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Les pouvoirs publics camerounais et la santé des détenus: le cas des prisons de Dschang et de Mantoum, période 1960- 1992

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par Guy Roger Voufo
Université de Dschang Cameroun - Master II en histoire 2009
  

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II. LA PRISON DE MANTOUM

La prison de Mantoum a une particularité par rapport à celle de Dschang qui est un dispositif colonial. C'est en fait dans une atmosphère de trouble qu'elle voit le jour. Il était question pour le régime d'Ahidjo de résoudre un problème ponctuel : pacifier le pays qui a accédé à l'indépendance sur fond de rébellion. Pasma Ngbayou Moluh nous donne la mission d'une telle structure :

L'accession à l'indépendance du Cameroun ne tait pas les contestations intérieures, et le pays demeure instable. Une instabilité entretenue par les activistes de l'Union des Populations du Cameroun qui remettent en question l'autorité de Yaoundé. Alors, il faut selon le pouvoir établi, créer des conditions qui permettent au Cameroun de se bâtir en tant que nation. C'est dans ce contexte que sont crées les centres de Rééducation civique de Mantoum et de Tcholliré en 1962, destinés à accueillir ceux qui rament à contre-courant de la politique menée par le régime en place49.

La mission fondamentale de cette prison au regard de cette affirmation nous permet de comprendre qu'elle est tout simplement un centre d'internement administratif dont la finalité est "d'abriter ceux qui ne sont pas en odeur de sainteté avec le gouvernement ; toute personne taxée, à tort ou à raison de subversion par les autorités, y est envoyée sans aucune forme de procès ou de jugement"50.

Il ressort de ces déclarations que la prison de Mantoum était une prison politique au service du régime du président Ahidjo. Ce dernier voulait faire régner l'ordre et la sécurité au mépris même des droits fondamentaux de l'homme51. Ce centre de réclusion, sorte de "Goulag local", a connu une évolution qui peut être découpée en deux séquences dont les implications ont marqué d'une tache indélébile l'histoire politique du Cameroun postcolonial.

49 Ngbayou, "Le centre de ...," 2004-2005, p.3.

50 Ibid. p.12

51 Martin Messing, 70 ans, employé de bureau à la retraité, Yaoundé, 21.04.2010.

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Jusqu'en 1992, la prison de Mantoum a connu deux dénominations qui, en réalité, n'ont en rien modifié sa mission principale de réorientation des comportements de ceux que le président Ahidjo qualifiait d'"excités", de "bandits", de "révolutionnaires" et de "subversifs52". Même si cette prison accueille plus tard les détenus de droit commun, force est de constater qu'elle demeure de triste mémoire pour les Camerounais. En témoignent ces propos de Jean Baptiste Awono Balogué, Inspecteur d'Arrondissement de l'Enseignement Primaire et Maternel du Noun en date du 20 septembre 1992 :

J'ai eu avec ma femme et mon fils aîné, l'honneur de visiter la prison de Mantoum qui pour nous représente un "souvenir inoubliable" pour avoir accueilli plusieurs dizaines de personnes de chez moi. Nul ne croyait que la prison de Mantoum était implantée ici au Cameroun. Tellement, la description qu'on n'en a toujours faite est horrible....53.

De ces propos, il faut relever d'abord que la prison de Mantoum a été pour l'imaginaire collectif un centre de concentration pour de nombreuses personnes d'horizons divers. Ensuite les récits populaires ont fait croire qu'elle était située dans un pays autre que le Cameroun. Enfin, il convient de dire qu'elle semblait être un îlot où toutes les horreurs dépassant l'entendement humain étaient commises.

Il importe à présent de nous interroger sur les mobiles réels ayant guidé le choix du site du "Centre de Rééducation Civique de Mantoum", son architecture tant du point de vue des locaux administratifs que du bloc de détention. La carte ci-dessous donne la situation géographique du pénitencier de Mantoum dans le département du Noun.

52 Victor Kamga ; Duel camerounais : démocratie ou barbarie, Paris, L'Harmattan, 1990, p.27.

53 Main courante, prison principale de Mantoum, garde du 19 au 20.11.1992.

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Carte N° 3 : Localisation de la prison de Mantoum dans le Département du Noun

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A. Le Centre de Rééducation Civique de Mantoum (19621975)

C'est dans une atmosphère de contestation du régime du président Ahidjo que le centre de rééducation civique de Mantoum voit le jour. Pour ses concepteurs, il fallait étouffer dans l'oeuf toute velléités d'opposition au nouveau régime.

Il faut noter que c'est à la suite de la tenue de deux réunions et concertations interministérielles, respectivement les 11 et 31 janvier 1962 à Yaoundé que la décision relative à la création des Centres de Rééducation Civique est prise. Au terme des débats entre les responsables des départements ministériels convoqués à cette occasion, la convergence des points de vue aboutit à l'idée selon laquelle deux centres d'internements administratifs peuvent être créés à travers tout le territoire national. Le Bamoun et le Nord-Cameroun sont choisis pour l'occasion comme lieu d'implantation. Le calme qui règne dans ces deux régions est déterminant dans ce choix.

C'est donc fort de cela que Mantoum en région Bamoun est choisi pour l'implantation d'un centre de rééducation civique. Ce choix fut motivé et guidé par la présence au gouvernement d'Arouna Njoya, Ministre de l'Intérieur et natif de la région Bamoun54.

En respect des recommandations relatives à l'installation des Centres de Rééducation Civique loin des grands centres afin de favoriser le dépaysement des détenus, l'isolement constant fut ainsi évoqué pour éviter tout contact entre la population et les "assignés" taxés de "dangereux". Aussi, cet isolement brisait toute tentative d'évasion qui se compliquait avec l'hostilité de la nature, la présence de la forêt et du fleuve Mbam situé à l'Ouest de Mantoum.

54 Entretien avec Ibrahim Njoya, 48 ans, R.A.PPM, 17.08.2009.Il convient aussi de dire que de manière stratégique, les Français à l'époque coloniale avaient déjà choisit Mantoum comme lieu d'internement du Roi Njoya avant sa déportation à Yaoundé où il meurt en 1933.

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Le Centre de Rééducation Civique de Mantoum se situe à 10 kilomètres environ de Malantouen.55 Il s'impose par son architecture et son gigantisme qui, au fil du temps, ont donné un cachet particulier à cet arrondissement. La disposition des compartiments de cette geôle à plus d'un titre permet de la scinder en deux principaux blocs : le bloc administratif et le bloc de détention.

Le bloc administratif du Centre de Rééducation Civique de Mantoum est détaché du bloc de détention. Il compte quatre bureaux aux dimensions identiques. Le bureau du directeur devenu aujourd'hui celui du régisseur se trouve du côté droit de cet édifice. En face de ce bureau, nous avons le bureau de sécurité dirigé à l`époque du Centre de Rééducation Civique par un chef service de sécurité assisté d'un agent de renseignements généraux qui, sur le plan hiérarchique, dépendait du Service des Etudes et de la Documentation (SEDOC)56, principal pourvoyeur d'internés ou assignés. Les deux autres compartiments sont les bureaux réservés à l'ère du C.R.C. aux enquêtes et aux affaires financières. L'administration du centre à travers son organisation se résume à un seul rôle : s'occuper des "assignés" qui sont des détenus politiques enfermés sans aucune forme de procès. La photographie qui suit présente le bloc administratif de la prison de Mantoum.

55 Mukong, Prisoner without...., 1989, p.62. Ibrahim Njoya parle plutôt de 11 kilomètres environ.

56 Le SEDOC signifie Service des Etudes et de la Documentation, crée par le régime du président Ahidjo comme service de renseignements. C'est un organisme qui remplissait les fonctions d'une "police spéciale". Il était chargé de récolter toutes les informations pouvant nuire à la sécurité de l'Etat. Jean Fochivé fut nommé à la tête de ce service en mai 1960. A ce poste, il se montra essentiellement répressif envers les opposants au régime du Président Ahidjo.

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Photo N° 3 : Bloc administratif du CRC de Mantoum

Source: Guy Roger Voufo, 26 juillet 2010 à Mantoum

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Le bloc de détention constitue le véritable camp de Mantoum. Détaché du bloc administratif, il est impressionnant par sa taille. Doté d'une clôture de 150 mètres de côté et 15 mètres de hauteur, le bloc de détention est constitué de deux compartiments au système d'emprisonnement en commun. De 1962 à 1975, les assignés travaillaient ensemble le jour et dormaient dans un même quartier la nuit. Pour Jacques Voulet, "c'est le système le plus simple, l'organisation de la vie carcérale y est plus facile et surtout économique"57. Etant la pièce maîtresse du dispositif, le bloc de détention dispose aussi de deux miradors de plus de 25 mètres de hauteur qui permettent d'avoir une vue aérienne de tout ce qui se passe dans le centre mais aussi à des kilomètres à la ronde58. Dans l'ensemble, le bloc de détention est constitué de 24 cellules avec une capacité d'accueil de 55 places soit 3m2 par détenu59. La hauteur maximale de chaque cellule est de 10 mètres. L'infrastructure matérielle de Mantoum se divise en deux quartiers : le quartier des hommes et le quartier des femmes.

Le quartier des hommes du C.R.C de Mantoum se trouve du côté droit dès que l'on franchit le portail central. C'est un ensemble de 12 cellules qui donnent sur la grande cour intérieure dotée d'un stade de football. Les locaux de ce quartier sont construits en dur. Compte tenu du nombre assez limité des détenus femmes, certains locaux du quartier des femmes abritent le trop plein du quartier des hommes. Mais l'on veillait à une stricte séparation de ces deux catégories d'assignés.

Dans l'ensemble, le quartier des hommes abritait tous les individus venant des régions où était décrété l'état d'urgence60 et ceux tombés sous le coup de

57 Voulet ; Les..., 1951, p.86.

58 Ngbayou, " Le centre de ..., "2004-2005, p.70.

59 Entretien avec Ndam Mama, 66 ans, ancien gardien du CRC de Mantoum, Njikoudou, 25.08.09.

60 L'état d'urgence se matérialise par l'ordonnance n°60-2 du 12 janvier 1960 (cf JORFC n°1351 de février 1960) et celle du 04 octobre 1961. Les décrets n°62-DF-373 du 8 octobre 1962 et n°64-DF-436 du 9 novembre 1964 (voir JORFC n°20 du 15 octobre 1962 et n°22 du

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l'ordonnance portant répression de la subversion61. Ce sont des détenus politiques communément appelés "assignés" dont le gros était composé des upécistes interpellés dans les localités du Nyong et Kellé, la Sanaga Maritime et la Région Bamiléké62. L'ordonnance portant répression de la subversion a surtout frappé la congrégation des témoins de Jéhovah considéré par le régime Ahidjo de subversive, car ses membres remettent en cause l'ordre établi à travers le refus systématique de participer à la vie politique de la nation, notamment l'abstention au vote63. Cette forme de répression systématique se poursuit même jusqu'à l'intérieur du camp des assignés. C'est ainsi qu'en date du 19 février 1970, une punition disciplinaire de 15 jours d'enfermement cellulaire est infligée aux assignés Njicki François et Messing Martin pour injures publiques à Madame Gbetkom Salomon (gardien du CRC) pour propos subversifs en ces termes : "même si vous êtes la femme d'Ahidjo"64 le même type de punition est infligée à l'assigné Engola Abessolo Simon. Les termes accusateurs sont :

Elément pro-rebelle (sic). En outre après avoir perpétré plusieurs actes d'indiscipline notoire malgré les conseils et rappel à l'ordre du directeur du centre de rééducation civique, l'intéressé est allé de l'avant en tentant de soulever les témoins de Jéhovah contre l'ancienne interdiction de prêcher à tout assigné. A cette occasion, il a publiquement déclaré qu'il était contre le régime actuel65.

Toutes ces punitions montrent que la rééducation avait pour objectif d'amener les assignés à vibrer en phase avec l'ordre établi et surtout accepter

15 novembre 1964). Les départements frappés par l'état d'urgence sont : Ndé, Mifi, Haut-Nkam, menoua, Bamboutos, Nkam, Wouri, Mungo, Nyong et Sanaga, Mbam, Sanaga-Maritime, Dja et Lobo, Nyong et Kellé, Ntem, Victoria, Mamfé, Kribi, Kumba et Bamenda.

61 Ordonnance n°62-OF-18 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion. Quelques figures politiques de cette époque ont été condamnées en vertu de cette fameuse ordonnance. Il s'agit d'André Marie Mbida, de René Guy Okala, de Théodore Mayi Matip et de Marcel Bebey Eyidi : (à propos, lire Pierre Ela ; Dossiers noirs sur le Cameroun, Paris, éditions Pyramide papyrus presse, 2002).

62 Ngbayou ; "le centre de...", 2004-2005 p.25.

63 Ibid.p.26.

64 Main courante, sécurité, C.R.C. de Mantoum, p480.

65 Ibid. P.484.

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contre leur bonne foi le régime autoritaire du président Ahidjo en faisant une allégeance sans faille aux autorités administratives de même qu'au gouvernement fédéral et à ceux des Etats fédérés. La substance de cet objectif est contenue dans l'article 2 de l'ordonnance de 1962 qui dit :

Quiconque aura par quelque moyen que ce soit, porté atteinte au respect dû aux autorités ou incité à la haine contre le gouvernement de la république fédérale ou des Etats fédérés, ou participé à une entreprise de subversion contre les autorités et les lois de ladite république ou des Etats fédérés, ou encouragé cette subversion sera puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 200.000 à 2 millions de francs [...]66.

Cette loi, à n'en point douter, a également cloué au pilori d'autres camerounais qui n'étaient ni des sympathisants de l'Union des Populations du Cameroun, ni de la congrégation des témoins de Jéhovah, mais de simples citoyens qui exprimaient juste leur opinion sur l'environnement politique du pays ou tout simplement parce qu'ils avaient des joutes verbales avec les Camerounais originaires de la région du Nord, région de naissance du Président Ahidjo. Au camp de Mantoum, l'ambiance qui règne dans le quartier des hommes semble être différente de celle du quartier des femmes, d'ailleurs moins nombreuses parmi la population carcérale.

Quant au quartier des femmes du centre ; il se trouve à gauche après l'entrée principale. Au départ, il est constitué de 6 cellules, mais l'effectif très réduit des assignées - femmes avait amené le directeur Tanebi à confiner ce quartier à une seule cellule mais spacieuse, le reste étant attribué aux hommes67. Le quartier des femmes était doté d'une cuisine, d'une douche et des latrines qui sont localisées dans un même endroit. Les femmes qui se trouvant dans ce quartier étaient en grande partie enfermées pour leurs convictions religieuses et non politiques. Elles étaient presque toutes des adeptes de la congrégation des témoins de Jéhovah qui refusaient de participer au vote, de saluer le drapeau

66 Abel Eyinga, Introduction à la politique camerounaise, Paris, L'Harmattan, 1984, p.300.

67 Ndam Mama, 66 ans, ex-gardien du CRC de Mantoum, Njikoudou, 25.08.2009.

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national et surtout de chanter l'hymne national68. D'ailleurs, en 1968, près de 100 assignés furent libérés mais les témoins de Jéhovah surtout n'en bénéficièrent pas, car pour les autorités, leur comportement n'avait pas changé69. La seule chose qui choquait le plus souvent dans ce quartier était les coupures intempestives de courant dues au manque de carburant dans le groupe électrogène du centre. C'est ainsi que les dortoirs, en journée, n'étaient pas bien aérés tant et si bien qu'en plein jour on se serait cru dans les ténèbres de la nuit. Disposant d'une cuisine, les femmes préparaient elles-mêmes leur propre nourriture, mais la ration donnée par les responsables du centre était toujours insuffisante en quantité comme en qualité70. Une vue du quartier masculin du pénitencier de Mantoum est donnée par la photographie suivante.

68 68 Ndam Mama, 66 ans, ex-gardien du CRC de Mantoum, Njikoudou, 25.08.2009.

69 Marie Mengong, 67 ans, ex assignée C.R.C de Mantoum, Akonolinga, 03.04.2010.

70 Ibid.

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Photo N° 4 : Une vue du quartier masculin et du stade de football de la

prison de Mantoum

Source : Guy Roger Voufo, 26 Juillet 2010 à Mantoum

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