2.2 Islam et excision
Il y a eu plusieurs controverses autour des mutilations
sexuelles en terre d'islam. Rappelons d'abord les deux sources qui rythment la
vie des musulmans : le coran et les recueils de la Sunnah (paroles et gestes ou
hadith du prophète Mohamed). Elles sont complétées par les
fatwas : avis des savants religieux musulmans qui, formulées dans un
langage accessible au public soit oralement soit par écrit, indiquent le
comportement à suivre pour se conformer à la volonté
divine. L'authenticité des hadiths est déterminée par
l'indentification du rapporteur qui aurait entendu le prophète le
prononcer, et de la chaine de transmission. S'il apparait clairement que le
coran ne contient aucune indication quant à l'existence ou à
l'obligation de l'excision, ses partisans invoquent des hadiths
attribués à Mohamed, qui aurait ainsi interpellé une
exciseuse : « Si tu coupes, n'exagère pas car cela rend plus
rayonnant le visage et c'est plus agréable pour le mari ». Mohamed
aurait dit aussi : que « l'excision est le mérite des filles
».Or précisément, ce hadith est qualifié
d'inauthentique au vu et au su des musulmans les plus érudits partisans
des MGF. Les hadiths représentent une arme redoutable aux mains de ceux
qui la manipulent pour faire obstacle à toute campagne luttant contre
les mutilations. Il existe un ensemble de fatwas qui se contredisent les unes
les autres sur la question de l'excision. Ce contexte encourage les adeptes de
la pratique et participe au maintien et à l'ancrage des mutilations
sexuelles féminines au sein de la société musulmane. C'est
ainsi que les médecins, gynécologues et obstétriciens, des
spécialistes de la loi islamique et certains conférenciers en
droit musulman, des grandes universités, proches des milieux
traditionnalistes religieux, continuent à justifier la pratique de
l'excision par l'existence de hadiths défenseurs de cette pratique.
Certains d'entre eux affirment même que « l'excision est source de
pudeur, d'honneur et d'équilibre psychologique ». D'autres encore
avancent des arguments médicaux recommandant l'excision comme
étant bénéfique à la santé et à
l'hygiène, les femmes pouvant procéder à « leur
hygiène intime plus facilement en l'absence d'une partie de leurs
organes génitaux». Cette coutume s'est transmise de
génération en génération. Avec le temps, elle a
été associée abusivement à la religion pour
finalement se confondre, dans l'imaginaire à un commandement du
prophète voire, une règle. Une règle selon laquelle tout
ce qui n'est pas interdit est permis. Les MGF n'étant pas interdites de
façon explicite dans le coran, elles restent donc permises et sont en
général une norme en milieu musulman.
De façon générale, les études sur
les violences basées sur le genre ont montré une
prédominance de cette pratique dans les sociétés
musulmanes. Le tableau ci-dessous donne
Religion et pratique de l'excision en Côte d'Ivoire
ENSEA, Mai 2012
Douala Roméo, Nguemo Ngueabou Joel -
ITS 2012 27
la prévalence (en %) de l'excision par âge dans
certains pays à majorité musulmane et les sources des
données.
|
Sources de données
|
15-49 ans
|
15-19 ans
|
35-39 ans
|
Burkina Faso
|
EDS 2003
|
76 ,6
|
65,0
|
81,6
|
Egypte
|
EDS 2005
|
95,8
|
96,4
|
95,9
|
Erythrée
|
EDS 2002
|
88,7
|
78,3
|
92,6
|
Ethiopie
|
EDS 2005
|
73,3
|
62,1
|
81,2
|
Gambie
|
MICS 2005
|
78,3
|
79,9
|
79,5
|
Guinée
|
EDS 2005
|
95,6
|
89,3
|
98,6
|
Sierra Leone
|
MICS 2006
|
94,0
|
81,1
|
97,5
|
Somalie
|
MICS 2006
|
97,9
|
96,7
|
98,9
|
Soudan
|
MICS 2000
|
90,0
|
85,5
|
91,5
|
Il parait alors vraisemblable que l'islam ait une
corrélation positive avec la pratique de l'excision ou plus
généralement, que la religion est un déterminant majeure
de la pratique de l'excision.
Cependant plusieurs exceptions semblent mettre en doute cette
assertion. En effet, il existe des sociétés ou des pays à
majorité musulman où les taux de prévalence de l'excision
sont très faible, ou du moins inferieures à ceux observés
dans les sociétés chrétiennes. Examinons quelques exemples
: Tout d'abord, il convient de noter que l'excision n'est pas pratiquée
en Lybie, Tunisie, Algérie et Maroc qui sont des pays arabes. Par
ailleurs les EDS réalisées en 2006 au Niger et en Ouganda
montrent les taux de prévalence respectifs de 2,2% et 0,6% pour les
femmes ayant entre 15 et 49 ans. Les chiffres présentés
ci-dessous doivent toutefois être interprétés avec une
certaine réserve car ils représentent des taux de
prévalence moyen dans les pays considérés et ne prennent
pas en compte la ventilation selon les régions d'habitation, le milieu
de résidence. Les études de causalité entre la religion et
l'excision suivant ces ventilations peuvent apporter plus
d'éléments explicatifs que les chiffres agrégés. De
pareilles études ont étés réalisées dans
certains pays et contribuent fortement à la mise en doute de
l'idée selon laquelle la religion islamique a une forte
corrélation positive avec la pratique de l'excision. Les dossiers
documentaires du CEDIF soulignent que dans le sud du Nigeria, les femmes
musulmanes sont moins fréquemment excisées que les
chrétiennes; au Ghana, la prévalence de la mutilation est
semblable dans les deux communautés. Le rapport de l'enquête VBG
réalisée par l'UNICEF en 2008 montre que Les MGF sont plus
fréquents chez les animistes (74%) et les musulmans (66%) que chez les
catholiques (40%) ou les protestants. La grande prévalence de l'excision
chez les animistes est essentiellement liée à la persistance de
certaines croyances et habitudes culturelles favorables à cette
pratique. Cette étude montre que l'implication de la religion dans cette
pratique varie selon les régions. Ainsi, dans les départements de
Man (87%) et de Guiglo (77%), le phénomène est plus
amplifié chez les animistes, Il est plus prononcé chez les
musulmans à Daloa et Duékoué (où plus de 60% des
femmes excisées sont musulmanes), et plus fréquent chez les
femmes sans religion résidant dans les départements de
Danané (79%) et de Korhogo (84%). La conclusion tirée de cette
étude est l'absence d'une relation de causalité entre la religion
et la pratique de l'excision. Cette multitude de cas isolés semble
montrer une absence de corrélation positive entre la religion et la
pratique de
Religion et pratique de l'excision en Côte d'Ivoire ENSEA,
Mai 2012
Douala Roméo, Nguemo Ngueabou Joel - ITS 2012 28
l'excision. L'enquête réalisée par l'ONG
ONEF financée par l'UNFPA a d'ailleurs relevé qu'en Côte
d'Ivoire «l'excision n'a pas de fondement religieux, elle a tout
simplement une origine ancestrale, aussi soumet-on les jeunes filles à
la mutilation génitale par respect pour la tradition et dans le but de
perpétuer celle-ci. C'est aussi une activité lucrative qui
rapporte aux exciseuses 3 à 8 euros par fille excisée».
Religion et pratique de l'excision en Côte d'Ivoire ENSEA,
Mai 2012
Douala Roméo, Nguemo Ngueabou Joel - ITS 2012
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