B. Les Conventions régionales des droits de
l'homme
Les droits de l'homme, dont notamment son droit à la
santé sont doublement protégés à l'échelle
internationale par les Conventions internationales à portée
universelle ainsi que par les Conventions adoptées par les organisations
internationales régionales notamment dans la Charte sociale
européenne et la Convention européenne des droits de l'homme
(1)1 et dans la Charte africaine des
droits de l'homme (2).
1. La Charte sociale européenne et la Convention
européenne des droits de l'homme
Ce sont les deux textes les plus importants dans le
développement européen des droits de l'homme. Ils constituent les
deux principaux piliers du système européen en la
matière.2
Sur le continent européen, la protection des droits
fondamentaux du "citoyen européen", dont son droit à la
santé, était une priorité lors de la rédaction de
la Charte sociale signée le 18 octobre 1961 et entrée en vigueur
le 8 Avril 1974. Cette Charte subordonne sa ratification à l'engagement
de réaliser dix parmi les dix-neuf "droits sociaux" figurants dans le
texte de la Charte. Parmi ces dix droits figure le droit à la
sécurité sociale dans l'article 12, qui dispose : « En
vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la sécurité
sociale, les parties s'engagent :
1) à établir ou à maintenir un
régime de sécurité sociale ;3
2) à maintenir le régime de
sécurité sociale à un niveau satisfaisant au moins
égal à celui nécessaire pour la ratification du code
européen de sécurité sociale ;
1 Il est utile de rappeler qu'une charte des droits
fondamentaux a été adopté le 07 décembre 2000 et
prévoit une riche liste des droits sociaux, Cf. G. BRAIBANT,
« La charte des droits fondamentaux », Dr. Soc. n° 1 janvier
2001, p 69.
2 A propos de la charte sociale Européenne
(signature, ratifications, déclarations et réserves),
Cf. La charte sociale européenne, Recueil des textes,
Editions du conseil de l'Europe, 1999, p. 67 et S.
3 Toutefois la protection sociale affronte des
difficultés économiques et monétaires dans certains pays.
Cf. K. MICHELET, « Protection sociale et contraintes
économiques et monétaires européenne », Dr. Soc.
n° 3 , 2001, p292-303.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 34
3) à s'efforcer de porter progressivement le
régime de sécurité sociale à un niveau plus haut
... »1.
« La Charte sociale européenne
représente, au niveau européen, l'équivalent du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
conclu, en 1966, dans le cadre de l'ONU, cet instrument est, en ce qui concerne
la sécurité sociale (art. 12 de la Charte), plus précis
que le Pacte international »2.
Le droit à la sécurité sociale vient
renforcer le droit du "citoyen européen" à la santé comme
le prévoit l'article 11 de la Charte intitulé droit à la
protection de la santé.3 Ainsi, « en vue de
renforcer l'exercice effectif du droit à la protection de la
santé, les parties s'engagent à prendre, soit directement, soit
en coopération avec les organisations publiques et privées, des
mesures appropriées tendant notamment :
2- à prévoir des services de consultation et
d'éducation en ce qui concerne l'amélioration de la santé
et le développement du sens de la responsabilité individuelle en
matière de santé »4.
La protection du droit à la santé se fait dans
le cadre de l'exercice du droit à la sécurité sociale.
Dans ce sens l'article 12 de la Charte fait peser sur les parties l'obligation
de prendre les mesures pour assurer :
« -a- l'égalité de traitement entre les
nationaux de chacune des parties et les ressortissants des autres parties en ce
qui concerne les droits à la sécurité sociale, y compris
la conservation des avantages accordés par les législations de
sécurité sociale... ;
-b- l'octroi, le maintien et le rétablissement des
droits à la sécurité sociale par les moyens tels que la
totalisation des périodes d'assurance ou d'emplois accomplis
conformément à la législation de chacune des parties
»5.
La protection à la santé de certaines
catégories particulières de citoyens telles que : les
femmes6, la famille7, les enfants et les
adolescents1, les travailleurs migrants
1 Art. 12 Charte sociale européenne.
2 N. CATALA et R. BONNET, Droit social
européen, p. 18, Litec, 1991.
3 Cf. N. KERSCHEN, « Vers une individualisation
des droits sociaux : approche européenne et modèles nationaux
», Dr. Soc. n°2. 2003.
4 Art. 11 de la Charte.
5 Art. 12 de la Charte.
6 Art. 8 de la Charte relatif au droit des
travailleuses à la protection de la maternité.
7 Art. 16 de la Charte relatif au droit de la famille
à une protection sociale, juridique et économique.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 35
et leurs familles2 , les personnes
âgées3... est une protection non
discriminatoire4 puisque l'article E de la partie V de la Charte
prévoit que : « la jouissance des droits reconnus dans la
présente Charte doit être assurée sans distinction aucune
fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'ascendance
nationale ou l'origine sociale, la santé, l'appartenance à une
minorité nationale, la naissance ou toute autre situation
»5.
La protection du droit à santé du citoyen
européen,6 comme la reconnaissance de son droit à la
sécurité sociale fait l'objet d'une jurisprudence
européenne élaborée par le comité des droits
sociaux dont l'objectif est d'inciter les Etats membres à
développer les dispositifs institutionnels mis en place pour garantir
les soins et développer les systèmes nationaux de
sécurité sociale.
A ce sujet, la jurisprudence européenne tient compte
des évolutions des législations nationales et à ce que les
prestations de sécurité sociale soient accessibles à tous
les ressortissants des Etats membres.
La couverture sociale dans la région européenne
et notamment la protection du droit à la santé est garantie pour
les "citoyens européens" sur le même pied
d'égalité.
L'égalité est un principe de base qui a
guidé les rédacteurs de la Charte à s'inspirer de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, adoptée le 4 novembre 1950, cette
Convention tend à assurer la reconnaissance et l'application universelle
des droits de l'homme dont notamment son droit à la santé et
à la sécurité sociale.
A ce propos, alors que la Charte européenne
prévoit dans ses différents articles qu' « en vue
d'assurer l'exercice effectif »... d'un droit... « les
parties s'engagent
1 Art. 17 de la charte relatif au droit des enfants et
des adolescents à une protection sociale, juridique et
économique.
2 Art. 19 de la charte relatif au droit des
travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à
l'assistance.
3 Art. 23 de la Charte relatif au droit des personnes
âgées à une protection sociale.
4 Cf. F. VANDAMME, « Les droits
protéges par la Charte sociale contenu et portée », in
La Charte sociale européenne, Collection rencontres
européennes, Collection dirigée par Stéphane LECLERC,
éd. BRUYLANT-BRUXELLES.
5 Partie V, Art. E de la charte relatif à la
non-discrimination.
6 Cette protection est prévue dans un
panorama des aspects sociaux du traité d'Amsterdam,
évoquée par S.ROBIN-OLMER « La référence aux
droits sociaux fondamentaux dans le traité d'Amsterdam », Dr. Soc.
n° 6, 1999, p 620.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 36
à... », la Convention européenne
prévoit que « toute personne a droit...
»1. Cette remarque s'explique par le fait que la
Convention reconnaît des droits au profit des individus alors que la
Charte fait des Etats les destinataires des obligations2.
En Europe, la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Charte sociale
européenne sont les deux instruments juridiques qui ont servi de base
pour l'adoption d'autres textes en matière de sécurité
sociale dont notamment, la Convention européenne sur le statut juridique
du travailleur migrant3 adoptée en 1977, le code
européen de sécurité sociale4 entré en
vigueur le 17 mars 1968, la Convention pour la protection sociale des
exploitants agricoles5 entrée en vigueur le 17 juin 1977, les
accords intérimaires européens6 conclus le 11
décembre 1953 et la Convention européenne de
sécurité sociale7, entrée en vigueur le
1er mars 1977.
Tout un arsenal juridique, qui favorise le sauvegarde du droit
à la protection de la santé du "citoyen européen" par la
sécurité sociale, fait de la consécration du droit
à la santé par l'assurance sociale une pierre angulaire pour
favoriser le progrès social sur le continent européen.
Si ceci est l'état des textes en une Europe
développée qu'en est-il de l'état des textes en une
Afrique moins développée ?
1 Dans son commentaire sur l'arrêté de
la cours de cassation en date du 19 décembre 2002, X. PRETOT met
l'accent sur l'accès aux prestations sociales de l'étranger en
situation irrégulière en application de la Convention
européenne des droits de l'homme, Dr. Soc. n° 2, 2003, p. 420.
2 J. Manuel LARRALDE, « La charte sociale et
Convention européenne des droits de l'homme », in La Charte
sociale européenne, Collection rencontres européennes,
BRUYLANT BRUXELLES 2001, Editeurs : J-F. AKANDYI -KOMBE et S. LECLERC.
3 Cette Convention est adoptée par le
comité des ministres du conseil de l'Europe en mai 1977.
4 Le code européen de sécurité
sociale et son protocole additionnel constituent une sorte de loi-cadre, en
matière de sécurité sociale, pour les Etats membres du
conseil de l'Europe. Ce code trouve ses origines dans la recommandation 28-1951
de l'assemblée consultative du conseil de l'Europe.
5 Cette Convention est entrée en vigueur le
17 juin 1977 après son ouverture à la signature le 6 mai 1974,
mais elle n'est pas encore ratifiée par la France.
6 Ce sont 2 accords conclus le 11 décembre
1953 dans le cadre du conseil de l'Europe, et concernent les diverses branches
de sécurité sociale autres que la vieillesse, l'invalidité
et les pensions de survivants. La fonction de ces accords est
intérimaire, ils ont été élaborés dans
l'attente d'une Convention européenne de sécurité sociale
assurant la coordination générale des accords
bilatéraux.
7 La Convention européenne de
sécurité sociale détermine les règles
générales de coordination multilatérale des régimes
de sécurité sociale des parties contractantes. Cette Convention,
ouverte à la signature depuis 1972 et entrée en vigueur le
1er mars 1977.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 37
2. La Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples
Les Etats africains membres de l'organisation de
l'unité africaine, antécédent de l'union africaine, ont
adopté le 27 juin 1981 une Charte appelée Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples qui est entrée en vigueur le 21 octobre
1986. Cette Charte, ratifiée jusqu'au le 1er janvier 1996 par
50 Etats, reconnaît les droits fondamentaux de l'être humain dont
notamment son droit à la santé.
Par leur volonté commune, les Etats membres
reconnaissent ces droits pour leurs ressortissants dans « une totale
égalité devant la loi »1. Ces Etats s'engagent
à adopter des mesures législatives ou autres
»2 pour appliquer les droits reconnus dans la Charte et
dont la jouissance est, aux termes de l'article 2ème de la
Charte, garantie « sans distinction aucune, notamment de race,
d'ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou
de toute opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou
de toute autre situation »3.
Les Etats africains, quelques années après leur
indépendance, et en vue de développer et promouvoir les droits
fondamentaux de l'être humain vont adopter une Charte qui constitue
« un compromis entre les revendications des nouveaux Etats des
années soixante-dix et le droit international des droits de l'homme
élaboré essentiellement par les Etats occidentaux
»4.
Toutefois, à la lettre de Leader africain L.S. Senghor,
« l'humanité est une et indivisible et les besoins fondamentaux
de l'homme sont partout identiques... Il ne s'agira, pour nous africains, ni de
copier, ni de rechercher l'originalité. Il nous faudra faire preuve en
même temps, d'imagination et d'efficacité
»5.
Ainsi, la Charte devrait à la fois suivre
l'évolution universelle des droits de l'homme et s'inspirer des
traditions africaines. La Charte devrait donc concilier universalisme et
régionalisme, tradition et modernité. La question des droits de
l'homme en Afrique est restée durant longtemps une affaire interne pour
les Etats du continent.
1 Art. 3 al. 2ème de la charte.
2 Art. 1er de la Charte.
3 Art. 2ème de la Charte.
4 J. MATRINGE, Tradition et modernité dans
la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, éd,
BRUYLANT Bruxelles 1996, p. 15.
5 Adress delivred by H.E. Mr. Leopold Sedar Senghor,
President of the republic of OAU, DOC CAB/LEG/6715.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 38
1 E-R. MBAYA, La charte Africaine :
première étape de la promotion des droits de l'homme en Afrique,
1990, p. 5.
2 Ibid.
Le droit à la santé comme droit social
fondamental est reconnu, d'une part, par « le préambule de la
Charte africaine (qui) souligne avec force une approche
intégrationniste et " développementaliste " des droits de l'homme
»1 et, d'autre part, par les articles de la Charte
notamment les articles 16 et 18.
Ainsi l'article 16 reconnaît à toute personne
« le droit de jouir du meilleur état de santé physique
et mentale qu'elle soit capable d'atteindre » et incite les Etats
parties à la Charte à « prendre les mesures
nécessaires en vue de protéger la santé de leurs
populations et de leur assurer l'assistance médicale en cas de maladie
».
De surcroît la Charte dans son article 18 prétend
protéger la santé de la famille dans l'alinéa
1er, la femme et l'enfant dans l'alinéa
3ème et les personnes âgées ou
handicapées dans l'alinéa 4ème.
A la base de ces dispositions on peut remarquer que «
contrairement à la Charte des nations unies et autres Conventions
régionales, européenne ou américaine, on a
réalisé une économie de textes, même s'il est
envisagé de conclure, en cas de besoin, des protocoles ou accords
particuliers pour compléter les dispositions de la Charte
»2.
Cette économie de textes est critiquable dans le sens
où on ne trouve pas une reconnaissance explicite du droit à la
sécurité sociale dans un instrument juridique visant
essentiellement la protection des droits de l'homme.
Toutefois, l'effectivité des Conventions
internationales reste liée à la volonté des Etats membres
qui vont reconnaître les droits précités par leurs propres
droits nationaux. Ceci dit qu'en est il du droit à la santé par
les assurances sociales en Droit tunisien ?
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