La protection de la santé comme limite à la liberté d'entreprendre( Télécharger le fichier original )par Thomas BERTRAND Université Montesquieu Bordeaux 4 - Master 2 droit de la coopération économique et des affaires internationales 2012 |
HÀ N?I, JUIN 2013 UNIVERSITÉ BORDEAUX
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MÉMOIRE DE FIN
D'ÉTUDES « Droit de la coopération économique
et des affaires internationales » Promotion Étienne de La Boétie LA PROTECTION DE LA SANTÉ COMME LIMITE
À
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PROLÉGOMÈNES
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« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.
La possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique et sociale.
La santé de tous les peuples est une condition
fondamentale de la paix du monde et de la sécurité ,
·
elle dépend de la coopération la plus étroite des
individus et des Etats.
Les résultats atteints par chaque Etat dans l'amélioration et la protection de la santé sont précieux pour tous.
L'inégalité des divers pays en ce qui concerne l'amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous.
Le développement sain de l'enfant est d'une importance fondamentale ; l'aptitude à vivre en harmonie avec un milieu en pleine transformation est essentielle à ce développement. L'admission de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises par les sciences médicales, psychologiques et apparentées est essentielle pour atteindre le plus haut degré de santé.
Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d'une importance capitale pour l'amélioration de la santé des populations.
Les gouvernements ont la responsabilité de la
santé de leurs peuples ,
· ils ne peuvent y faire face qu'en
prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées. »
[Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé
(extrait)]
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » [Article IV de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789]
Parmi les grandes libertés conférées aux individus, on compte aujourd'hui la liberté d'entreprendre ; mais elle n'est pas définie par le droit. Que recouvre-t-elle ? (section 1). Sans être remise en question dans son principe, cette liberté trouve des limites tenant aux droits d'autrui ; parmi celles-ci, on trouve la protection de la santé, nous allons la définir (section 2).
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« Considérant que la liberté
d'entreprendre n'est ni générale, ni absolue ,
· qu'il
est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées
par l'intérêt général à la condition que
celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la
portée ,
· (...) »1
« Soit ! Mais quelle liberté serait donc générale et absolue ? Il n'y en a aucune. Je trouve surprenant que l'accent soit mis sur le fait que cette liberté n'est ni générale ni absolue - ce qui est généralement perçu comme une restriction à l'égard de la liberté d'entreprendre - alors que c'est le lot commun, me semble-t-il, de toutes les libertés. Il n'est donc pas question de revendiquer pour la liberté d'entreprendre, non plus que pour aucune autre, un caractère général et absolu qui ne serait ni possible ni souhaitable. »2
Voilà une réponse pleine de bon sens apportée par M. CARCASSONNE à ce célèbre considérant du Conseil Constitutionnel relatif à la portée de la liberté d'entreprendre. En effet, le concept juridique de la liberté, comme celui de l'égalité par exemple, est issu d'une valeur au sens de « ce qui est posé comme vrai, beau, bien, d'un point de vue personnel ou selon les critères d'une société et qui est donné comme un idéal à atteindre, comme quelque chose à défendre »3. Or en pratique, cet idéal, cet objectif, n'est pas en soi atteignable, mais le droit cherche à le rendre effectif en le conciliant avec d'autres idéaux, des principes d'intérêt général, et dans le respect des droits d'autrui. C'est ainsi que le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre tire, notamment, sa source de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 17894. C'est donc en puisant dans la source juridique de la liberté d'entreprendre que nous trouvons celle de ses limites.
Pour comprendre la portée de cette liberté (II) et tenter de la définir (III), il faut remonter à ses origines (I) sans oublier ses équivalents en droit de l'Union européenne (IV).
1 CC, 89-254 DC, 4 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités d'application des privatisations, Rec. Cons. const. 41
2 CARCASSONNE G., « La liberté d'entreprendre », L'entreprise et le droit constitutionnel - Colloque du CREDA, 26 mai 2010
3 Dictionnaire Larousse.fr, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/valeur/80972
4 CC, 81-132 DC, 16 janvier 1982 : « (...) la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre (...) »
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On ne peut envisager d'étudier les origines (A), objectifs et conséquences (B) de la liberté d'entreprendre sans évoquer son quasi alter ego, la liberté du commerce et de l'industrie.
Première tentative. Il nous faut remonter sous l'Ancien Régime5 pour percevoir une tentative d'établissement de la liberté du commerce et de l'industrie avec l'édit de septembre 1774 établissant la liberté de circulation relative au commerce des grains et l'édit de février 1776 établissant la liberté « d'embrasser et d'exercer dans tout notre royaume et notamment dans notre bonne ville de Paris telle espèce de commerce et telle profession d'arts et métiers qui bon leur semblera, et même d'en réunir plusieurs ». Cependant, cet essai sera vite remis en question jusqu'en 1791.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 consacrera dans son article 4 la liberté individuelle, qui sera redécouvert en 1982 par le Conseil constitutionnel en tant que fondement de la liberté constitutionnelle d'entreprendre.
Décret d'Allarde. La loi des 2-17 mars 1791 dite « décret d'Allarde » (dans la terminologie de l'époque, les lois étaient qualifiées de décrets quand elles n'avaient pas reçu la sanction royale) consacra les principes de la liberté du commerce et de l'industrie et de la liberté d'entreprendre, sans qu'ils furent toutefois mentionnés expressément. Ainsi son article 7 dispose qu'« à compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire négoce ou d'exercer telle activité, art ou métier qu'elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d'une patente, d'en acquitter le prix d'après les taux ci-après déterminés, et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits. »
Quelques mois plus tard, la loi « Le Chapelier » des 14-17 juin 1791 viendra conforter ces principes en abolissant les corporations et groupements. Elle fut abrogée par la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats.
Quels étaient les objectifs de cette reconnaissance à l'époque ? Quelles en ont été les conséquences ?
5 GUIBAL M., « Commerce et industrie », Répertoire de droit commercial, Dalloz, février 2003 (MAJ octobre 2010)
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