Chapitre 2
Revue de littérature
L'excision est parmi les questions qui suscitent de nos jours,
beaucoup de débats et controverses. Mais, il est à constater
qu'elle est encore mal comprise et mal connue même par les scientifiques.
Même si beaucoup de choses ont été écrites dans ce
domaine, il n'en demeure pas moins que les discours qui y dominent restent
marqués par les idéologies. C'est fort de ce constat que nous
avons entrepris, dans le cadre de cette étude de cas, de continuer
à explorer cette réalité sociale. A travers la
littérature sur la question, nous savons aujourd'hui que ceux qui
pratiquent l'excision évoquent plus ou moins la religion pour
légitimer leur acte. Plusieurs auteurs ont eu à travailler sur
l'excision. Dans l'impossibilité de pouvoir faire une revue exhaustive
de tous les écrits sur la question, nous avons choisi de nous
référer seulement à quelques-uns d'entre eux en respectant
l'ordre chronologique des publications. De ce fait, nous verrons respectivement
les ouvrages de Benoîte Groult, Awa Thiam, Fran P. Hosken Renée
Saurel, Michel Erlich, Marie et Hubert Prolonge sur l'excision.
Tout d'abord essayons de voir ce qu'en écrit
Benoîte Groult. Cette dernière, dans son ouvrage « Ainsi
soit-elle », s'est montrée très critique vis-à-vis
des MGF. D'après elle, rien ne justifie cette pratique à part la
haine du clitoris. Se fondant sur la pensée populaire, elle
caractérise «le clitoris» par : «le péché,
la source de tout mal, c'est le trou méprisable, l'étui pour
l'organe roi qui seul lui confère sa raison d'être. C'est en mot
la femme. Par lui-même il n'est rien. Un trou n'est rien. Il est creux,
négatif, vide». Pour Groult, le monde reste encore muet pour
réprimer cette pratique parce qu'il s'agit des «histoires d'organes
féminins». C'est «donc sans importance». Personne n'en
parle.
L'auteur n'a même pas de complexe face à la
religion. En effet, à ce sujet écrit-elle : «Il est juste de
dire que le coran n'est pas l'inventeur de cette mutilation. L'excision comme
le voile préexistaient à l'enseignement de Mahomet. Mais il l'a
accepté partout où elle était pratiquée mieux, il
s'en est réjoui. Les femmes juives peuvent rendre grâce à
Moise qui, pour des raisons inconnues, ne ramena pas d'Egypte cette tradition
et ne conserva que la circoncision».
Comme son titre l'indique, Awa Thiam dans son ouvrage «la
parole aux négresses» 1, donne la
parole à celles qui pendant longtemps se sont tues non pas parce
qu'elles n'avaient
1. Paris Editions DENOEL, 1978, 189 Pages
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pas des choses à plaindre ou à réclamer,
mais parce que le système d'oppression mâle ne leur permettait pas
toute prise de parole. L'architecture du livre comprend trois parties : la
première est intitulée « Des mots de négresses
», la deuxième a pour titre « Des maux de négresses
» et la troisième c'est « Féminisme et
révolution ».
Dans la première partie l'auteur donne la parole
à des femmes qui racontent principalement leurs conditions
désastreuses de mariage et de fiançailles.
C'est seulement à partir de la deuxième partie
qu'elle prend réellement position contre les maux dont souffrent les
femmes noires en particulier. A ce propos, elle souligne que bien que tous les
problèmes de femmes se recoupent, les femmes noires
indépendamment de toute origine : « ont en commun la condition
d'être exploitées et opprimées par le même
système phallocratique, (...). Il n'est pas rare de retrouver en Afrique
ou en Europe, des femmes battues, des femmes dont les maris sont polygames,
institutionnellement ou illégalement ».Concernant la
clitoridectomie et l'infibulation, Awa Thiam mentionne que ces pratiques sont
présentes chez les musulmans, les chrétiens et les animistes.
Partant de cette base, l'auteur récuse la thèse de la source
islamique de ces opérations en les faisant remonter au règne du
prophète Abraham.
Dans la troisième partie de son ouvrage, Awa Thiam
exhorte ses consoeurs négresses à lutter pour la recherche de
leur dignité et de la reconnaissance de leur spécificité
d'êtres humains. Pour elle, la lutte que doit mener les femmes d'Afrique
noire doit se situer à un niveau autre que celui des femmes
européennes. En effet, «en Afrique noire sévissent la
polygamie institutionnalisée, les pratiques mutilatrices sexuelles, les
mariages forcés, les fiançailles d'enfants». Ce qui est
commun à toutes les femmes c'est la «violence phallocratique».
Or «la violence engendre non pas l'humain mais plutôt sa
destruction. Elle a pour nom : fascisme phallocratique. Elle est donc à
abolir dans toute société, dans tout groupe social».
Juste à la fin de l'année de publication de
«Parole aux négresses», Fran Hosken confie ses longues et
vastes recherches sur l'excision sous forme d'un ouvrage. En effet, le
«Génital and Sexual Mutilation of Females» est publié
en 1978 et un peu avant le Séminaire de l'OMS à Khartoum en
février 1979. Quand Fran Hosken a débuté ses
investigations, il n'y avait pas beaucoup d'écrits sur les MGF
contrairement à la circoncision masculine. C'est ainsi que l'architecte
doublée de journaliste va entreprendre des recherches à travers
le monde entier. C'est la raison pour laquelle, il n'y a presque pas
aujourd'hui un travail qui se fait sur l'excision sans se référer
à l'étude de Fran Hosken.
A l'instar d'Awa Thiam, Fran Hosken, journaliste
américaine, situe les MGF dans un passé pré-islamique. A
ce propos, elle écrit : «It was first recorded in Egypt 2000 years
ago»2. Elle avance également que ces pratiques ont
tendance à augmenter à cause de la croissance
démographique. Selon les types, Fran Hosken localise les MGF dans 41
pays d'Afrique. Pour elle, 110,529 millions de femmes et de filles sont
mutilées en Afrique. En dehors, de l'Afrique, les MGF sont
pratiquées dans la Péninsule Arabique et tout au long du Golfe
Persique. Au niveau de l'Occident aussi, à cause de l'émigration,
on note ces pratiques.
2. Traduit par : les MGF ont été enregistrés
pour la première fois en Egypte il y a de cela 2000 ans
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Dans la première partie, l'auteur fait une vue
d'ensemble sur les conséquences des MGF sur la santé des femmes
et rapporte les recommandations du Séminaire de Khartoum. De même,
elle fait un historique de ces opérations. La deuxième partie est
plus détaillée. En effet, Fran Hosken y revient sur des cas de
pays. Elle insiste principalement sur les pays d'Afrique. Et dans la
dernière partie, elle revient sur l'ensemble des politiques qui ont
été initiées pour estomper les MGF. Dans cette partie,
Fran Hosken accuse les institutions internationales, parce que dirigées
par des hommes, d'avoir fermé les bouches sur ce mal qui frappe les
femmes. C'est ce qu'elle a appelé « The conspiracy of silence
».
A la suite de Fran Hosken, Renée Saurel publie un
ouvrage très critique sur les MGF. C'est ainsi qu'elle écrit :
« Mon propos se limite à un plaidoyer contre les mutilations qui ne
sera pas fondé sur la haine du mâle, mais ne ménagera pas
ces messieurs quand ils trouvent leur compte dans une si scandaleuse injustice
». L'ouvrage débute par l'histoire de la petite Oumou, une malienne
vivant en France avec ses parents. Cette fille qui faisait à
l'époque l'école maternelle a été excisée
à l'âge de quatre ans par une femme venue spécialement du
Mali pour la circonstance. Madame la directrice de l'école très
bouleversée par l'opération, prend l'affaire à bras le
corps. Un jour, alors qu'elle sortait de l'école, elle rencontre la
mère d'Oumou et lui demande si sa fille ne souffrait plus. Cette
dernière répond : «Non, ici ça ne dure qu'un mois, au
Mali beaucoup plus longtemps. Ça fait très mal. Oumou n'a pas
fait pipi pendant deux jours. On est obligé de le faire. Moi je ne
voulais pas. (Pourquoi?) Je ne sais pas. C'est Dieu qui l'a dit. Si on n'est
pas coupée, on ne se marie pas. C'est une femme qui vient du Mali, elle
le fait avec une lame».
Toujours dans la même logique, Saurel s'intéresse
également à une question que se posait la revue Famille et
Développement en 1975 : L'excision, base de la stabilité
familiale ou rite cruel? Le docteur Taoko de l'hôpital Yalgado, à
Ouagadougou avait tenté de répondre à cette question.
L'auteur de l'enterrée vive reprend la réponse de Taoko sans la
corrompre. Elle écrit : « En Afrique occidentale le terme
circoncision prête à confusion : il désigne d'une part
l'opération qui prive l'homme de son prépuce et la femme de son
clitoris et d'autre part, sous-entend l'initiation proprement dite. Le docteur
Taoko estime que si, en Afrique occidentale, la circoncision et l'excision ont
relevé surtout du «rite de passage», l'excision n'est plus
aujourd'hui qu'une pratique de routine au sujet de laquelle personne ne peut
fournir de «justifications convaincante».
Les ouvrages mentionnés ci- dessous ont en commun
d'être très radicaux dans la remise en cause de l'excision.
Michel Erlich3 lui est un peu modéré.
Médecin et ethnologue à la fois, Erlich minimise les
conséquences médicales de l'infibulation, pratique qu'il
maîtrise parfaitement pour avoir eu à travailler à
Djibouti. En effet, dès l'entame de l'ouvrage il avertit : «Les
répercussions médicales de l'infibulation ne m'ont pas paru
d'emblée préoccupantes. Les premiers échos des
réactions hostiles de la presse occidentale contrastent avec l'absence
d'une pathologie gynécologique majeure dans ma clientèle,
incitèrent à m'intéresser aux divers aspects de cet
étrange coutume»
L'auteur de «La femme blessée » a le
mérite d'avoir fait dans son ouvrage, une typologie
3. Dans « La femme blessée », Paris,
l'Harmattan, 1986, 321 pages
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de toutes les formes de MGF et d'avoir réparti chacun
des types en fonction de la zone où il est en vigueur. Il retrace aussi
les différentes campagnes qui ont eu à être menées
depuis la colonisation pour arrêter la pratique. Par ailleurs, il fait
une revue de la question de l'excision en montrant les nombreux auteurs qui
l'ont abordé.
Contrairement à ce que l'on aurait tendance à
penser, Hubert Prolongeau montre que l'excision est en expansion. En effet, il
montre que : «Cent trente millions de femmes et fillettes sont
excisées de par le monde». Ce métier de
«réparateur de clitoris», Pierre Foldes le fait gratuitement
(du moins pour ce qui concerne les femmes qui ne sont pas couvertes par la
sécurité sociale). Le spécialiste qui exerce à la
clinique Louis XIV de Saint-Germain-Laye (à l'ouest de Paris), a
été influencé par son parcours d'humanitaire qui lui a
permis de travailler en Asie d'abord, puis en Afrique. En effet, pour lui, il
faut coûte que coûte secourir les opprimés où qu'ils
se trouvent.
En gros, ce sont les ouvrages susmentionnés qui nous
ont permis de réaliser cet état de la question.Regardons à
présent l'avis des deux religions les plus touchées par cette
pratique dans le monde.
2.1 Christiannisme et excision
Lorsque les missionnaires jésuites au 16e siècle
arrivent en Abyssine (Ethiopie), ils tentent d'abolir l'excision chez les
nouveaux convertis. Mais les hommes refusent d'épouser les femmes non
excisées et les conversions cessent. Comme le rappelle Benoite Groult,
l'église décide, sur injonction du pape Paul III de
«Préférer les âmes aux organes sexuels» et de
cautionner la pratique car elle est «médicalement
nécessaire».
Puis c'est le bras de fer à la fin des années
1930 au Kenya, entre les missionnaires presbytériens écossais
opposés aux MGF, qui refusent l'accès à l'église de
toute fille excisée et les tribus Kikuyu qui, pour maintenir le rite,
fondent des écoles et des églises indépendantes qui
accueillent les filles excisées. Tout commence en 1919. Quand les
médecins missionnaires émettent une recommandation unanime pour
l'abolition de l'excision et des mesures disciplinaires pour les
chrétiens qui continueraient à s'y livrer. Mais Jomo Kenyatta s'y
opposait fortement car trouvait en l'excision une sorte de résistance
nationale à la domination coloniale. Il écrit en 1938 dans Au
pied du mont Kenya: «pas de Kikouyou digne de ce nom ne souhaite
épouser une fille non excisée. La clitoridectomie est une
mutilation corporelle considérée, en quelque sorte comme la
condition sine qua non pour recevoir un enseignement religieux et moral
complet». L'église d'Ecosse dû se plier devant cette
résistance et renoncer à la campagne d'abolition du rite de
l'excision. Quant à la pratique, elle perdure jusqu'à nos
jours.
En 1952, l'Alliance internationale Jeanne D'Arc se
définissant comme association catholique, dépose le premier
rapport officiel sur les MGF devant l'ECOSOC '. Ces prises de position visent
à faire reconnaitre par le Vatican le caractère
irréversible et donc
4. Conseil Economique et Social des Nations Unies
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condamnable des MGF mais en vain. L'église se terre
devant cette controverse car elle préfère éviter toute
confrontation avec les communautés chrétiennes africaines
catholiques. Cependant, les églises africaines confrontées aux
MGF prennent clairement position contre cette pratique. Par exemple lors du
séminaire sur l'excision : culture et religion organisé à
Kolda ( sud du Sénégal) par l'ONG Enda Tiers-Monde en 1993, le
Révérend père Lopy a déclaré: «si DIEU
a trouvé que ce qu'il a réalisé dans l'homme comme dans la
femme était absolument bon, pourquoi la lame, le couteau ou le tesson de
bouteille viendraient-il supprimer la merveille du créateur ?»
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