C. Les décès
L'univers carcéral quel que soit le régime
appliqué, génère non seulement des maladies, mais aussi
des décès qui apparaissent comme un révélateur de
l'impuissance et un malaise des autorités pénitentiaires face
à ce drame tragique51. Dans l'ensemble, les
décès sont causés par la permanence des pathologies
liées à l'environnement carcéral. A la prison de Dschang,
les risques de maladies provoqués par le froid intense de la saison de
pluie se trouvaient accrus par l'absence quasi-permanente de lits, et quand
bien même il y en avait, la literie faisait défaut. Les
détenus s'entassaient sur des lits en bambou et ceux qui ne trouvaient
pas de place dormaient à même le sol52. On comprend
dès lors qu'une telle situation conjuguée avec une alimentation
insuffisante en quantité et en qualité débouche sur des
maladies dont les unes soient aussi meurtrières que les autres. Aussi,
les méthodes élémentaires d'hygiène
appliquées de manière approximative et le trop plein des cellules
ne pouvaient que contribuer à créer un terrain propice aux
maladies- Les épidémies carcérales de gale de 1976 et de
diarrhée de 1984 en sont des preuves évocatrices- diverses parmi
lesquelles la diarrhée, le paludisme et la pneumonie.
Outre la diarrhée et le paludisme, la santé des
détenus à Dschang était menacée en permanence par
d'autres maladies telles que les infections gonococciques, la hernie, la
bilharziose intestinale et de nombreuses maladies hautement contagieuses. Le
tableau ci-dessous donne une vue panoramique des décès
enregistrés à la prison de Dschang pour les années dont
nous avons retrouvé les données.
51 Alioum : "Les prisons au ...", 2006, p.168.
52 Entretien avec Martin Djoufack, 67 ans, détenu, PPD,
03.02.2010. De nos jours, l'inflation carcérale garde les détenus
dans ce même état.
98
Tableau n°8 : Prison de Dschang : Origines des
décès des détenus de 1974 à 1990.
Année pathologies
|
1974
|
1976
|
1980
|
1982
|
1983
|
1984
|
1990
|
Total
|
Diabète
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
01
|
Pneumonie
|
02
|
02
|
01
|
01
|
01
|
/
|
/
|
07
|
MST
|
/
|
02
|
01
|
/
|
/
|
01
|
/
|
04
|
Epilepsie
|
01
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
02
|
Bilharsiose(sic)
|
02
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
02
|
Paludisme
|
01
|
/
|
02
|
01
|
02
|
01
|
02
|
09
|
Otites
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
/
|
/
|
01
|
Mort subite
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
/
|
/
|
01
|
Hernie
|
/
|
/
|
/
|
01
|
01
|
/
|
/
|
02
|
Tuberculose
|
/
|
/
|
/
|
02
|
/
|
/
|
/
|
02
|
Varicelle
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
/
|
02
|
Prurit
généralisé
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
/
|
01
|
Diarrhée
|
/
|
04
|
01
|
/
|
/
|
06
|
01
|
12
|
Blennorragie
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
02
|
Total
|
06
|
08
|
05
|
08
|
06
|
09
|
06
|
48
|
Source : Compilation faite à partir
des données contenues dans les registres de consultations
médicales et d'écrou de la prison de Dschang pour les
années suivantes : 1974, 1976, 1980, 1982, 1983, 1984, 1990.
Mis à part les années dont nous n'avons pu
retrouver les données, la prison de Dschang enregistre entre 1974 et
1990, 48 décès parmi les détenus ; ce qui donne une
moyenne annuelle de 6, 85 décès. 12 de ces décès,
soit 25 % sont causés par la diarrhée. Le paludisme et la
pneumonie sont aussi responsables respectivement de la mort de 09 et 07
détenus au cours de ces années indiquées. Nous ne
négligeons par les maladies sexuellement transmissibles qui figurent
pour 8, 33% dans la colonne des causes ayant provoqué la mort des
pensionnaires. Les taux de décès les plus élevés se
recensent en 1976, 1982 et 1984. Les années 1974, 1983 et 1990 occupent
respectivement la quatrième, la cinquième et la sixième
position de ce macabre palmarès.
La prison de Mantoum quant à elle présente les
mêmes types de pathologies qui ont conduit au décès d'un
grand nombre de ses pensionnaires. A
99
la différence du pénitencier de Dschang,
certaines pathologies, à l'instar des hémorroïdes, de
l'hypertension artérielle et de la gastro-entérite y sont
particulières, car elles ne relèvent pas directement des
mauvaises conditions de détention. D'autres par contre sont intimement
liées à la précarité des conditions de vie et leur
prévalence est source de nombreux décès survenus dans la
prison. Le tableau ci-après présentant l'état des
décès dans cette prison de 1976 à 1992 illustre à
suffisance nos propos.
Tableau n°9 : Prison de Mantoum : pathologies ayant
causé les décès des détenus de 1976 à
1992.
Année pathologie
|
1976
|
1977
|
1978
|
1982
|
1984
|
1987
|
1988
|
1990
|
1992
|
Total
|
Hémorroïde
|
01
|
/
|
02
|
01
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
06
|
Syndrome infectieux
|
01
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
01
|
/
|
/
|
03
|
Phtisie
|
01
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
02
|
Paludisme
|
01
|
02
|
02
|
/
|
02
|
01
|
/
|
01
|
01
|
10
|
Douleurs pulmonaires
|
/
|
01
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
/
|
/
|
02
|
Coliques
|
/
|
03
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
|
02
|
06
|
Rétrécissement urétrale (sic)
|
/
|
/
|
01
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
02
|
Diarrhée
|
/
|
/
|
03
|
02
|
02
|
01
|
01
|
02
|
/
|
11
|
Epilepsie
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
01
|
01
|
/
|
03
|
Amibiase
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
01
|
/
|
02
|
/
|
04
|
Tuberculose
|
/
|
/
|
/
|
/
|
02
|
/
|
01
|
02
|
/
|
05
|
Toux
quintense (sic)
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
01
|
/
|
/
|
03
|
MST
|
/
|
/
|
/
|
02
|
/
|
01
|
01
|
/
|
01
|
05
|
Pneumonie
|
/
|
01
|
/
|
01
|
/
|
01
|
02
|
/
|
/
|
05
|
Hypertension artérielle
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
02
|
Gastro-entérite
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
/
|
/
|
01
|
03
|
Anémie
|
/
|
/
|
/
|
/
|
01
|
/
|
01
|
/
|
01
|
03
|
Total
|
04
|
07
|
08
|
08
|
08
|
10
|
12
|
08
|
10
|
75
|
Source : Compilation faite à partir
des données contenues dans les registres de consultations
médicales, de main courante et d'écrou de la prison de Mantoum
pour les années suivantes : 1976, 1977, 1978, 1982, 1984, 1987, 1988,
1990, 1992.
Une observation attentive du tableau qui précède
montre que de 1976 à 1992, la prison de Mantoum a enregistré 75
décès parmi la population carcérale. Il se dégage
donc une moyenne annuelle de 8, 33 % décès dont 11 et 10 sont
100
causés respectivement par la diarrhée et le
paludisme. Ces deux pathologies sont liées aux conditions
d'hygiène et de couchage somme toute médiocres. Les années
1987, 1988 et 1992 enregistrent les taux de décès les plus
élevés.
Au total, la crise du personnel médical
conjuguée à des conditions de détention déplorables
expliqueraient et justifieraient tous ces décès. De plus, la
méfiance et la peur des évasions sont à mettre à
l'actif des décès. En effet, "les prévenus ne peuvent
bénéficier d'une consultation en dehors de la prison ou d'une
évacuation sanitaire qu'après accord du procureur. Du fait des
lenteurs administratives, l'autorisation arrive parfois après le
décès du malade".53
En définitive, de 1960 à 1992, les prisons de
Dschang et de Mantoum ont fait face à des maladies diverses auxquelles
étaient exposés les détenus. Les nombreuses pathologies
recensées, bien qu'ayant fait l'objet de consultations et
d'hospitalisations, étaient liées à l'hygiène
approximative, à la promiscuité dans les cellules, aux mauvaises
conditions de couchage, à l'alimentation et à l'eau. A la prison
de Mantoum par exemple, ce sont les détenus corvéables à
merci qui ravitaillaient la prison en eau au cours de la décennie 1990
du fait que la prison ne disposait pas de point d'eau. La crise de l'eau a
d'ailleurs fait l'objet de la correspondance N° 114/L/REG/PP/MANT du 28
décembre 1992 du régisseur Gabriel Tchamani à Monsieur le
Vice premier Ministre chargé de l'Administration Territoriale à
Yaoundé. Dans cette correspondance, le régisseur sollicitait un
crédit spécial de renforcement du pénitencier et
d'aménagement de point d'eau à hauteur de 800.000 F
CFA54. Comme quoi, l'eau était une denrée rare dans
l'enceinte de la prison de Mantoum. En plus des maladies de la peau comme la
gale - Kotomalongo en Jargon carcéral- et celles liées au froid
comme la pneumonie, l'otite et le rhume, s'ajoutent les maladies
vénériennes (syphilis, blennorragie etc....) la hernie, la
diarrhée et le paludisme qui témoignent du mauvais état
général de la santé des pensionnaires. La dure
53 Fabien Tsafack, entretien du 03.02.2010 à la PPD.
54 APM, Correspondance n°114/L/REG/PP/MANT du 28.12.1992.
101
réalité carcérale et l'absence totale du
suivi psychiatrique ont généré aussi des tentatives de
suicide et la consommation des drogues pouvant induire des troubles de
comportement chez les détenus.
La prise en charge médicale des détenus des deux
prisons, malgré l'aide constante des bonnes volontés s'est le
plus souvent montrée défaillante, ce qui a conduit à
l'enregistrement de nombreux décès qui symbolisent l'impuissance
du système pénitentiaire au Cameroun post-colonial. Toutes ces
défaillances et lacunes conjuguées aux conditions
précaires de détention ne font que renforcer l'idée
d'après laquelle "les prisons camerounaises sont puantes et sales. On y
meurt bien souvent avant d'avoir fini de purger sa peine. On ne souhaite
à personne d'y séjourner"55.
Aussi, l'étude du cadre global du droit à la
santé des détenus dans les prisons de Dschang et de Mantoum
à travers l'etude des différentes structures des soins
médicaux et le régime des inspections sanitaires renseigne sur
leurs caractères communs et distinctifs.
55 RJ. Lique, in Africa International 1991, p16,
cité par Krystelle Ntegomo, "les droits de l'homme dans le milieu
carcéral de Dschang", Mémoire de Maîtrise en droit,
Université de Dschang, 1997-1998, p.22.
102
CHAPITRE IV : ETUDE DES STRUCTURES DE SOINS MEDICAUX ET DU REGIME DES
INSPECTIONS SANITAIRES DE 1960 A 1992
|
103
Dans la classification générale des droits de
l'homme, le droit à la santé appartient aux droits de la seconde
génération encore appelés des droits créances,
c'est-à-dire des "droits dont la réalisation est
subordonnée à l'organisation des services publics par
l'Etat"1. Prosaïquement, ils n'exigent pas de l'Etat une
abstention mais plutôt une action et généralement une
prestation2. Mais, cette vision globalement adoptée ne doit
pas occulter le fait que c'est à l'individu de prendre d'abord soin de
sa santé avant de faire appel à l'Etat. Tel semble être ce
que doit faire le détenu des prisons de Dschang et de Mantoum de 1960
à 1992. Le cadre général de ces pénitenciers est
organisé après 1960 par l'arrêté du 08 juillet 1933
et le décret du 11 décembre 1973 portant régime
pénitentiaire au Cameroun et offre l'essentiel des infrastructures
indispensables au droit à la santé des détenus.
Dans l'ensemble, ces textes organiques prescrivent
l'aménagement des structures de soins médicaux à l'usage
des détenus et prévoient, parallèlement, des inspections
sanitaires à divers niveaux pour assurer la santé des
détenus. Faisant de la santé des détenus une
préoccupation particulière, ces textes sont proches par leur
esprit des règles minima relatives au traitement des détenus -
objet de la résolution du Conseil Economique et Social de l'Organisation
des Nations Unies du 13 Juillet 1955-. Ainsi, ce chapitre ambitionne de
revisiter dans leur ensemble les structures de soins médicaux des
prisons de Dschang et de Mantoum d'une part et d'autre part, le régime
des inspections sanitaires au sein de ces pénitenciers.
1 Jean Rivero, Les libertés publiques, Tome 1,
Paris, PUF, 1981, p.111.
2 Benjamin Boumakani, Démocratie, droits de l'Homme et
Etat de droit, annales de la FSJP, Université de Dschang, Tome 1,
volume 2, 1997, p.6.
104
|