II .LE SUIVI MEDICAL DES DETENUS
Le droit à la santé est une prérogative
reconnue à tout détenu de se faire administrer des soins en cas
de maladie. Sur le plan médical, le suivi rigoureux de l'état
sanitaire des détenus vise la préservation de la vie de ces
derniers. A la prison de Dschang comme à celle de Mantoum de 1960
à 1992, les autorités médicales compétentes ont
déployé des efforts -même si ceux-ci ont été
insuffisants - pour faire de la santé des détenus une
préoccupation particulière. Le suivi médical des
détenus est en effet handicapé par une insuffisance criarde de
crédits alloués aux soins de santé et par un
déficit en matière de couverture sanitaire. Tous les manquements
constatés dans le suivi médical aboutissent à un
même résultat : celui du nombre élevé de
décès dans les deux prisons.
A. Insuffisance des crédits spécifiquement
alloués aux soins de santé L'entretien des
détenus qui implique le déclenchement d'un certain nombre de
droits inaliénables ne s'effectue pas toujours sans heurts au grand dam
des locataires des prisons à cause de l'insuffisance des crédits
alloués aux
40 APD, registre de consultations médicales, 1990.
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soins de santé. En effet, l'institution d'une
allocation globale d'entretien constitue le premier handicap pour une
réponse efficiente aux problèmes de santé des
détenus41. Cette situation rend donc problématique le
suivi médical des pensionnaires aussi bien pour le pénitencier de
Dschang que pour celui de Mantoum. Les autorités pénitentiaires
camerounaises reconnaissent elles-mêmes ces défaillances car,
Dans la pratique de la répartition de l'enveloppe
globale, la part revenue à la santé relève jusqu'à
présent du bon vouloir des régisseurs qui, dans la plupart des
cas, relèguent au second plan la santé en voulant
privilégier l'alimentation ; dans cette situation de l'arbitraire les
proportions sont souvent de l'ordre de 1/10 au détriment de la
santé42.
De ces propos, nous ne pouvons tirer qu'une une leçon :
La santé des détenus bien que régie par les textes
réglementaires est reléguée au second plan par les
responsables pénitentiaires. Ainsi, le détenu qui est
déjà meurtri dans sa chair par l'emprisonnement et ses
corollaires subit un second choc qui est le peu de considération
accordée à sa santé.
Les restrictions budgétaires, dans leur
diversité expliquent le peu d'enthousiasme accordé à la
santé des détenus. L'infirmier chef de la prison principale de
Dschang déclarait dans un constat d'impuissance : "Les moyens
alloués s'avèrent insuffisants pour faire face aux
problèmes de santé parfois complexes. De plus, le fait que le
crédit dédié à la santé soit soumis à
la procédure du bon d'engagement - impôts et taxes diverses - en
réduit encore le montant"43.
Cette affirmation vient confirmer davantage le principe de
l'insuffisance des moyens financiers pour résoudre efficacement les
problèmes de santé des détenus. Pour le régisseur,
le budget de la prison ne permet pas de s'occuper
41 Michel Woumlack et Ibrahim Njoya, entretien du 17.08.2009
à Mantoum.
42 Delphin Zono Nga Onana, "Evaluation de l'effectivité
des droits de l'homme et de la sécurité en milieu
carcéral", in séminaire national des responsables des
établissements pénitentiaires, Palais des Congrès 20,
21 et 22 octobre 2003, pp56-57.
43 Isaac Piedjo, entretien du 03.09.2009 à Dschang
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rationnellement de la santé des pensionnaires,
situation qui empire avec des prélèvements d'impôts et
autres taxes. Sur un tout autre plan, quand on sait que l'allocation moyenne
d'entretien par détenu en elle-même se situe en deçà
du seuil tolérable, il y a lieu tout simplement de s'apitoyer du sort
réservé à la santé des pensionnaires. A ceci
s'ajoute un déficit chronique de couverture sanitaire.
B. Le déficit en matière de couverture
sanitaire
La couverture sanitaire qui est l'équilibre constant
entre le personnel soignant, le nombre de malades et les infrastructures
constitue en elle-même un autre handicap dans le suivi médical des
détenus des prisons de Dschang et de Mantoum. En effet, l'effectif du
personnel soignant est en - deçà des normes requises. Il est
évident qu'un tel effectif44 ne saurait assurer un meilleur
encadrement sanitaire de la population carcérale des deux
pénitenciers, la priorité étant accordée aux
prisons de grande importance45. Ceci dit, la prison de Dschang
bénéficiait en 1983 des services de trois infirmiers46
alors que la population carcérale était estimée à
322 personnes. La population carcérale du pénitencier de Mantoum
en 1978 était estimée à 490 personnes pour un seul
infirmier, du nom de M. Benoît Essougou47. En 1990, le
personnel soignant n'a pas augmenté ; il est toujours d'un seul
infirmier pour une population carcérale
44 Au moment de nos enquêtes sur le terrain, les
deux prisons disposent chacun d'un infirmier et le plus souvent, c'est un
détenu qui assiste ce dernier dans son travail.
45 Il s'agit dans le cas d'espèce des prisons centrales
d'orientation ou de sélection créées par le décret
n°73/774 du 11 décembre 1973 portant régime
pénitentiaire au Cameroun. Aux termes de l'article 3 de ce
décret, les prisons centrales ou d'orientation sont implantées
aux chefs-lieux de province et reçoivent : les personnes
condamnées à des peines d'emprisonnement dont la durée
excède un an, avant orientation dans des prisons appropriées
après une période d'observation. Tous les mineurs de moins de 18
ans condamnés par les tribunaux ou placés dans un centre de
rééducation pour observation et orientation. Les personnes
condamnées à de courtes peines par les juridictions de la
province.
La réforme pénitentiaire de 1992 fera d'elles
des prisons centrales -confère article 9 alinéa 1. Mais, par
arrêté n°0230 - A- MINAT-DAPEN-SEP du 4 juin 1992, les
prisons centrales sont implantées dans les chefs-lieux de province et en
plus des catégories pénales citées plus haut, elles
reçoivent aussi les évacués sanitaires qui ne peuvent
recevoir un traitement approprié dans les ressorts administratifs de
leurs prisons d'incarcération.
46 Fabien Tsafack, détenu, entretien du 03.02.2010
à la PPD.
47 APM, registre de Main courante, 1978.
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de 320 personnes. L'infirmier de l'époque, le sieur
Gilbert Djami faisait beaucoup plus face à des problèmes de
santé relatifs au paludisme, aux coliques et aux dermatoses diverses.
D'ailleurs, il est fait état de son intervention rapide qui a pu sauver
in extremis le détenu Gaston Koumétio souffrant d'un paludisme
chronique qui le mettait souvent dans un état de convulsion
prononcé48.
Dans la prison de Dschang en 1990, un seul infirmier - major
des prisons, le Sieur Isaac Piedjo- s'occupait seul des ennuis de santé
de la population carcérale de 318 personnes. C'est grâce à
son professionnalisme que le détenu Daniel Fopa a été
sauvé d'une crise mentale. Il a été évacué
à l'hôpital central et annexe Jamot de Yaoundé en Janvier
199049. Le registre de consultations médicales de la
même année ressort d'ailleurs qu'il "y a lieu de souligner le
retour dans notre établissement du détenu Daniel Fopa, lequel
était transféré...pour troubles psychiques. Ajoutons pour
s'en réjouir l'absence jusqu'ici de signes symptomatiques faisant penser
à la rechute éventuelle du patient50"
Sous le prisme des considérations
supplémentaires dont doivent bénéficier les détenus
malades, le personnel médical des deux prisons est très
insuffisant pour encadrer efficacement la population carcérale toujours
nombreuse. Malgré cette insuffisance, il s'atèle néanmoins
à assurer le droit à la santé de cette population. Les
exemples cités plus haut illustrent à suffisance cette vision des
choses. Cette couverture sanitaire somme toute insuffisante est une
véritable entorse qui apparaît comme du plomb logé dans les
ailes de l'administration pénitentiaire camerounaise et plus
particulièrement des prisons de Dschang et de Mantoum. Combinée
au régime alimentaire médiocre, aux conditions de couchage sans
cesse mauvaises et à une hygiène approximative, l'insuffisance de
la couverture sanitaire est à l'origine de nombreuses maladies
48 APM, registre de Main courante, 1990.
49 APD, registre de consultations médicales, 1990
50 Ibid.
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qui entraînent d'innombrables décès dans
la population carcérale des deux prisons.
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