II - Mises en oeuvre jurisprudentielles des
dérogations fondées sur la protection de la santé : une
effectivité remarquable de ce motif dans un contexte libéral
Rappelons-le, les Etats membres peuvent avoir recours à
la protection de la santé lorsque leur législation est
susceptible de constituer une mesure d'effet équivalent.
Cette raison est souvent invoquée dans le cas
d'interdictions de mise sur le marché et d'utilisation de produits
contenant certaines substances (comme des additifs) même si elles sont
autorisées dans d'autres Etats membres. Par exemple, la Cour a admis que
la législation néerlandaise qui interdisait un antibiotique dans
la fabrication de certains fromages, alors même que ce traitement
été autorisé dans d'autres Etats membres était
justifiée par des motifs de protection de la santé
conformément à l'article 36 du Traité.229
Par ailleurs, la Cour s'est prononcée sur une loi
finlandaise qui exigeait une autorisation préalable pour pouvoir
importer de l'esprit de vin (boisson avec un taux d'alcool supérieur
à 80°). La question était de savoir si l'autorisation
préalable était ou non conforme au Traité. Selon le
gouvernement finlandais, cette loi répondait à des objectifs de
santé et d'ordre public visés par l'article 36. Plus
précisément, elle avait pour objectif d'orienter la consommation
d'alcool de façon à éviter des effets
préjudiciables à la santé des personnes et à la
société. La cour décidera qu'il appartient à la
juridiction nationale d'apprécier si l'obligation de cette autorisation
préalable est bien de nature à combattre les abus liés
à la consommation de ce produit ou si des mesures moins restrictives
pourraient avoir un effet similaire. La mesure est-elle proportionnée
à l'objectif poursuivi ?230 En somme la mesure entre dans le
cadre des dérogations admises mais il faudra vérifier le
critère de proportionnalité.
229 CJCE, 5 février 1981, Koninklijle Kassfabriek
Eyssen, 53/80, Rec. 1981, p. 409 : « Pour ces raisons , il y a lieu de
répondre à la question posée que les dispositions du
Traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises ne
font pas obstacle , au stade actuel de la réglementation communautaire
concernant les agents conservateurs dans les denrées destinées
à l ' alimentation humaine , a des mesures nationales d 'un Etat membre
qui , pour des raisons de protection de la sante , conformément à
l'article 36 du Traite, interdisent l'addition de Nisine au fromage fondu
produit ou importé, même si elles limitent une telle interdiction
aux seuls produits destinés à être vendus sur le
marché intérieur dudit Etat. »
230 CJCE, 28 septembre 2006, Procédure pénale
contre Jan-Erik Anders Ahokainen et Mati Leppik, (question
préjudicielle), Affaire C-434/04 : « Les articles 28 CE et 30 CE ne
s'opposent pas à un régime, tel que celui prévu par la loi
n° 1143/1994 sur l'alcool [alkoholilaki (1143/1994)], subordonnant
l'importation d'alcool éthylique non dénaturé ayant un
degré alcoolique supérieur à 80 degrés à une
autorisation préalable, sauf s'il apparaît que, dans les
circonstances de droit et de fait qui caractérisent la situation dans
l'État membre concerné,
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Plus généralement, M. SIMON nous donne d'autres
exemples de limitations, ainsi « la Cour de justice a admis par exemple
que les exigences de protection de la santé publique étaient de
nature à justifier l'interdiction de certains produits (...), des
restrictions dans la mise sur le marché et la distribution des
médicaments ou concernant la publicité pour les produits
pharmaceutiques (...), des réglementations relatives à la
fabrication et à la conservation des produits laitiers (...), ou encore
des restrictions à l'importation de volailles en cas d'épizooties
(...). »231
Finalement, en résumé, les Etats membres peuvent
déroger à l'interdiction des mesures d'effet équivalent
à des restrictions quantitatives (en se fondant sur la jurisprudence
Cassis de Dijon, l'article 36 TFUE et le principe de précaution) qu'en
l'absence d'harmonisation complète. En cas d'harmonisation, les mesures
nationales doivent être analysées au regard des dispositions de
cette mesure d'harmonisation.232 Mais, « les États se
voient cependant reconnaître la possibilité d'adopter ou de
maintenir des mesures plus strictes que celles adoptées au niveau
communautaire. (...) Il appartient aux autorités nationales de
démontrer le risque sanitaire et d'établir que les dispositions
nationales assurent un niveau de protection de la santé publique plus
élevé que la mesure d'harmonisation et qu'elles ne
dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif
(C. NOIVILLE et N. DE SADELEER, La gestion des risques économiques et
sanitaires à l'épreuve des chiffres. Le droit entre enjeux
scientifiques et politiques, RD Union européenne 2001/2, p. 389 à
450). »233
Au-delà de cette possibilité offerte aux Etats
membres, nous allons dès à présent évoquer deux
exemples significatifs d'harmonisations communautaires.
la protection de la santé et de l'ordre publics contre
les méfaits de l'alcool peut être assurée par des mesures
affectant de manière moindre le commerce intracommunautaire. »
231 SIMON D., « Restrictions quantitatives et mesures
d'effet équivalent », Répertoire de droit
communautaire, Dalloz, août 2004 (mise à jour : janvier
2013)
232 CJCE, 13 déc. 2001, DaimlerChrysler, aff. C-324/99,
Rec. I. 9897, point 32 ; CJCE, 12 nov. 1998, Commission c/ Allemagne, aff.
C-102/96, Rec. I. 6871, point 21
233 DE GROVE-VALDEYRON N., op. cit. note 15
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