CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE
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L'étude de la variable « bien » sur laquelle
agit la protection de la santé pour limiter la liberté
d'entreprendre nous a appris qu'elle est sujet à une certaine
diversité. En effet, nous avons vu qu'il est essentiel pour
appréhender l'action protectrice de la santé dans un contexte
économique de s'interroger sur la nature du bien ou sa destination. Nous
avons ainsi appréhendé des biens d'une nature substantiellement
dangereuse, des biens dont la provenance d'un corps humain justifiait un
traitement juridique particulier, des biens dont la nature était
susceptible de provoquer des dépendances chez le consommateur, et,
enfin, des biens dont la destination est le soin, lato sensu, des personnes
humaines. Cette diversité de natures des biens a pu justifier
différents procédés d'encadrement juridique de leur
circulation allant de la mise hors du commerce, à l'autorisation
préalable, en passant par des contrôles durant leur
commercialisation ou même de simples déclarations administratives
préalables.
Mais au-delà de la nature ou de la destination du bien,
nous avons vu que le degré de contrainte juridique pouvait varier en
fonction de l'utilisation du bien, et même à titre
préventif. Ainsi, certains biens subissent des interdictions du fait de
leur dangerosité vérifiée dans des conditions normales
d'utilisation. En outre, des logiques préventives ont pu apporter des
limitations opposables à des biens parce qu'ils pouvaient
présenter un risque pour la santé en cas d'excès de
consommation. Le comportement des individus face à certains biens n'est
donc pas étranger à ces différentes mesures.
Dans ces différentes illustrations, nous avons de
même pu observer que la logique économique n'entre pas
nécessairement dans le processus de mise en oeuvre des limitations de
circulation des biens. Dès que la santé est en jeu, qu'importe
les pertes, les restrictions sont en principe mises en oeuvre. Ces politiques
ont pu toutefois conduire à certains excès de la part des
décideurs publics, notamment au regard du sévère
encadrement de la publicité sur les boissons alcoolisées.
Nous conclurons en affirmant que cette étude nous a
donné le sentiment que la protection de la santé est probablement
l'un des principes les plus efficaces permettant de justifier des restrictions
au commerce de bien, que l'on soit dans un contexte national ou dans un
contexte européen.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Confronter deux principes à valeur constitutionnelle,
l'un non défini par le droit et l'autre évolutif dans le temps
(élargissement de la notion de santé) et l'espace
(définition de la santé différente selon les Etats) fut
une tâche ardue et délicate.
Face au chaos pouvant émaner de cette confrontation, il
nous a fallu chercher et trouver des repères, une méthode pour
tenter d'apporter un peu de lumière dans les ténèbres.
C'est ainsi que nous avons imaginé saisir la
liberté d'entreprendre par analogie avec la vie d'une activité
économique. La même méthode est d'ailleurs applicable
concernant différents objets. Ainsi on peut analyser la vie de la
société de sa naissance à sa disparition. De même,
on peut étudier la vie d'un objet de propriété
intellectuelle (invention, signe distinctif, oeuvre, belles-lettres,
beaux-arts,...) en nous demandant dans quel contexte il a pris naissance, il va
circuler ou disparaitre. Ce contexte peut être géographique,
juridique, économique, sociologique, etc.
Si l'on revient à notre sujet, le contexte peut par
exemple être européen (procédure européenne
d'autorisation de mise sur le marché,...) ou national (monopole de vente
au détail de produit du tabac,...). De même,
économiquement, il s'inscrit dans l'économie de marché et
la libre concurrence. Aussi, sociologiquement, il peut s'inscrire en prenant
acte du rapport que les individus ont avec la consommation de produits
addictifs, etc. Cette méthode nous a permis, de comprendre dans quel
contexte la liberté d'entreprendre s'exerçait et ainsi pouvait
être limitée.
Ensuite, nous avons combiné ces contexte (en
particulier celui de la vie de l'activité économique -
création, exercice, fin) avec des questions méthodologiques
classiques : « qui ? », « quoi ? », « comment ?
», « quand ? », « où ? » et « pourquoi ?
». Ces questions nous ont permis à la fois de comprendre la
liberté d'entreprendre et à la fois d'appréhender ses
limitations ; car, comme nous le disions, nous pouvons définir la
liberté d'entreprendre à travers l'étude de ses
limitations.
Nous allons ci-dessous en donner une illustration
générale en posant ces différentes questions. Nous allons
montrer quels aspects de la liberté d'entreprendre sont concernés
et quelles sont les limitations qui peuvent y être apportées.
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- Qui ? : les personnes entreprenant l'activité ou moyens
de l'activité, et leurs qualités.
y' Qui entreprend ? Une personne de droit privé.
y' Quelles sont les limites directement attachées à
cette personne ? La personne doit
jouir de la capacité juridique et détenir un
diplôme.
- Quoi ? : l'activité et sa nature ou l'objet, moyen, de
l'activité (le bien et sa nature)
y' Qu'est-ce qui est entrepris ? Une activité
économique, de santé ; la commercialisation
d'un bien.
y' Quelles sont les activités qui peuvent présenter
un danger? Les activités de soin, de
commercialisation de produits du tabac, de médicament
à usage humain.
- Comment ? : un procédé juridique.
y' Comment entreprendre ? Effectuer un investissement
économique de base.
y' Quels sont les procédés contraignants ?
L'obligation d'obtenir une autorisation
administrative préalable.
- Quand ? : une variable temporelle.
y' Quand puis-je exercer mon activité ? Principe de
liberté d'organisation.
y' Quelles sont les contraintes temporelles ? Fermeture
obligatoire du commerce de
boissons alcoolisées à partir de 22h00
(tranquillité publique, sécurité publique).
- Où ? : une variable spatiale.
y' Où puis-je exercer mon activité ? Deux analyses
sont possibles : une spatialité dans
un contexte national ou une spatialité dans un contexte
international ou régional.
y' Quelles sont les contraintes spatiales ? Interdiction d'ouvrir
un sex shop à proximité
d'un établissement d'enseignement (moralité
publique). Interdiction de
commercialiser des produits du tabac en dehors des lieus
prévus par la loi. Ou encore,
autorisation de séjourner délivrée par
l'Etat d'accueil.
- Pourquoi ? Le mobile.
y' Pourquoi entreprendre ? L'activité est lucrative, la
prise de responsabilité, etc. La
liberté d'entreprendre ne concerne que les
activités économiques.
y' Pourquoi limiter l'entreprise privée ? Protection de la
santé, lutte contre les
dépendances, prévention, précaution,
sécurité sanitaire.
Nous avons ainsi pu établir une typologie des
limitations et tous ces critères se combinent. Ainsi, au fur et à
mesure que d'autres critères entrent dans la danse, la valse des
limitations devient plus coercitive. Le critère fondamental semble
être celui de la nature de l'activité ou du bien (« Quoi ?
»), qui va justifier le degré de limitation pesant sur les
personnes
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directement et sur la question : « comment entreprendre ?
». Arrivent ensuite les limitations complémentaires et accessoires
: les limites spatio-temporelles. Il ne faut pas oublier que poser le
critère de la nature comme fondamental signifie que, plus
l'activité présente un danger pour les personnes, plus elle sera
limitée : c'est ainsi la protection des personnes sur lesquelles
l'activité produira des effets qui fonde, à travers le
critère de la nature de l'activité, les limitations à la
liberté d'entreprendre.
Toutefois, il n'aurait pas été
méthodologiquement pertinent de réaliser notre
démonstration en nous focalisant formellement sur la nature de
l'activité. Il était en effet hors de question de réaliser
un plan descriptif du type : I. Médecine, II. Tabac, III. Alcool, IV.
Médicaments, V. Stupéfiants, etc. Il s'agissait plutôt, de
traiter de la nature de l'activité à l'intérieure des
variables « sujet » (qui fait l'objet d'une mesure contraignante ?)
et « objet » (qu'est-ce qui fait l'objet d'une mesure contraignante
?) car cette première transcende nos variables.
La variable « personne » (ou « sujet »),
c'est l'aptitude que va avoir un sujet de droit à exercer une
activité économique. Cette variable doit être
traitée comme une question distincte de la variable « bien »
(ou « objet »), car il se peut qu'un bien ou plus largement une
activité économique, bien qu'autorisé ne soit pas
commercialisable ou exerçable par n'importe qui.
Notre distinction « personne » et « bien »
nous a permis d'observer les diverses conséquences des limites à
la liberté d'entreprendre justifiées par la protection de la
santé. Le bien, son créateur peut le modifier, en revanche
changer de nationalité, détenir un diplôme, c'est moins
évident.
Enfin, cette distinction nous a permis d'approcher, non pas
l'exhaustivité, mais une part substantielle des questions relatives aux
limitations de la liberté d'entreprendre lorsque celle-ci est
confrontée à la protection de la santé. Toutefois,
certaines pistes mériteraient d'être explorées dans la
mesure où elles ne touchent pas nécessairement directement les
biens ou les personnes. Il pourra par exemple s'agir d'une étude des
limitations affectant les prestations de service (sous un angle
différent de celui de la circulation des personnes, que nous avons
déjà étudié en première partie) ou affectant
les relations contractuelles.
« Certes ce cadavre est beau, mais il va falloir
l'enterrer. »
Proverbe africain
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