Les conflits de lois en matière de contrefaçon des œuvres littéraires et artistiques.( Télécharger le fichier original )par Patrice Ledoux DJOUDIE Université de Dschang Cameroun - Master en droit des affaires et de l'entreprise 2010 |
CHAPITRE II :L'EVICTION DE LA LOI NORMALEMENT APPLICABLEAprès que la lex loci delicti ait été déterminée comme la loi applicable à la contrefaçon internationale des oeuvres littéraires et artistiques, sa mise en oeuvre peut révéler des incohérences et des contrariétés notoires et fondamentales avec la loi du for ou du juge saisi. Lorsque des incohérences et des contrariétés de la loi reconnue comme compétente sont constatées par le juge saisi, celui-ci se trouve dans une situation où il doit évincer cette loi. L'éviction tel qu'elle doit s'entendre en matière de conflits de lois intervient dans une étape ultime et nécessaire de l'application de la règle de conflit, lorsque celle-ci désigne une loi étrangère. Le contenu de cette loi, dont on ne se préoccupait pas jusqu'à ce stade en vertu de la « neutralité » de la règle de conflit est alors considéré afin de s'assurer que son application ne va pas perturber l'ordre juridique du juge saisi. L'éviction de la loi reconnue comme applicable par la règle de conflit du juge saisi peut se justifier tout d'abord par la manipulation par une des parties de la règle de conflit. Elle peut ensuite se justifier par le contenu de ladite loi, qui serait en désaccord absolu avec les conceptions fondamentales et essentielles de la loi du juge saisi. Dans le premier cas, le juge saisi évincera la loi normalement applicable pour exception de fraude à la loi150(*). Et dans le second cas, il évincera la loi normalement applicable pour exception d'ordre public. Voilà les deux solutions qui peuvent être apportées aux problèmes de fraude et de contrariété de la loi normalement applicable. Compte tenu du fait que les délits sont des faits juridiques et dont le rattachement indéniable échappe à la volonté, et la lex loci delicti la loi qui leur est applicable, il n'est pas en principe possible d'envisager l'éviction de la loi normalement compétente pour fraude à la loi dans les cas de délits. Mais par ce que la contrefaçon des oeuvres littéraires et artistiques est un délit spécial, en ce sens qu'une personne peut bel et bien choisir l'endroit où elle va la commettre151(*), alors, il sera envisagé ici, le cas de l'éviction de la loi normalement applicable pour exception d'ordre public (SECTION I) et pour fraude à la loi (SECTION II). SECTION I : EVICTION POUR EXCEPTION D'ORDRE PUBLICL'ordre public en droit international privé a une définition particulière. Ainsi, la doctrine152(*) et la jurisprudence française153(*) s'accordent à définir l'ordre public comme un correctif exceptionnel permettant d'écarter la loi étrangère normalement compétente, pour la remplacer par celle du juge saisi, lorsque la loi étrangère contiendrait des dispositions dont l'application est jugée inadmissible par le tribunal saisi154(*). Nous pouvons dire qu'en droit international privé, l'ordre public renvoi pour un Etat donné, à un certain nombre de principes fondamentaux intervenants pour exclure l'application d'une loi étrangère considérée comme normalement applicable. Donc, lorsque le contenu de la loi étrangère reconnue comme compétente par la règle de conflit est d'une contrariété absolue et fondamentale par rapport à la loi du for, ce dernier peut l'évincer. L'ordre public dans le sens du D.I.P. fait échec au jeu normal de la règle de conflit. Sa fonction première est de sauvegarder les conceptions juridiques, morales essentielles et fondamentales des dispositions de la législation du juge saisi, en écartant la loi étrangère à laquelle renvoi normalement la règle de conflit, lorsqu'il s'y trouve des prévisions ou des dispositions dont l'application est jugée inadmissible par le juge saisi, parce qu'elles sont contraires aux données essentielles de la législation de ce dernier. Nous pouvons en déduire que l'ordre public à caractère international155(*) est un réflexe de rejet de la loi étrangère, utilisé par les juges saisis, lorsqu'il n'y a pas de cohérences évidentes avec leurs lois respectives. Ainsi, l'application de la loi étrangère contraire au contenu fondamental de la loi du for choquerait le système juridique interne de celui-ci et paralyserait dans certaines mesures la bonne marche de ce système156(*). Ceci nous amène à faire une différence entre l'ordre public interne et l'ordre public international : Tandis que l'ordre public international renvoi à cet ensemble de principes fondamentaux intervenant pour rejeter et exclure l'application d'une loi étrangère considérée comme normalement applicable, l'ordre public interne157(*) renvoi quant à lui à cet ensemble de règles impératives auxquelles les individus ne peuvent se soustraire. De la définition de l'ordre public en droit international privé ainsi donnée, il se dégage plusieurs caractères. L'ordre public en droit international privé est une notion variable dans le temps, d'application jurisprudentielle et c'est une notion nationale. Le juge qui est saisi d'une question de contrefaçon internationale des oeuvres littéraires et artistiques, après avoir déterminé la loi compétente, peut l'évincer pour plusieurs raisons (paragraphe I). Cette éviction produit des effets bien précis (paragraphe II). Paragraphe I : Les motifs de l'éviction de la loi compétente pour exception d'ordre publicConcernant les motifs de l'éviction pour exception d'ordre public, le juge qui a devant lui une loi étrangère reconnue comme normalement applicable, peut l'évincer pour deux raisons principales : lorsque la loi étrangère compétente est contraire (A) au contenu de la loi du juge saisi et lorsqu'il y a inconformité (B).
A- Pour contrariétéLe juge saisi peut évincer la loi étrangère normalement compétente parce qu'elle est contraire aux dispositions fondamentales de sa loi. Il s'agit des dispositions relatives aux fondements politiques, moraux, sociaux, culturels, de la civilisation d'un Etat. Ainsi, concernant la contrefaçon internationale des oeuvres littéraires et artistiques, sa non répression prévue par une loi étrangère reconnue comme compétente d'après la règle de conflit, constituerait une contrariété absolue et fondamentale avec la loi camerounaise qui la sanctionne sur plusieurs plans158(*). Lorsque ce genre de comportement est constaté, le juge saisi doit déclarer la contrariété159(*) L'ordre public international apparaît ainsi comme une sorte d'autodéfense de la loi du juge saisi, lorsque les dispositions de celle-ci touchent aux fondements politiques, moraux et sociaux du pays, aux fondements de la civilisation d'un Etat au moment pendant lequel l'affaire se déroule. L'inconformité peut aussi être une cause de rejet de la loi étrangère normalement applicable. * 150 Il s'agit ici d'évincer la loi normalement applicable parce qu'une des parties a utilisé volontairement une règle de conflit dans le but d'échapper à une disposition impérative de la loi normalement compétente, à l'instar du changement de la nationalité pour obtenir le droit au divorce lorsque la loi nationale de la partie concernée n'accorderait pas ce droit. La fraude à la loi est donc constituée de l'utilisation volontaire d'une règle de conflit (élément objectif) et de l'intention d'échapper à une disposition impérative de la loi (élément subjectif). Dans les rattachements où la fraude à la loi est admise (lieu de rédaction d'un acte juridique, lieu de situation d'un meuble, lieu de domicile ou de résidence,...), la sanction indiquée est l'inopposabilité de l'acte litigieux (voir Cass. Civ., 18 mars 1878, Sirey 1878, I, p.193 ; Aix-en-Provence, 09 mars 1982, RCDIP 1983 .382 et Cass. Civ. 1ère, 20 mars 1985, RCDIP 1986, p.66). * 151 Par exemple, en décidant du pays dans lequel elle va mettre en ligne une oeuvre contrefaite, ayant au préalable pris le soin de vérifier que ce pays ne protège pas assez ou suffisamment les oeuvres de l'esprit. Un autre exemple est celui d'après lequel une personne peut choisir l'Etat sur le territoire duquel elle va procéder à l'écoulement des produits de sa contrefaçon, tout en sachant que la loi qui lui sera applicable en cas de litige ou de saisine du juge par la partie lésée, est la loi du lieu de commission ou de réalisation du délit comme le prévoit la règle de conflit de lois. Comme on le voit, la manipulation de la règle de conflit est bien possible en matière de contrefaçon des oeuvres littéraires et artistiques, bien que ce dernier acte soit un fait juridique. Par contre, cette manipulation ou cette mauvaise utilisation de la règle de conflit par une partie ne serait pas possible en matière du fait juridique par excellence qui est l'accident de circulation. Car, on voit mal un individu quitter un pays pour un autre rien que pour réaliser un accident de la circulation ou alors programmer la réalisation d'un accident dans un pays, bien que ceci soit bien possible pour les terroristes ou les criminels bien financés par les hommes sans scrupules et sans morales qui ne cessent de faire parler d'eux chaque jour. Tel était le cas avec OUSSAMA BEN LADEN, l'un des terroristes les plus connus qui a existé dans le monde et qui avait bel et bien financé et programmé l'Etat dans lequel il devait commettre ses forfaits de terrorisme, en loccurrence les ETATS UNIS. * 152 Notamment : AUDIT (B.), Droit international privé, economica, 4e éd., 2006 ; BUREAU (D.) et MUIR WATT (H.), Droit international privé, PUF, TOM II, 2e éd., 2010 ; MAYER (P.) et HEUZE (V.), Droit international privé, Montchrestien, 8e éd., 2004. * 153 Voir notamment : Cass. Civ. 1ère, 15 juillet 1963, RCDIP 1964, pp.732 ; 30 mai 1967, RCDIP 1967, pp.728, notes BOUREL (P.), qui déclarent que l'ordre public consiste en la «substitution de la loi française à la loi normalement compétente ». * 154 Une autre définition est donnée par la Cour de cassation. Elle affirme que concernant l'ordre public international, il s'agirait des « principes de justice universelle considérés comme doués de valeur internationale absolue ». * 155 Ou en droit international privé * 156 Cas où des personnes seraient portées à invoquer l'application ultérieure de la même loi étrangère contraire au contenu fondamental de la loi du pays concerné, dans d'autres affaires. * 157 En droit camerounais interne * 158 Tant sur le plan civil que sur le plan pénal. * 159 Voir dans ce sens, par analogie et à titre de droit comparé, Paris, 09 février 1966, RC 66, p. 264, notes Louis-Lucas, déclarant un trafic d'armes contraire « à la fois à l'ordre public international et à l'ordre public français ». voir également Paris, 12 juillet 1984, JDI 85, p. 129, notes Goldman. |
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