La coopération sécuritaire dans le golfe de Guinée à l'épreuve de la criminalité transfrontalière. Etat des lieux et esquisse de solution( Télécharger le fichier original )par Vernuy Eric SUYRU Université de Yaoundé II Cameroun - Master en relations internationales, option intégration régionale et management des institutions communautaires 2011 |
B. Configuration et effets escomptés d'un leadership bipolaire structuré autour de l'alliance228(*) Abuja-YaoundéL'analyse faite des principales forces susceptibles de donner corps et consistance à un système autonome de sécurité collective, à même de prévenir et de lutter efficacement contre les actes de criminalité transfrontalière dans le golfe de Guinée, permet d'aboutir au constat de « l'improbable légitimation d'un leader solitaire »229(*) dans la région. Dès lors, ce système devrait être garanti par un leadership bipolaire structuré autour de l'alliance Abuja-Yaoundé230(*). Plusieurs raisons militent en effet pour cette approche : Tout d'abord, pour des raisons d'ordre affectif. En effet, le Nigéria et le Cameroun sont deux pays unis par l'histoire231(*) et la géographie232(*). Mais pour des raisons de souveraineté et de fierté nationales, ces deux pays ont entretenu des relations dominées par la méfiance233(*) parce qu'ayant été opposés durant quatre décennies au sujet du différend autour de la délimitation de leurs frontières terrestre et maritime, trivialement connu sous l'appellation de conflit de Bakassi234(*). La résolution pacifique de ce différend a rehaussé la qualité de l'image des deux pays au niveau international et augure de l'établissement d'une meilleure coopération consulaire et sécuritaire basée sur le respect mutuel et le partage d'informations. Ensuite pour des raisons d'ordre strictement sécuritaire, il convient de relever que les frontières terrestre et maritime partagées par ces deux Etats entre eux d'une part235(*) et avec les autres pays voisins d'autre part236(*) peuvent être considérées comme des espaces de criminalité paroxysmique. Dès lors, ces deux pays sont condamnés à coopérer étroitement pour pouvoir juguler le phénomène de la criminalité transfrontalière qui menace de porter atteinte à leurs intérêts vitaux. Enfin pour des raisons d'ordre géopolitique, ces deux Etats sont les deux leaders objectifs de leurs arrière-cours régionale237(*) et sous régionale238(*) respectives, quoiqu'à géométrie variable239(*). Leur situation privilégiée au sein de ces zones d'influence offre une plus grande légitimité à ce tandem dans l'exercice conjoint du leadership dans le golfe de Guinée. De ce qui précède, la configuration de ce leadership bipolaire légitimé autour de l'axe Abuja-Yaoundé pourrait s'articuler de la manière suivante : - Au niveau bilatéral et régional, le Nigéria et le Cameroun doivent encourager les ententes entre voisins directs afin de favoriser une coopération étroite entre les autorités maritimes et terrestres et les forces de police en matière de lutte contre la criminalité transfrontalière. Pour ce faire, ils doivent organiser à brève échéance des opérations de surveillance conjointe de leurs frontières communes, notamment l'étendue de l'opération Prosperity240(*) entre le Nigéria et le Bénin aux eaux togolaises ; la création d'une patrouille mixte permanente entre le Cameroun et le Nigéria au niveau de leurs frontières communes et la remise à jour de la PAMINT dans le cadre de la CBLT. De même, ils doivent participer pleinement aux efforts de la CEEAC et de la CEDEAO visant à définir une vision stratégique globale et transversale de la sécurité maritime et terrestre et mutualiser leurs ressources. - Au niveau interrégional, les deux Etats doivent oeuvrer pour la signature du Mémorandum d'entente entre la CEEAC et la CEDEAO à l'appui de la sécurité maritime régionale dans la région maritime de l'Afrique centrale et de l'ouest, ainsi que l'Accord multilatéral relatif à la coopération visant à éradiquer les activités illicites dans la région maritime de l'Afrique de l'ouest et du centre. Dans cette logique, le Nigéria et le Cameroun doivent favoriser la constitution du centre d'échange d'informations sur le commerce maritime (MTISC), en cours d'établissement au Ghana, un instrument de collecte et de diffusion d'information pour tous les Etats du golfe de Guinée, tout en faisant du centre régional de formation à la sécurité maritime prévu par la CEEAC un centre de dimension interrégionale. Tous ces centres, afin d'optimiser leur efficacité sur le terrain, doivent élargir leurs champs de compétences aux aspects terrestres de la criminalité et être placés sous la coordination institutionnelle de la CGG préalablement restructurée. L'édification d'un système de sécurité collective matérialisé par l'adoption d'une vision stratégique de sécurité commune, mise en oeuvre par un leadership bipolaire incarné par l'axe Abuja-Yaoundé, serait sans doute le préalable à toute possibilité de coopération sécuritaire efficace dans le golfe de Guinée dont la concrétisation effective nécessite la contribution de la communauté internationale241(*). * 228 Pour Philippe MOREAU DEFARGES, une alliance est une composante essentielle des relations internationales « classiques », donc du jeu géopolitique. Dans le cas d'espèce, l'alliance entre Abuja et Yaoundé devrait se créer autour d'un ennemi commun, le phénomène de la criminalité transfrontalière qui constitue une menace sérieuse pour leur stabilité et leur sécurité communes. Voir Philippe MOREAU DEFARGES, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Armand Colin, p. 9. * 229 AWOUMOU Côme Damien Georges, op.cit. * 230 Contrairement à ce que pense AWOUMOU Côme Damien Georges, un axe Abuja-Yaoundé-Luanda nous semble impertinent et inapproprié pour cause du faible engagement de l'Angola au sein de la CEEAC, plus attiré par les avantages économiques que lui procure son appartenance à la SADC. Et pourtant, la CEEAC est la CER la plus viable en Afrique centrale et la plus engagée dans la lutte contre la criminalité et l'insécurité maritimes dans le golfe de Guinée. * 231 Historiquement le Nigéria et le Cameroun occidental, d'avant la réunification du 1er Octobre 1961 avec la République du Cameroun, ont été administrés par la même puissance coloniale, l'Angleterre. Raison pour laquelle les deux pays ont en partage l'anglais comme langue officielle. * 232 Géographiquement, ces deux pays partagent environ 1690 Km de limites frontalières mettant en contact des populations de part et d'autre. Ces populations entretiennent des liens culturels et historiques de vassalité surtout dans la partie Nord des deux pays. * 233 Joseph Vincent NTUDA EBODE, « La nouvelle posture géopolitique du Cameroun et la lutte contre la piraterie dans le Golfe de Guinée », in Joseph Vincent NTUDA EBODE (sous la direction), Piraterie et Terrorisme : de nouveaux défis sécuritaires en Afrique centrale, op.cit., p.56 * 234 Ce conflit a pris un terme après la signature le 12 juin 2006 des accords de Greentree définissant le processus de rétrocession de Bakassi au Cameroun, conformément à l'arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ) du 10 Octobre 2002. Le 14 Aout 2008, le transfert effectif d'autorité sur la péninsule de Bakassi à la partie camerounaise s'est déroulé à Calabar, en République du Nigéria. Pour un historique assez exhaustif sur le déclenchement, le déroulement et le dénouement de ce conflit, voir Cameroon Tribune, édition spéciale BAKASSI, N° 9161/5360, 14 Aout 2008. * 235 En effet, les eaux territoriales de la zone D du golfe de Guinée à laquelle appartient le Cameroun et celles voisines du Nigéria sont les plus en proie aux attaques des pirates en mer. Par ailleurs, avec la montée de l'islamisme fondamentaliste et la radicalisation insurrectionnelle de la secte islamiste et terroriste BOKO HARAM dans le Nord du Nigéria, ces deux pays partagent la même inquiétude sécuritaire quant aux conséquences des actes susceptibles d'être menés de part et d'autre des frontières par les membres de ce groupe. * 236 A ce niveau, les confins transfrontaliers RCA-Tchad-Cameroun sont considérés comme le « triangle de la mort ». Voir Joseph Vincent NTUDA EBODE, « L'insécurité transfrontalière dans la zone RCA-Tchad-Cameroun et l'initiative tripartite », op.cit., * 237 C'est le cas du Nigéria au sein de la CEDEAO où il est soupçonné par les pays d'expression francophone d'impérialisme militaro-économique régional. * 238 C'est le cas du Cameroun dans la CEMAC qui, malgré les velléités offensives de la Guinée-Equatoriale, demeure encore la plaque tournante de la sous-région. * 239 Il est clair que la CEMAC, regroupement de 6 Etats faiblement peuplés et économiquement non viables, ne saurait équivaloir la CEDEAO, organisation d'une quinzaine d'Etats fortement peuplés et aux économies croissantes. * 240 C'est une opération lancée le 28 septembre 2011 conjointement par le Nigéria et le Bénin et qui vise à prévenir les attaques de pirates au large de leurs eaux territoriales. * 241 Comme le souligne le Professeur Joseph Vincent NTUDA EBODE, « la lutte contre la criminalité organisée est un objectif de défense et de politique extérieure. (...) Il devient indispensable d'avoir une approche globale de la lutte contre cette forme de criminalité, en renforçant la coopération internationale... ». Voir Joseph Vincent NTUDA EBODE, « L'insécurité transfrontalière dans la zone RCA-Tchad-Cameroun et l'initiative tripartite », in Joseph Vincent NTUDA EBODE (sous la direction de), op.cit., p.155 |
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