Section 2. Les limites à la liberté
d'entreprendre issues de règlementations harmonisées encadrant le
commerce des produits de santé destinés à l'homme
151
Deux grands domaines ont été harmonisés,
nous avons fait le choix de traiter ici des médicaments à usage
humain (I) et des cosmétiques (II) du
fait de leur nature qui peut être dangereuse et de leur destination
à l'homme et à sa santé.
I - Les médicaments à usage humain : un
contrôle fondé sur leur nature et leur destination
Construit à partir de la directive 65/65 du Conseil du
26 janvier 1965 concernant le rapprochement des dispositions
législatives, réglementaires et administratives relatives aux
spécialités pharmaceutiques, le marché européen des
médicaments fait aujourd'hui principalement l'objet d'un Code
communautaire234 relatif aux médicaments à usage
humain. Compte tenu de l'importance des questions santé publique et
notamment de sécurité sanitaire attachées aux
médicaments, le droit de l'UE a cherché à harmoniser ce
secteur en trouvant un compromis entre libre circulation des marchandises et
protection de la santé.
Définition du médicament à usage
humain en droit de l'UE. Cette définition est importante car
elle conditionne l'application des procédures d'autorisation de mise sur
le marché. En effet, le régime des médicaments
étant plus protecteur que celui des « produits frontières
»235, la qualification de « médicament » par
un Etat peut être considérée comme disproportionnée
et constituer une mesure d'effet équivalent « alors que les
produits litigieux sont librement fabriqués et commercialisés
dans d'autres États. »236
L'article premier de la directive 2001/83/CE donne une
définition alternative du médicament. Premièrement, est un
médicament « toute substance ou composition présentée
comme possédant des propriétés curatives ou
préventives à l'égard des maladies humaines. » On
parlera ici de « médicament par présentation ». Par
ailleurs, « La qualification de médicament doit résulter
d'un faisceau d'indices concordants précisés par la jurisprudence
postérieure (...) tels la forme pharmaceutique, le conditionnement, la
réalisation de recherches scientifiques, l'utilisation de
témoignages de médecins... ».237
234 Ce code est institué par la directive 2001/83/CE du
Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 elle-même
complété ou modifiée par des directives et
règlements ultérieurs.
235 Ces produits « présentent la
particularité d'être à la limite entre les
médicaments et d'autres secteurs », DE GROVE-VALDEYRON, «
Médicament », Répertoire de droit communautaire,
Dalloz 2007 (MAJ janvier 2013)
236 DE GROVE-VALDEYRON, op. cit. note 22
237 Ibidem.
152
Deuxièmement, est un médicament « toute
substance ou composition pouvant être administrée à l'homme
en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger
ou modifier des fonctions physiologiques chez l'homme est également
considérée comme médicament. »238 On
parlera de « médicament par fonction ». Ici, la qualification
relève « du juge national, qui doit statuer au cas par cas en
fonction de l'ensemble des caractéristiques du produit ».
Concernant le médicament, on trouve « sa composition, ses
propriétés pharmacologiques, ses modalités d'emploi,
l'ampleur de sa diffusion, la connaissance qu'en ont les consommateurs et les
risques que peut entraîner son utilisation »239.
La mise sur le marché d`un médicament n'est pas
libre car elle nécessite une autorisation préalable et la mise en
place de processus de pharmacovigilance (A) après quoi
l'exploitation du médicament sera possible mais dans le respect de
contraintes légales (B).
A - La nécessité d'une autorisation de
mise sur le marché et la pharmacovigilance : des contraintes de
commercialisation élevées
L'autorisation de mise sur marché, ci-après AMM,
est un contrôle a priori (1) qui sera renforcé a
postériori par des mesures de surveillance et pharmacovigilance
(2).
1 - L'autorisation de mise sur le marché : une
contrainte ante-commercialisation
La question des AMM étant complexe, nous ferons donc le
choix, par soucis de clarté, de présenter ces questions, en
partie, sous forme schématique.
On distingue trois grandes phases de développement et
commercialisation d'un médicament :
V' Le développement préclinique :
expérimentations essentiellement menées sur l'animal
permettant d'acquérir les premières connaissances sur les effets
d'un médicament. Ce stade est indispensable avant tout essai sur
l'homme.
V' Les essais cliniques : essais d'un
médicament sur des patients.
V' L'Autorisation de mise sur le marché (AMM) :
nationale ou communautaire. Elle comporte
trois critères d'octroi fondés sur la balance
bénéfice/risque :
> Qualité du médicament :
procédé de fabrication, nature des matières
premières, etc.
> Efficacité du médicament :
fondée sur les résultats des essais cliniques.
> Sécurité du médicament :
fondée sur les deux premières étapes (effets
indésirables, etc.)
238 Ibid.
239 CJCE, 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica, aff.
C-211/03, Rec. I. 5141
153
Sauf exceptions (par exemple : médicaments
préparés en officine ou utilisés à des fins
compassionnelles ou en cours d'essais cliniques), la mise sur le marché
d'un médicament dans un État membre est toujours soumise à
la délivrance d'une AMM.
On distingue quatre procédures d'AMM délivrant
deux types d'autorisations :
V' La procédure centralisée ou
communautaire : elle délivre une AMM communautaire valable dans
tous les États membres et délivrée par l'Agence
européenne des médicaments.
V' La procédure de reconnaissance mutuelle :
elle étend le champ d'application d'une AMM nationale
déjà obtenue à tous les États membres de l'UE.
V' La procédure décentralisée :
elle délivre une AMM valable dans tous les États
membres.
V' La procédure nationale : elle ne
s'applique qu'aux demandes de mise sur le marché limitées au
territoire d'un État. L'AMM est délivré par l'Agence
nationale de sécurité du médicament.
Afin d'aller à l'essentiel, nous ne traiterons pas de
tous les détails de ces procédures (ça serait un sujet en
soi) mais nous en ferons une présentation générale.
Procédure communautaire. Quel est le
champ d'application prévu par le texte240 ?
V' La procédure est obligatoire pour :
> Les médicaments issus de certains
procédés biotechnologiques
> Les médicaments désignés comme «
orphelins »
> Certains médicaments à usage
vétérinaire
> Les médicaments à usage humain contenant une
nouvelle substance active dans les
domaines du cancer, du SIDA, du diabète ou des maladies
neurodégénératives, virales ou
auto-immunes et autres dysfonctionnements immunitaires.
V' La procédure est facultative pour :
> Les médicaments contenant une nouvelle substance
active241
> Les médicaments représentant une
avancée thérapeutique, scientifique ou technique
majeure ou bien un intérêt communautaire pour les
patients
> Les médicaments
génériques242 d'un médicament de
référence autorisé par l'UE
240 Annexe du Règlement 726/2004 du Parlement
européen et du Conseil, 31 mars 2004, JOUE, no L 136, 30 avr.
241 Mais ne figurant pas à l'annexe du règlement
726/2004 précité.
242 Art. 10-2, b de la directive 2004/27 : un médicament
générique est « un médicament qui a la même
composition qualitative et quantitative en substances actives et la même
forme pharmaceutique que le
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La durée de la procédure ne peut dépasser
deux cent dix jours à compter de la réception de la demande.
L'AMM est valable cinq ans renouvelables. Une fois renouvelée, elle
devient valable pour une durée illimitée, ce qui n'exclue pas de
contrôles a posteriori.
L'AMM sera refusée lorsqu'il apparaît que le
rapport bénéfice/risque n'est pas favorable (critère de
sécurité), que l'effet thérapeutique du médicament
est insuffisamment démontré, qu'il n'a pas la composition
qualitative et quantitative déclarée (critère de
qualité), ou que les renseignements et documents accompagnant la demande
ne sont pas conformes aux dispositions de la présente directive.
Procédure de reconnaissance mutuelle et
procédure décentralisée. Elles s'appliquent
lorsque pour un même médicament, une demande d'AMM est
déposée dans plusieurs États membres. La procédure
de reconnaissance mutuelle s'appliquera si au moment de la demande, le
médicament a déjà reçu une AMM dans un État
membre. Dans le cas contraire, à savoir que le demandeur ne dispose pas
encore d'AMM, la procédure décentralisée s'appliquera.
Procédure nationale. Comme le
précise Mme DE GROVE-VALDEYRON, « Les conditions d'octroi, de
refus, de modification, de suspension et de retrait ainsi que les conditions de
durée et de renouvellement sont globalement identiques qu'il s'agisse
d'AMM nationales ou communautaires »243. Nous ne traiterons
donc pas de la procédure nationale.
En conclusion, si l'obligation d'obtenir une AMM constitue une
limite à la liberté d'entreprendre en ce qu'elle soumet leurs
demandeurs à des normes contraignantes, il n'en demeure pas moins
qu'elle facilite au final la libre circulation des médicaments. En
effet, les procédures que nous avons évoquées (en dehors
de la procédure nationale) permettent l'obtention d'AMM qui
s'étendent à l'ensemble de l'Union européenne, ce qui
évite aux demandeurs d'utiliser chacune des procédures
nationales.
Toutefois, même après la délivrance de l'AMM,
la liberté d'entreprendre n'est pas totale.
médicament de référence et dont la
bioéquivalence avec le médicament de référence a
été démontrée par des études
appropriées de biodisponibilité »
243 DE GROVE-VALDEYRON, op. cit. note 22
155
2 - La surveillance et la pharmacovigilance : des
contraintes durant la commercialisation
L'objectif ici est de détecter les effets
indésirables du médicament après son AMM.
L'intérêt de ces mesures réside dans le fait que « le
profil de sécurité des médicaments ne peut être
connu dans son intégralité qu'après la commercialisation
des produits »244. Le règlement 726/2004
précité distingue la surveillance et la pharmacologie bien qu'en
réalité, « les dispositions sont assez proches, à
quelques nuances près, selon qu'il s'agit de la procédure
décentralisée ou communautaire. »245 Les
règles applicables en matière de surveillance et de
pharmacovigilance que nous allons aborder sont contenues dans le
règlement précité246 et contiennent des
obligations à la charge des États membres, de leurs
autorités compétentes et des titulaires des AMM, limitant ainsi
la liberté d'entreprendre de ces derniers.
Autorités chargées de la surveillance.
Si le médicament est fabriqué dans l'UE, il s'agira des
autorités compétentes des États membres qui ont
délivré l'autorisation ; s'il est importé d'un État
tiers, il s'agira des autorités qui ont délivré
l'autorisation d'importation. Elles sont chargées d'informer le
comité des médicaments247 et la Commission de tous cas
où le fabricant ou l'importateur ne remplit pas les obligations qui lui
incombent. L'autorité compétente pourra dans le cadre de sa
mission effectuer des inspections pour s'assurer que le titulaire de l'AMM
satisfait ou non aux exigences de sécurité imposées par
les textes.
Obligations du titulaire de l'AMM dans le cadre de la
surveillance. Premièrement, il est tenu d'introduire toutes les
modifications nécessaires pour que le médicament soit
fabriqué et contrôlé selon des méthodes
scientifiques généralement acceptées en tenant compte des
méthodes de fabrication et des progrès techniques et
scientifiques.
Deuxièmement, il a l'obligation de fournir à
l'Agence, à la Commission et aux États membres toute nouvelle
information susceptible d'entraîner une modification des renseignements
et des documents fournis. De même, il est tenu d'informer ces derniers de
toute interdiction ou restriction imposée dans les pays où le
médicament est mis sur le marché ainsi que toute autre
information qui pourrait influencer l'évaluation
bénéfice/risque du médicament.
244 Considérant n°2, Directive 2010/84/UE du
Parlement Européen et du Conseil du 15 décembre 2010
245 DE GROVE-VALDEYRON, op. cit. note 22
246 Chapitre 2, articles 16 et s. et Chapitre 3, articles 21 et
s., Règlement CE 726/2004
247 Article 5, Règlement 726/2004 : Le comité
des médicaments à usage humain relève de l'Agence
européenne des médicaments. Il est chargé de
préparer les avis de celle-ci sur toute question relative à
l'évaluation des médicaments à usage humain.
156
Pharmacovigilance. Les obligations de
pharmacovigilance sont imposées, sous peine de sanction en cas
d'irrespect, aux États membres et aux titulaires des AMM.
En premier lieu, les États membres mènent des
politiques incitatives vis-à-vis des patients, médecins et autres
professionnels de santé afin de les encourager à notifier tout
effet indésirable d'un médicament mis sur le marché.
Aussi, ils mettent en place un système de pharmacovigilance dont l'objet
est de recueillir et d'évaluer toute information relatives à la
surveillance des médicaments et notamment concernant leurs effets
indésirables. Ces informations seront transmises aux autres États
membres et à l'Agence européenne.
En second lieu, l'article 23 du règlement
précité impose, de façon permanente et continue, au
titulaire de l'AMM d'avoir à sa disposition une personne
possédant les qualifications appropriées responsable en
matière de pharmacovigilance. Il s'agit là d'une injonction
limitant la liberté d'organisation des entreprises titulaires de l'AMM.
Cette personne devra fournir des rapports aux autorités
compétentes des États membres et à l'Agence
européenne et devra répondre à leurs demandes
d'information concernant l'évaluation du rapport
bénéfice/risque du médicament. Aussi, cette personne devra
établir et gérer un système garantissant que les
informations sur tous les effets indésirables présumés
signalés au personnel de l'entreprise et aux représentants
médicaux sont rassemblées, évaluées et
traitées de façon à être accessibles en un endroit
unique dans la Communauté.
Retrait, suspension, modification de l'AMM.
Comme le résume Mme DE GROVE-VALDEYRON, « Si un
État estime, à la suite de l'évaluation des données
de pharmacovigilance, qu'il faut suspendre, retirer ou modifier l'AMM, il en
informe immédiatement l'Agence, les autres États et le titulaire
de l'autorisation. »248
Suspension en cas d'urgence. L'article 20,
al. 4 du règlement précité précise que lorsqu'une
action d'urgence est indispensable pour protéger la santé humaine
ou l'environnement, un État membre peut, de sa propre initiative ou
à la demande de la Commission, suspendre l'utilisation sur son
territoire d'un médicament autorisé. S'il agit de sa propre
initiative, l'État devra informer la Commission et l'Agence des raisons
de son action, au plus tard le jour ouvrable qui suit la suspension.
Outre ces dispositifs de surveillance, l'exploitation du
médicament est strictement encadrée.
248 DE GROVE-VALDEYRON, op. cit. note 22
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