SECTION II : ARMÉE COMME INSTRUMENT DE
DISSUASION
? La sécurité par dissuasion
Les dirigeants idéalistes penchent a priori pour la
sécurité par la conciliation, tandis que les réalistes ont
plutôt tendance à s'en remettre à la dissuasion.
La condition déterminante du succès d'une
politique de sécurité par apaisement est le caractère
satiable de la puissance révisionniste ou l'aspect limité des
objectifs. En effet, le succès d'une politique de conciliation «
dépend de la volonté ou de la capacité des antagonistes de
trouver un terrain d'attente. Dans le cas ou les antagonistes sont en
permanence agressifs et sans espoir de conciliation, une politique de pure
dissuasion devient la politique rationnelle. Dans ce cas, la conciliation n'est
pas seulement peu indiquée mais positivement dangereuse, elle encourage
l'existence des nouvelles concessions, d'une part, et de l'autre part, elle
renforce l'adversaire potentiel qui devrait au contraire être affaibli
».31
La sécurité est celle qui prend son partie de la
conjonction entre l'hostilité et la force, une conjonction d'autant plus
courante que l'accommodement est rare et que la suppression de la force, par
négociation ou guerre, l'est autant. Place le plus souvent devant un
fait accompli de H+F, l'adversaire n'a plus qu'à jouer sa
sécurité sur O, en ôtant à l'ennemi de recourir
rationnellement à ses forces armées. Alors que la
sécurité par la guerre ou le désarmement est la
sécurité par la suppression de capacité de contrainte
elles- mêmes, la sécurité par la dissuasion vise seulement
à empêcher qu'il soit fait d'une capacité dont l'existence
elle- même n'est pas mise en cause. Le recours aux forces armées
est empêché par la création d'un rapport de force tel qu'il
rend ce recours irrationnel, du fait de la perspective ce couts égaux ou
supérieurs à la valeur de l'enjeu. Les fondements psychologiques
et matériels de la sécurité par dissuasion sont donc
respectivement la rationalité de l'adversaire et l'existence d'un
rapport de forces propre à dissuader un acteur rationnel.
31 E. LUARD: cite par Mulamba N.: Conciliation and
deterrence. Comparison of biotical strategies in interwar and postwar periods,
Wolds politics, XIX, 2 janvier 1967, P. 177
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En somme, la dissuasion repose sur la rationalité de
l'agresseur potentiel. Cette rationalité met en balance les coûts
que l'agresseur en puissance aura probablement à subir s'il met ses
intentions à exécution et la valeur qu'il attribue à
l'enjeu qu'il convoite.32
Dissuasion nucléaire, dans les relations
internationales, terme désignant une stratégie qui vise à
décourager toute possibilité d'action hostile de la part d'une
puissance ennemie. Une stratégie de dissuasion réussie implique
qu'on puisse mettre l'agresseur potentiel dans un certain état d'esprit.
Un tel effet peut être obtenu soit en convainquant l'agresseur que son
attaque échouera -- « dissuasion par déni » -- ou que
le prix du succès sera très élevé -- «
dissuasion par punition ». La punition peut être infligée, ou
le prix exigé, soit en organisant une défense efficace, soit en
lançant une riposte.
La possibilité de parvenir à une situation de
dissuasion est présente dans toute situation d'équilibre
militaire relatif et ne constitue en aucune façon un
phénomène moderne.
C'est cependant l'apparition des armes nucléaires qui a
conféré une place centrale à la dissuasion dans le domaine
de la réflexion stratégique. Plusieurs caractéristiques
des armes nucléaires sont à l'origine de ce
phénomène :
? une défense efficace contre une attaque
nucléaire massive étant pratiquement impossible, la
sécurité ne peut être assurée qu'en empêchant
une première attaque ;
? l'efficacité destructrice des armes nucléaires
permet de punir toute agression par une riposte aussi efficace ;
? la destruction occasionnée par une riposte
nucléaire peut être d'une telle ampleur qu'elle annule tout
avantage produit par l'attaque initiale. Ces considérations propres
à toute stratégie de dissuasion furent renforcées durant
la guerre froide par le fait que les puissances
32 MULAMBA NGELEKA : Cours de
Géostratégie L1 R.I, /UNILU, 2009-2010, inédit
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de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN)
disposaient d'un arsenal nucléaire important tout en se
considérant inférieures sur le plan de l'armement conventionnel.
Par conséquent, la menace de riposte nucléaire semblait un bon
moyen de dissuader toute agression, conventionnelle autant que
nucléaire. Sous la présidence de Charles de Gaulle, la France
adopta pour sa part une politique nationale de dissuasion, dite « du
faible au fort ».
Au fil du temps, on s'aperçut que la dissuasion
nucléaire présentait des difficultés. Elle ne pouvait
fonctionner que si la menace de riposte était crédible. La
crédibilité requérait à la fois une capacité
matérielle reconnue de riposter et une volonté affichée de
le faire. On s'efforça alors de rendre les capacités de riposte
invulnérables à une « première frappe », par des
dispositifs comme l'installation de missiles dans des silos blindés ou
dans des sous-marins cachés, pour garantir une « deuxième
frappe ». Des divergences apparurent concernant la
crédibilité politique voire de la légitimité morale
d'une riposte nucléaire en cas d'attaques conventionnelles, même
limitées. Certains stratèges avancèrent qu'il
n'était souhaitable d'avoir recours à la menace de riposte
nucléaire que si les attaques étaient elles-mêmes
nucléaires, en d'autres termes, d'adopter une politique de «
non-recours en premier » à l'arme nucléaire. Aujourd'hui, si
le rôle des armes nucléaires dans la sécurité
internationale fait l'objet de nouveaux débats, le principe même
de la dissuasion demeure au centre de la réflexion
stratégique.33
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