et la rationalité économique et stipule que
l'activité sexuelle et les comportements sont le résultat d'un
calcul rationnel de leurs auteurs (Kobelembi, 2005). Certaines femmes
considèrent l'activité sexuelle comme une marchandise afin de
satisfaire leur besoin d'ordre économique et social. De ce point de vue,
la situation économique personnelle et la situation économique
des personnes autour de soi influent sur les comportements sexuels de ce
dernier. La situation de pauvreté qui prévoit dans la plupart des
pays au sud du Sahara favorise aussi une progression du VIHI/SIDA assez rapide
chez les femmes.
En effet, Lachaud, (2005 : 1) souligne que : « D'une
part, au niveau empirique, on observe que 95 pourcent de la population mondiale
infectée par le VIH/SIDA est localisée dans les pays en
développement ou en transition, alors que ces derniers englobent 85
pourcent des habitants de la planète. Dans ces conditions,
l'évidence empirique macroéconomique suggère une
association statistiquement robuste entre la prévalence
élevée du VIH et les faibles performances
socioéconomiques, en termes de revenu par tête,
d'inégalité des ressources, de pauvreté monétaire
ou de développement humain. En outre,
KINSAKIENO Pierre Rostin, Mémoire de fin de formation,
Octobre 2012 Page 40
Modernité et prévalence du VIH/SIDA chez les
femmes en République du Congo.
bien que l'évidence microéconomique soit
moins claire, plusieurs études, notamment en Asie, tendent à
montrer que les individus les plus pauvres et les moins instruits ont une plus
forte propension à l'infection du VIH. Dans cette optique, certains
auteurs suggèrent que la prédisposition d'une
société au VIH et à la vulnérabilité par
rapport à l'impact du phénomène, dépend de
l'inégalité en termes de statuts économiques, et du niveau
de la richesse ». Ainsi, la dépendance économique, la
pauvreté des femmes, et les conditions de vie des ménages peuvent
également agir sur la vie sexuelle des femmes ainsi que sur leur statut
sérologique.
a. Dépendance économique, pauvreté
des femmes
En Afrique, la situation de pauvreté rend
vulnérable les femmes aux rapports sexuels à risque
rémunérés pouvant les exposer au VIH/SIDA. Les femmes sont
les dépendantes des hommes et les exposées au VIH/SIDA du fait de
leur situation défavorable, et de plus en plus on observe que la
pauvreté et le VIH/SIDA se féminisent. Elles se laissent dominer
par ceux-ci en matière sexualité du fait de son pouvoir
économique. « Là où la relation est basée
sur des considérations financières, la capacité des femmes
à négocier des comportements sexuels à moindres risque est
limitée » (Rwenge, 2002 : 28). L'acceptation à cette
domination est d'autant plus perçue chez les femmes n'ayant pas une
occupation qu'à celles qui en possèdent. La non satisfaction
économique de ces femmes par leurs conjoints peuvent les conduire
à des rapports sexuels extraconjugaux à but lucratif.
Toutefois, l'occupation de la femme est capitale pour son
bien-être car elle lui apporte une autonomie financière et un
pouvoir de décision sur sa sexualité afin de satisfaire ses
besoins et d'améliorer ses habitudes sexuelles. Or, «
Traditionnellement, en Afrique, le pouvoir économique est entre les
mains des hommes. Les femmes peuvent monter de petites activités
commerçantes, mais elles dépendent pour l'investissement de
départ de leur mari et ces rentrées d'argent demeurent la plupart
du temps marginales. En outre, les hommes ne s'occupent pas que de la famille
nucléaire : ils peuvent avoir plusieurs femmes ou prendre en charge
leurs neveux (les enfants de leur(s) soeur(s)) si le père de ces
derniers est décédé. Comme le schéma classique veut
que l'homme soit atteint le premier par le VIH, toutes les personnes qu'il a
à charge sont alors privées de revenu », explique
Dekens (2007 : 5).
Cependant, la situation économique des adolescentes ou
des jeunes filles est encore plus préoccupante. En effet, les
difficultés économiques motivent donc les jeunes femmes à
adopter des comportements sexuels à risques. Dans ces conditions,
certaines s'adonnent
KINSAKIENO Pierre Rostin, Mémoire de fin de formation,
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Modernité et prévalence du VIH/SIDA chez les
femmes en République du Congo.
même à la prostitution comme stratégie de
survie (Rwenge, 1999.b). Pour satisfaire leur besoin, elles se livrent à
ce genre de comportement qui les expose au VIH/SIDA, ce qui contribue en partie
à l'explication de la féminisation du SIDA.
b. Précarité des conditions de vie des
ménages
Elle peut également influencer les habitudes sexuelles
des femmes et des adolescentes. En effet, les ménages ayant un niveau de
vie pauvre sont vulnérables au VIH/SIDA dans la mesure où le
comportement des individus qui y vivent pourrait être modifié en
particulier celui des femmes compte de leurs comportements sexuels. La
médiocrité des conditions économiques contraint les
adolescentes à s'adonner à certaines pratiques sexuelles à
risque (Zoungrana, 1999.b). C'est le cas des adolescentes dont les parents ne
surviennent pas à leur besoin scolaire ou sont
décédés. Celles-ci sont obligées de chercher des
financements ailleurs par l'utilisation du charme de leur corps. Elles
préfèreraient dans ce sens une relation soumise à la
logique du coût/bénéfice basée sur les rapports
sexuels à risque et rémunérés.
Par ailleurs, lors de la conférence internationale du
travail sur « la fin du travail des enfants : un objectif à notre
portée » (BIT, 2006), le combat contre le VIH/SIDA comporte un lien
avec le travail des enfants car les orphelins du SIDA comptent parmi les
enfants les plus vulnérables y compris la promotion du travail
décent pour les jeunes. Dans la mesure où si les parents sont
décédés, ces enfants auront besoin d'une nouvelle source
de revenus lui permettant d'assurer sa survie. Privés de
l'éducation nécessaire pour acquérir des
compétences, confrontés plus tôt à la
précarité, les jeunes risquent davantage de contracter
eux-mêmes le VIH/SIDA et de se retrouver au chômage. D'où le
risque de contraction du virus s'accroit avec les mauvaises conditions de vie
des ménages. Au-delà de la situation économique des
ménages, la situation économique du pays peut aussi à son
tour influencer les comportements sexuels des individus. Ce sont plus les pays
pauvres qui accusent des taux de prévalence élevés. Selon
l'UNFPA (2005 : 1) « les coûts de la discrimination sexuelle
sont plus élevés pour les pays à faible revenu et,
à l'intérieur de chaque pays, pour les pauvres ».
Ne serait-ce que de ce seul point de vue, la pauvreté,
l'inégalité et la dépendance économique favorisent
également la vulnérabilité au VIH/SIDA. Par exemple, les
femmes pauvres peuvent être obligées de se prostituer pour gagner
de l'argent, celles-ci courent donc un risque élevé d'être
infecté. Ce risque augmentera si la prostitution se fait
régulièrement, et s'il arrive qu'elles demandent un « tarif
» plus élevé pour avoir des rapports sexuels non
protégés (UNIFEM, 2006). De même, l'exposition au VIH/SIDA
est beaucoup plus élevée
KINSAKIENO Pierre Rostin, Mémoire de fin de formation,
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Modernité et prévalence du VIH/SIDA chez les
femmes en République du Congo.
chez les femmes pauvres, mais ce qui intéresse Dekens
(2007), c'est l'extrême rapidité à laquelle le VIH/SIDA
peut enfoncer les personnes dans la pauvreté, lorsqu'elles sont
déjà fragilisées. Le VIH/SIDA est un puissant
révélateur d'inégalités préexistantes, qu'il
alimente et qu'il aggrave.
Bien que l'approche socio-économique paraisse
essentielle dans l'explication de la forte prévalence du VIH/SIDA
observée chez les femmes, mais aussi d'autres approches telles que
l'approche socio-démographique contribue aussi à cette
explication.
2.1.3.4. Approche socio-démographique
Elle se focalise sur trois variables principales : l'âge
de la femme, les violences sexuelles et la migration. Ces variables contribuent
à rendre plus claire l'explication de la vulnérabilité des
femmes au VIH/SIDA par rapport aux hommes.
a. L'âge de la femme
Considéré comme facteur de
vulnérabilité au risque de contraction du VIH/SIDA, l'âge
est une variable essentielle d'appréhension de tout fait social. Il
influence l'activité sexuelle des individus. Ainsi, cette
activité est beaucoup plus intense chez les personnes moins
âgées que chez celles qui sont plus âgées. Ce qui
exposerait plus les personnes âgées entre 15 et 25 ans. Dans
plusieurs pays en développement, pour les jeunes filles avoir des
rapports sexuels dans des conditions d'insécurité est devenue une
chose courante. La précocité des rapports sexuels au jeune
âge expose les filles au VIH/SIDA. En effet, l'âge au premier
rapport sexuel délimite le début de la période du risque
de transmission sexuelle des MST. En Centrafrique, l'âge minimum au
mariage est fixé à 18 ans pour les jeunes filles et 20 ans pour
les jeunes garçons d'après les lois du code de la famille.
Malheureusement, lorsqu'elles existent, ces lois ne sont pas toujours
respectées par certains parents conservateurs qui continuent à
conclure le mariage de leurs filles sans leur consentement (Kobelembi,
2005).
La plupart des EDS réalisées dans certains pays
d'Afrique montrent que les jeunes femmes sont particulièrement
exposées au risque d'infection par le VIH/SIDA, avec des taux augmentant
beaucoup parmi les femmes âgées de 20 à 24 ans par rapport
à celles âgées de 15 à 19 ans (ONUSIDA, 2010). C'est
pourquoi dans de nombreux pays, on s'efforce de retarder l'âge des
premiers rapports sexuels encourageant ainsi l'abstinence avant le mariage,
dans le but de réduire le risque d'exposition au VIH/SIDA. Il semble
aussi que le fait de retarder l'âge
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Modernité et prévalence du VIH/SIDA chez les
femmes en République du Congo.
des premiers rapports diminue aussi le risque d'infection lors
de chaque rapport, au moins chez les femmes (ONUSIDA, 2008).
b. Violences sexuelles
A cause des taux élevés d'infection à
VIH parmi les femmes, on s'est penché tout particulièrement sur
le problème des violences dont les femmes sont victimes (OMS, 2004.b).
Ces violences augmentent les risques de blessure et de saignement favorisant
ainsi la transmission du VIH/SIDA. Un rapport sexuel forcé ou sous la
contrainte avec un partenaire infecté par le SIDA est l'un des moyens
par lesquels le VIH et d'autres IST peuvent se transmettre aux femmes (OMS,
2004.b). Le risque d'infection à VIH/SIDA chez les femmes est aussi
lié aux violences sexuelles faites à leur encontre. Selon
l'ONUSIDA (2010) les femmes vivant avec le VIH sont plus susceptibles
d'être victimes de violence à cause de leur statut
séropositif.
En effet, les jeunes filles sont plus exposées au
phénomène de violences sexuelles que les femmes adultes.
D'après l'OMS (2004.b), en cas d'actes de violence sexuelle
dirigés contre des fillettes et des jeunes femmes, le risque de
transmission est vraisemblablement plus élevé parce que leurs
voies vaginales ne sont pas encore pleinement développées et se
déchirent facilement pendant les rapports sexuels. La violence envers
les femmes (physique, sexuelle et mentale) éprouvée par 10
à 60 % d'entre elles dans le monde accroît leur
vulnérabilité au VIH (WHO, 2009).
c. Migration
La migration est un déplacement ayant pour effet de
transférer la résidence d'un individu d'un lieu d'origine
à un lieu de destination (Gendreau, 1993). Elle apparait comme un
facteur contribuant à la diffusion du VIH/SIDA. Selon Piché et
al. (2004 : 235) « La migration ne définit ni un état
qui comporte absolument des risques, ni un environnement qui produit
nécessairement des risques. Elle est un objet social qui se construit en
fonction des parcours et des situations, en fonction des contextes et des
réseaux sociaux, et à l'intérieur desquels l'individu
façonne ses comportements, fait ses choix et gère ses risques
».
En effet, la migration féminine est un
phénomène qui prend de l'ampleur dans le contexte africain.
« Qu'il s'agit des migrations de travail ou de refuge, des migrations
rurales-urbaines ou rurales-rurales, saisonnières ou de longue
durée ou qu'il s'agit encore de déplacements de nature
commerciale ou touristique, tous ces mouvements de population
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Modernité et prévalence du VIH/SIDA chez les
femmes en République du Congo.
présentent une caractéristique commune : ils
favorisent les rapports sexuels occasionnels, souvent non
protégés, et font ainsi du migrant et du voyageur à la
fois l'hôte et le vecteur potentiels du VIH » (Lalou et
Piché, 1994 : 12). En 2004, ces auteurs observent que la migration
interne favorise le multi partenariat et l'usage du préservatif, le
retour dans la communauté ne semble pas contraindre à des
pratiques sexuelles et de protections différentes et en plus grande
conformité avec les normes du milieu.
Toutefois, la migration est à l'origine des changements
observés dans les mécanismes de détérioration des
structures sociales, économiques et de la dynamique d'éclatement
des familles, plaçant ainsi le migrant, souvent esseulé, dans des
conditions de stress et de vulnérabilité (Piché et al,
2004). A cela s'ajoute aussi la prostitution qui peut naitre à partir de
la précarité économique que possèdent les femmes
migrantes dans le milieu d'accueil. Celles-ci se livrent à des pratiques
sexuelles à risque les exposant au VIH/SIDA. Si ces femmes sont
infectées, elles représentent un véritable vecteur de
propagation du virus, et si elles s'adonnent à des pratiques de
commerces sexuels, le risque de transmettre le virus à leurs partenaires
sexuels sains s'accentue. Ainsi, un nombre plus élevé de
partenaires sexuel(le)s s'est révélé associé
à une probabilité plus élevée d'infection à
VIH (ONUSIDA, 2002).
L'approche sociodémographique explique pour sa part la
vulnérabilité des femmes au VIH/SIDA par l'âge de la femme,
les violences sexuelles et la migration féminine, mais l'apport d'autres
approches parait considérable à examiner, c'est le cas de
l'approche genre.
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