5. Les acteurs
évoluant dans le secteur informel et leur motivation profonde
5.1. Acteurs de l'informel
La femme africaine joue un rôle incommensurable dans
l'économie informelle (ou secteur informel), rôle souvent
méconnu et nié malhonnêtement par les partisans «
d'une idéologie masculine valorisant la supériorité de
l'homme et consacrant l'infériorité de la femme »
(P. NGOMA-BINDA, 1999, p.12).
La femme africaine ou la femme tout court est une ressource
indispensable, mieux le partenaire de l'homme dans l'entreprise du
développement. « On devra donc se convaincre que tout
développement d'une société passe par la reconnaissance de
l'effort de la femme et par l'intégration de cette dernière aux
activités les plus variées et les plus nombreuses de la vie
nationale » (Ibidem, p. 21).
Le rôle de la femme africaine dans l'économie
informelle devrait être reconnu et valorisé notamment par une
politique appropriée d'incitations car cette économie
présente encore beaucoup de faiblesses (mobilisation très
limitée des ressources financières, technologie rudimentaire,
fourniture irrégulière des inputs, absence de formation en
management etc.). Certes, plusieurs actions ou initiatives ont
déjà été développées dans ce sens en
Afrique (études monographiques, recommandations des ONG
féminines, petits projets de formation et de financement etc.) mais
beaucoup reste encore à faire car, la plupart de temps, les
décisions des responsables politiques n'ont pas été
suivies des faits.
Le rôle de survie ou de subsistance en République
Démocratique du Congo est plus visible en milieu urbain qu'en milieu
rural car, ici, la femme consacre la plus grande partie de son temps à
la pratique des activités agricoles. « Il semble même que
c'est la femme qui a inventé l'agriculture » (P. NGOMA-BINDA,
1999, p. 51) car c'est elle qui aurait inventé les techniques et outils
pour exercer les travaux agricoles (ex. adaptation et amélioration
de tous les végétaux alimentaires importants, application de
l'irrigation et des premières techniques de labourage etc.).
En plus de ses activités agricoles, la femme rurale
s'occupe de l'économie domestique : elle prépare les
aliments nécessaires à la réfection des énergies de
toute la famille, s'occupe de la propreté et de l'éducation des
enfants, assure la propreté de la maison et des alentours, puise l'eau
à la source, cherche du bois de chauffage, fait le marché,
s'occupe de son mari etc. Elle travaille pendant un plus grand nombre
d'heures que l'homme et parfois jusqu'à 16 heures par jour, dès
le réveil le matin vers 5 heures jusqu'au coucher la nuit vers 21
heures. D'où le dicton : « le travail de la femme n'est
jamais fini » (A woman's work is never done) (M. CARR,
1978, p. 4).
S'occupant aussi des ménages, la femme urbaine, quant
à elle, est devenue très active dans l'exercice du petit commerce
et la pratique des technologies appropriées depuis le début des
années 1990. En effet, c'est pendant cette période que beaucoup
d'entreprises de production et de service en R.D.C ont fermé,
réduisant ainsi la plupart d'employés au chômage et au
sous-emploi. Rappelons que cette fermeture était due à la crise
économique que connaît le pays, crise aggravée par les
pillages de 1991 et 1993 et tout récemment par la « guerre de
libération » de 1997 et la « guerre d'agression
» de 1998 à 2003.
En ce qui concerne le petit commerce, la femme urbaine en RDC,
vent au marché ou sur le trottoir des quartiers
périphériques populeux les produits agricoles traditionnels
(farine ou cossettes de manioc, maïs, arachide, huile de palme,
courge, piment, tomates, légumes, fruits, chenilles, poisson, viande
etc.) et les produits manufacturés de consommation courante
(produits cosmétiques et de beauté, chaussures,
vêtements neufs ou usagés, wax, matériels scolaires,
conserves, pétrole à lampe etc.).
Elle s'approvisionne en produits agricoles notamment au port
ou beach, situé en ville, où elle va le plus souvent à
pied, faute d'argent suffisant pour se payer le transport. Après avoir
acheté ces produits, non sans tracasseries policières, elle doit
les faire transporter dans un pousse-pousse jusqu'à domicile. Et
lorsqu'elle ne connaît pas le pousse-pousseur, elle doit encore marcher
derrière lui et parcourir jusqu'à 20 kilomètres ou plus,
de peur de voir sa marchandise détournée. Arrivée à
la maison très fatiguée et épuisée, elle doit
encore remplir ses tâches domestiques quotidiennes.
La femme urbaine du pays pratique également
l'agriculture urbaine ou péri-urbaine sur quelques espaces verts encore
disponibles dans la ville ou dans la périphérie. Elle permet
l'approvisionnement de plusieurs ménages en produits maraîchers
(piments, tomates, aubergines, poireaux et autres légumes tels que
les amarantes douces et amères, les feuilles de patate douce
appelées « matembele »).
Notons enfin que, dans certains cas, le capital de la femme
urbaine commerçante ne dépasse pas 50 dollars US. Pourtant elle
devrait faire face à tous ses besoins vitaux fondamentaux et à
ceux de sa famille (alimentation, soins de santé, logement,
habillement, scolarité des enfants, transport etc.).
Comme elle n'y parvient pas toujours, elle s'en tient à
l'indispensable (ex. alimentation). Elle est contrainte de travailler
chaque jour. Car un jour de repos signifie pour elle un jour de faim. Malheur
à elle si elle tombe malade car, non seulement sa famille en
pâtira, mais elle risquera de dépenser tout son capital pour les
soins médicaux. Pour éviter cette éventualité, en
cas de maladie, elle recourt à la médecine traditionnelle ou
à l'auto-prescription médicale dont le coût en termes
financiers lui est abordable ou presque nul. Il faut toutefois mentionner que
cette médecine présente aussi des limites qui peuvent être
fatales au patient.
En ce qui concerne la pratique des technologies
appropriées, la femme urbaine congolaise y est
généralement initiée par un parent, un ami ou une
connaissance ou encore par des Organismes Non Gouvernementaux et associations
généralement féminines.
Malgré que les ONG privilégient
l'émancipation de la femme, elles sont sensibles à la
participation de l'homme à côté de la femme à toute
action de développement. C'est ce qu'elles appellent la technique de
« gender » traduite en ces termes : « L'homme seul ne
peut rien, de même la femme seule ne peut rien : tous deux doivent
travailler ensemble pour se compléter ».
Les technologies appropriées apprises aux femmes par
ces ONG concernent la fabrication du savon, de la confiture, des jus de fruits,
de l'alcool, du parfum, du vernis, des désinfectants, du cirage, du lait
de beauté, de la pommade à cheveux pour femmes, du pain, des
beignets, des cakes, des gâteaux, de la margarine, du miel, des craies,
la salaison des poissons, la production du lait de soja etc.
Nous les dénommons les « technologies
appropriées d'inspiration urbaine » pour une double raison (W.
MUSITU L., 2003, p. 160) :
ü d'abord elles constituent l'imitation, par des
procédés artisanaux, des produits élaborés dans le
secteur moderne c'est-à-dire le secteur des Petites et Moyennes
Entreprises (PME) concentrées en milieu urbain. Cette imitation semble
se justifier par l'incapacité de la plupart de ménages de se
procurer des produits de la même nature dans le secteur moderne, faute de
moyens financiers suffisants. Elle constitue une chance pour la plupart de
consommateurs de se procurer des produits relativement bon marché d'une
part et d'autre part pour les producteurs qui trouvent ainsi une occasion de
création des revenus. C'est donc à juste titre que ces
activités sont parfois appelées « initiatives
créatrices de revenus » ;
ü ensuite ces technologies se transfèrent de
la ville à la campagne. Elles se développent beaucoup plus
rapidement en ville à cause notamment de la relative facilitée
d'approvisionnement en matières premières d'origine industrielle.
En campagne se pose le problème d'acheminement de ces matières
premières, auquel s'ajoute l'étroitesse du pouvoir d'achat des
paysans ;
ü Une des caractéristiques de ces technologies
est l'utilisation comme intrants des produits locaux et des produits
émanant du secteur industriel. Elles sont des « technologies
hybrides », ni traditionnelles, ni modernes (cas de la fabrication du
savon avec de la soude caustique acheté au milieu urbainet de l'huile de
palme produite localement) ;
ü L'apprentissage d'une technologie appropriée
est plus sollicité par les femmes regroupées en associations que
proposé par des ONG. Quand bien même il leur est proposé,
il tient compte du besoin réel exprimé par ces femmes. Il suscite
encore plus d'intérêt dans la mesure où il permet de
créer des revenus et de satisfaire les besoins
d'autosubsistance.
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