1.2 Objectifs
La gestion ALM a pour objectif d'estimer et de piloter
l'équilibre entre les emplois et les ressources au regard de la
politique de risque souscrite par l'établissement. Les risques les plus
pris en compte dans son pilotage sont le risque de liquidité et les
risques de taux (intérêts, change, inflation), qui demeurent
très liés.
Cette gestion passe d'abord par une analyse
régulière de la situation du bilan et de son évolution
probable. Ainsi, la mesure des besoins et des excédents de
liquidité aux dates futures s'inscrit dans la gestion du risque de
liquidité. La mesure des déséquilibres entre les emplois
et les ressources sensibles aux mouvements d'un même taux
nécessite quant à elle une couverture spécifique de ce
risque.
Le premier enjeu du pilotage du bilan bancaire est de viser un
adossement actif/passif dans le temps, c'est-à dire un équilibre
entre les cash flows générés dans le futur par l'actif et
le passif. Le second consiste à définir une politique globale
permettant de garantir un résultat pérenne et de lisser la
rentabilité dans le temps pour s'affranchir des effets de cycle. Ceci
est réalisé essentiellement au moyen de couvertures
financières contre les mouvements de taux. L'utilisation de produits
dérivés revêt ainsi un caractère indispensable.
Le pilotage ALM implique de pouvoir observer le comportement
financier de la clientèle et de proposer des modèles
d'évolution de ce dernier. Par ailleurs, il nécessite de
travailler en coordination avec le département chargé de la
politique marketing dans la mesure où le comportement clientèle
modélisé est fortement lié aux stratégies
commerciales et marketing proposées.
La gestion ALM s'appuie donc à la fois sur la
modélisation statistique des comportements de la clientèle et sur
les différentes méthodes de couverture sur les marchés
financiers : les modèles de prévision retenus permettent de
définir des stratégies financières d'achat de titres et de
dérivés sur les marchés afin de se couvrir contre les
risques modélisés.
13
1.3 L'approche académique de la problématique
: éléments de bibliographie
La littérature académique sur la gestion ALM, ou
sur la modélisation du niveau de l'encours de dépôts, est
relativement peu étoffée. Certains articles ont
particulièrement retenu notre attention. Nous les présentons
succinctement ci-après.
Le premier d'entre eux, intitulé The arbitage-free
valuation and hedging of demand deposits and credit card loans, fut
écrit en 1997 par Robert A. Jarrow et Donald R. van Deventer. Ce papier
vise à donner, sous certaines hypothèses, la «valeur»
actuelle de la masse totale des dépôts à vue de la banque
et à en déduire des stratégies de couverture. L'approche
est successivement faite en temps discret et en temps continu, de
manière complètement analogue. Nous nous contenterons ici de
décrire leur démarche dans le cas discret.
Dans une économie à temps discret
tE{0,1, ..., ô} munie d'une filtration
naturelle Ft, les auteurs font l'hypothèse d'un marché
segmenté : les individus, comme les banques, ont accès à
un marché de titres du Trésor, mais seules les banques peuvent
créer des comptes courants (sur lesquels les individus peuvent placer
des dépôts). L'encours en t de l'ensemble des
dépôts de la banque est noté D(t). Le
marché du Trésor est supposé parfait 2 et
complet 3. Sur ce marché sont échangés un titre
«cash» sans risque de valeur B(t) en t et
des zéros-coupons. Le prix à la date t d'un
zéro-coupon payant 1$ en T est noté P(t,
T) avec
1
r(t)= P(t, t + 1) - 1
le taux d'intérêt spot. Sous l'hypothèse
d'absence d'opportunités d'arbitrage, les auteurs déduisent
l'existence d'une unique probabilité risque-neutre Q équivalente
à la probabilité historique sous laquelle les
zéros-coupons écrits dans le numéraire cash sont des
martingales, soit
P(t, T)=EQ (P(t+
+r1,T) |Ft) =B(t)EQ
(B(T)|Ft)
Les dépôts à vue sont quant à eux
rémunérés au taux instantané
i(t), c'est-à-dire qu'un dollar versé en t
sur le compte est rémunéré par la banque 1 +
i(t) dollars à la date t + 1. Les individus
ne pouvant pas arbitrer, i(t) < r(t)
pour tout t. L'inégalité stricte est autorisée
car les auteurs laissent la possibilité d'opportunités
d'arbitrage par les établissements de crédit.
Sous ces hypothèses, et en considérant que
D(t) et i(t) sont adaptés
à Ft, Jarrow et van Deventer écrivent la valeur actuelle
nette en 0 des dépôts à vue de la banque comme étant
égale à
VD(0)=EQ
|
ô-1E t=0
|
D(t)(r(t) -
i(t))
|
)
|
B(t + 1)
|
Il s'agit de l'espérance sous la probabilité
risque-neutre de la somme actualisée des flux futurs affectant les
dépôts. Les auteurs l'interprètent comme la valeur d'un
swap vanille de taux durant ô périodes, recevant le taux
variable r(t) et payant le taux variable
i(t), de nominal variable D(t) en
t. Ils en déduisent la couverture de l'encours, consistant
à investir D(0) (l'encours initial) en zéros-coupons
P(0, 1) et à vendre le swap représenté
par VD(0).
2Les actifs sont divisibles à l'infini, le
marché est infiniment liquide, il n'y a pas de coûts de
transaction ni de dividendes, les ventes à découvert sont
autorisées sans pénalités ni contraintes et les taux de
prêt et d'emprunt sont les mêmes
3Tout flux en r est atteignable par un
portefeuille autofinançant admissible
14
Pour mener à terme les calculs, les auteurs proposent
plusieurs modèles pour D(t) et i(t). Citons notamment
D(t)=a+br(t) ou
ln(D(t))-ln(D(t-1))=a+br(t)+ct+d(r(t)-r(t-1))
où le temps est censé être un proxy de variables
macroéconomiques pertinentes. En temps continu, l'article propose
d'utiliser pour le taux spot r(t) le modèle de Vasicek et
d'expliquer la variation de l'encours par le niveau des taux courts selon
dln(D(t))=(a+br(t)+ct)dt+edr(t). Dans ces conditions, le logarithme de
l'encours est donc une diffusion. Nous reviendrons sur ce dernier point
ultérieurement.
Datant de 2009, l'article Hedging interest rate margins on
demand deposits d'Alexandre Adam, Mohamed Houkari et Jean-Paul Laurent
propose, quant à lui, une approche dite en «couru». Ils ne
considèrent donc pas la valeur actuelle nette de l'encours mais
directement la marge de taux d'intérêt
générée par la banque, période après
période. Celle-ci est définie comme la différence entre le
taux d'intérêt auquel la banque prête et le taux qu'elle
verse sur les dépôts. L'approche est en temps continu. Les auteurs
de l'article modélisent le taux LIBOR forward Lt := L(t, T, T + 6T)
à la date t, prévalant sur l'intervalle [T, T +
6T], par l'équation différentielle stochastique
dLt = Lt(pLdt + ULdWL(t))
avec /1L et UL constants. L'encours de
dépôts à la date t, Kt, est
supposé suivre la dynamique
dKt = Kt(aKdt + UKd
|
WK(t))
|
avec /1K et UK également constants.
Leur idée est également de créer une dépendance
entre le niveau d'encours et le niveau des taux. Ils supposent donc, en
s'inspirant d'un article de Kalkbrener et Willing de 2004, que
v'
d WK(t) = pdWL(t) + 1 -
p2dWK(t)
où WK est un mouvement brownien orthogonal
à WL, WK étant censé représenter
d'autres sources de risques indépendantes des mouvements de la courbe
des taux. Le taux versé sur les dépôts est
modélisé par une fonction affine du taux sur le marché,
soit g(Lt) = + /3Lt. Dans ces conditions, la marge de taux
d'intérêt sur la période [T, T + 6T] est
définie par
IRMg(KT, LT)=6TKT(LT - g(LT))
Par la suite, les auteurs considèrent des
stratégies de couverture qui consistent à signer des contrats
à terme de gré à gré appelés FRA (pour
Forward Rate Agreements). Ces derniers conduisent à la famille
de pay-offs {9(L0 - LT), 9 R}. Par extension, ils
définissent les stratégies admissibles comme les
intégrales stochastiques relativement au processus d'Itô
Lt,
soit
(Z T )
9tdLt, (9t)0=t=T
adapté
0
Les auteurs résolvent alors le problème de
minimisation de la variance de la marge de taux d'intérêt sous
contrainte d'espérance. Après calcul, ils en déduisent les
stratégies optimales statiques, puis dynamiques, par des méthodes
de contrôle stochastique.
Citons pour terminer l'article de thèse de Tanja Eronen
intitulé Non-maturity Deposit Valuation and Hedging datant de
2008. Il offre un panorama relativement complet de la littérature
existante sur le sujet et discute certaines hypothèses faites dans les
modèles proposés. Il évoque en outre plusieurs
méthodes et outils de couverture pour la gestion ALM : les floors (de
taux d'intérêt) ainsi que différents swaps de taux.
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