1.3.2. Mesures spécifiques
a) Patients et soignants, même combat
A côté des infections nosocomiales des malades,
les infections nosocomiales des soignants d'Afrique intertropicale, à
l'évidence négligées et sous-évaluées, ont
un impact individuel certain et des conséquences lourdes pour des
systèmes de santé déjà précaires. Parce
qu'il s'agit de maladies professionnelles, les mesures préventives
relèvent de la responsabilité de l'employeur. Ces mesures sont de
plus un investissement à consentir pour garantir le bon fonctionnement
des systèmes sanitaires (12). Le risque infectieux nosocomial
étant donc partagé par les malades et les soignants, la
prévention doit être globalisée pour le mieux-être de
tous (12).
b) Prévention des infections transmises par le
sang et les liquides biologiques
Le risque de transmission parentérale de
microorganismes est majoré en Afrique intertropicale, où il est
largement dominé par le VIH, les hépatites virales, le paludisme
et la syphilis (10,13). Les principales mesures de prévention sont
bien
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connues et souvent applicables, même si elles peuvent se
heurter à des problèmes de faisabilité et de manque de
rigueur technique.
? Sécurité
transfusionnelle
Le recours aux transfusions sanguines est quotidien en Afrique
intertropicale, tant en contexte chirurgical, obstétrical que
pédiatrique (anémies palustres graves). Les prévalences
élevées du VIH, VHB et VHC dans la population
générale de certains pays exposent inévitablement à
un risque de contamination transfusionnelle (14, 15). Cette situation impose la
limitation des indications de transfusion aux urgences avérées,
une sélection stricte des donneurs, un dépistage
sérologique systématique avec contrôle de qualité,
l'éviction des poches séropositives et la fidélisation des
donneurs « sains » (16). Le risque de syphilis justifie
également un dépistage sérologique systématique et
un stockage de la poche d'au moins 72 h en cas de test positif (17) ou,
à défaut, une antibioprophylaxie si l'utilisation ne peut
attendre. Dans les zones hyper endémiques pour le paludisme, le
dépistage des donneurs peut être remplacé par un traitement
antipaludique systématique des transfusés (17). Enfin, l'asepsie
lors du prélèvement et de la pose de la poche, l'utilisation de
matériel adapté et le strict respect de la chaîne du froid
permettent de limiter le risque de contamination bactérienne (17).
Toutes ces précautions, encore insuffisamment suivies en Afrique (15),
imposent la création dans tous les pays de services de transfusion
sanguine pourvus de moyens et d'autorité (18).
? Sécurité des injections, des
vaccinations et des perfusions
L'OMS estime qu'en Afrique subsaharienne, environ 18% des
injections sont réalisées avec des seringues
réutilisées et/ou des aiguilles non stérilisées
(17). Elles sont responsables d'un nombre mal estimé d'infections
évitables à VIH, VHB ou VHC, dont elles pourraient amplifier les
épidémies dans certains pays (17). À cette
morbidité virale, s'ajoutent les fréquents abcès,
veinites, lymphangites, septicémies iatrogènes...
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La situation est à ce point inquiétante que la
sécurité des injections constitue pour l'OMS un axe majeur dans
la lutte contre l'iatrogénie. L'incitation des soignants et patients
à réduire le nombre massif d'injections abusives est une mesure
indispensable, mais encore illusoire à court terme (5). Former les
soignants à renforcer l'hygiène des injections est
également nécessaire. L'usage de matériel jetable non
stérilisable est également promu, tandis que la solution des
seringues autodestructrices ou sécurisées pour prévenir la
tentation du recyclage est limitée par l'aspect financier. La gestion
des déchets médicaux contaminés (aiguilles, lames...) est
un problème majeur pour la majorité des structures sanitaires,
exposant aux accidents d'exposition au sang ainsi qu'à un recyclage
illégal et dangereux (18). Ainsi, sans oublier qu'une
stérilisation insuffisante expose tout de même au risque viral, le
retour à l'utilisation rationnelle et encadrée de seringues et
aiguilles stérilisables est même considérée par
certains comme une alternative rentable et réaliste aux dispositifs
jetables (18). Enfin, la promotion par l'OMS de pratiques chirurgicales plus
sûres s'appuie sur un guide de bonnes pratiques chirurgicales, insistant
notamment sur la lutte anti-infectieuse au bloc opératoire, l'asepsie et
la stérilisation du matériel (19).
? Prévention des accidents d'exposition aux
liquides biologiques chez les soignants
La réalité des contaminations de soignants
africains par le virus VIH, le VHB ou le VHC après accidents
d'exposition professionnelle au sang ou autres liquides biologiques (10)
justifie plusieurs mesures de protection. Il convient d'insister sur le
bannissement de pratiques à risque comme le recapuchonnage des aiguilles
(20) et sur la promotion de techniques chirurgicales exposant moins les
opérateurs (19, 21). Le dépistage préopératoire
systématique des patients séropositifs pour le VIH n'est pas
retenu de façon consensuelle du fait de son risque de discrimination
thérapeutique. La protection individuelle des soignants au moyen de
gants (notamment plus résistants à la perforation, ou
imprégnés de biocides), de tabliers et de lunettes doit
être encouragée dans les situations qui l'exigent (20, 21).
L'utilisation d'aiguilles à bout mousse n'occasionnerait pas de
surcoût important
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(21). La diffusion de containeurs de type « Safetybox
» destinés au recueil des déchets piquants et tranchants et
la mise en place de réseaux sécurisés pour leur ramassage
et leur élimination (incinération, combustion ou, à
défaut, enfouissement) sont indispensables (20). La vaccination de
rattrapage contre l'hépatite B à l'embauche doit être mise
en place. Par ailleurs, bien que nécessaire, l'instauration de
protocoles post-accident d'exposition aux liquides biologiques avec suivi
sérologique et possibilité de recours aux antirétroviraux
(25), ne doit pas être priorisée par rapport aux mesures
préventives déjà citées (8). Enfin, la
sécurité biomédicale dans les laboratoires face au
maniement d'agents hautement contagieux comme les virus des fièvres
hémorragiques africaines (Ebola...) relève bien évidemment
de cette démarche de réduction du risque nosocomial pour les
soignants.
? Prévention des infections transmises par les
mains sales
Risque universel, y compris en pays développés,
la transmission manuportée d'agents pathogènes lors du contact
entre soignant et patient est très largement négligée en
Afrique intertropicale. Pour preuves, citons les fréquentes infections
de cathéter et de site opératoire, les épidémies de
diarrhée dans les services de pédiatrie, ou la diffusion
intra-hospitalière des BMR... (13). Ceci est d'autant plus inacceptable
que la prévention en est élémentaire et de faible
coût puisqu'elle repose principalement sur un simple changement des
pratiques de soins (22). Les recommandations majeures sont le lavage
régulier des mains au savon et à l'eau propre, doublé
idéalement d'un recours avant et après chaque soin à des
produits hydro-alcooliques, certes coûteux mais qui procurent une
observance bien meilleure, ainsi que l'usage de gants stériles dans les
situations qui l'exigent. Le nettoyage des surfaces inertes des services de
soins, souvent largement contaminées, appartient à la base de
l'hygiène hospitalière, même si son impact sur la
prévention de la plupart des infections reste limité (23). De
plus, les procédures utilisées ne sont pas sans risque pour les
agents et les malades, et exposent à l'émergence de
résistances (6). Quoiqu'il en soit, la salubrité de l'eau
s'avère un élément capital pour l'hygiène des mains
et des surfaces, que les
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structures de soins africaines ne peuvent pas toujours
garantir. Elle constitue un enjeu majeur.
Par ailleurs, l'isolement de contact en chambre seule est
également une mesure ayant fait la preuve de son efficacité.
À défaut, la pratique du « cohorting » de patients avec
la même infection pourrait être étendue, comme lors
d'épidémies de choléra (8).
? Prévention des infections
aéroportées
La transmission aéroportée
intra-hospitalière de la tuberculose est avérée dans les
pays à forte prévalence du VIH - SIDA et elle majore sans
ambiguïté l'expansion
de souches multirésistantes de Mycobacterium
tuberculosis (MDR-TB) et l'émergence de souches
extrêmement résistantes au sein des malades et soignants,
sidéens ou non (13,10). C'est le constat désormais
régulièrement fait à partir d'études de biologie
moléculaire.
La tuberculose ne constitue pas encore une priorité
dans la plupart des programmes de lutte contre les infections nosocomiales,
mais différentes recommandations insistent sur la mise en place de
mesures organisationnelles qui, pour un faible coût, permettent de
réduire de manière efficace la production de gouttelettes
infectantes (6). Elles comportent la recherche précoce des patients
suspects de tuberculose (toux chronique...), leur mise à l'écart
rapide (sortie des files d'attente et installation dans un lieu bien
ventilé...), leur éducation immédiate concernant leur toux
(couverture de la bouche et du nez, fourniture d'un masque de type chirurgical
FFP2), un dépistage rapide par examen direct des crachats et l'isolement
en milieu spécialisé avec instauration d'une multithérapie
antituberculeuse adaptée au statut du patient (primo-infection, rechute,
échec...). Les unités d'hospitalisation doivent organiser la
séparation géographique des patients suspects, des malades
tuberculeux confirmés et bacillifères et des patients avec
possible MDR-TB. Cette démarche doit être doublée d'une
implantation de l'unité « tuberculose » à distance du
site d'accueil des patients fragiles comme les enfants, les personnes vivant
avec le VIH ou atteints d'hémopathies. Idéalement, les patients
bacillifères devraient porter un masque de
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type chirurgical de type FFP2 pour sortir de leur unité
jusqu'à négativation de leur expectoration, mais des obstacles
économiques et culturels en constituent les deux entraves majeures. En
pratique, ces mesures simples et d'efficacité incontestable sont
insuffisamment mises en oeuvre dans les structures de soins africaines (6).
Les mesures de contrôle environnemental visant à
réduire la concentration des gouttelettes dans l'air sont
également essentielles bien que moins efficaces (6). L'irradiation
germicide aux rayons ultra-violets, la filtration de l'air (de type HEPA : High
Efficiency Particulate Air filter) et la ventilation en pression
négative sont évidemment inaccessibles du fait de leur coût
d'achat et de maintenance. À défaut, le renforcement de la
ventilation naturelle, le contrôle de la direction des flux d'air
(ouverture des fenêtres, ventilateurs dirigés vers
l'extérieur) et la « stérilisation » par UV solaires
doivent être promus.
? Prévention des infections transmises par
vecteurs
La transmission nosocomiale du paludisme ou d'arboviroses par
piqûre des moustiques, de malade à malade ou de malade à
soignant, est possible mais non documentée par des études
récentes à notre connaissance. A titre d'exemple, il serait
intéressant d'étudier l'incidence des cas de paludisme survenant
en cours de séjour et le taux de parasitisme des anophèles dans
l'environnement de ces services. La démoustication et les moustiquaires
imprégnées devraient être plus largement utilisées
dans les hôpitaux africains, dans un double but, altruiste pour les
malades infectés et protecteur pour les malades atteints d'autres
pathologies.
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