CHAPITRE II. ARMEE DANS LA THEORIE STRATEGIQUE OU
THEORIE DE LA SECURITE
Dans Ce chapitre nous analysons l'armée entant
qu'instrument de défense, comme instrument de dissuasion, comme
instrument de coercition ainsi que comme instrument de statu quo.
Plusieurs Illustres stratèges ont, de tout temps,
tenté de déterminer les lois générales
régissant les confrontations entre forces armées. Certaines de
ces lois, de par leur pertinence et leur universalité, ont
été érigées en principes dits "Principes de la
guerre".
Parmi ces principes, il faut citer :
· La conservation de la liberté d'action
· La concentration des efforts
· L'obtention de l'effet de surprise
· La définition et la persistance du but à
atteindre
· Le soutien du moral
· La qualité de l'administration
· L'économie des moyens
· L'unité de commandement
· L'initiative et l'offensive
· La simplicité
· L'anéantissement des forces ennemies.
? Les principes et les règles de l'art
militaire
Comme déjà indiqué, il existe plusieurs
manières de présenter les principes de l'art militaire. Le
célèbre historien militaire Henri Bernard qui fut longtemps le
professeur d'histoire militaire de l'École royale militaire (Belgique)
considérait qu'il y avait trois principes de base desquels
découlaient diverses règles. Nous les énumérons
ci-dessous :
· La proportionnalité des buts et des moyens
o La nécessité du renseignement
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? La liberté d'action
o La réunion des forces
o L'inviolabilité de la ligne de communication
o La sûreté
o La dissimulation des intentions à l'ennemi
? Le rendement maximum ou l'économie des
forces
o La réunion du maximum de moyens
o Le maximum d'intensité
o La coopération
o L'unité de commandement
o Le choix du moment
o Le choix de l'endroit
o La surprise
o La vitesse
o La continuité
Dans la fonction de l'utilisation de la force, une armée
peut être un instrument de la défense, un instrument de
dissuasion, un instrument de coercition ou un instrument de statu quo.
? Les enjeux de la sécurité et les
facteurs stratégiques
Fonction de l'utilisation de la force
|
Facteurs qui influencent la stratégie
avant 1945
|
Facteurs qui influencent la stratégie
après 1945
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Défense : mobilisation
|
Formulation d'une
|
Formulation d'une
|
des ressources en vue
|
stratégie fondée
|
stratégie fondée
|
de limiter les dommages
|
essentiellement sur la
|
essentiellement sur la
|
encourus lors d'une
|
capacité de faire la
|
capacité de prévenir la
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attaque.
|
guerre. Prédominance
|
guerre. Approches
|
|
d'une approche
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surtout psychologiques
|
|
militaire privilégiant les
|
et diplomatiques
|
|
concepts d'offensive et
|
privilégiant le concept
|
35
|
victoire.
|
de gestion des conflits.
|
Dissuasion : empêcher l'adversaire
d'initier une attaque.
|
Considérations des
facteurs militaires et politico-diplomatiques
qui influencent les
choix stratégiques.
La dissuasion est le
produit de l'équilibre entre les puissances.
|
Considérations des
facteurs technologiques
et existentiels qui
influencent les choix
stratégiques. La
dissuasion est le produit de l'équilibre de la terreur
nucléaire.
|
Coercition : chercher à
modifier le
comportement d'un
adversaire.
|
Opération de guerre
« totale » et souvent directes afin de
réaliser des objectifs politiques. Guerres
conventionnelles de
type européen
dominent.
|
Opération de guerre
« limitée » et souvent
indirectes afin de
réaliser des objectifs
politiques. Guerres
conventionnelles et
révolutionnaires se
déroulant
principalement dans le tiers-monde.
|
Statu quo : manoeuvres symboliques.
|
Dimension de l'intérêt
national et importance
du « déséquilibre du rang » entre
les Etats. Recherche du prestige et luttes d'influence
|
Dimension idéologique
des conflits modernes et
accentuation des guerres de diversion et du terrorisme.
Montée
des acteurs non Étatiques.
|
Ce tableau23 ci-dessus explique la question de la
pensée militaire classique en mentionnant les facteurs qui influencent
la stratégie avant et
23 Michel Fortmann, Thierry Gongora in études
internationales, Volume : 20, (1989)
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après la fin de la deuxième guerre mondiale :
ça nous permet de comprendre le but recherché chaque fois qu'une
armée est utilisée ; que ça soit dans le cadre de la
défense, de la dissuasion, de la coercition ou même de la
recherche du statu quo.
Trois fonctions de l'utilisation de la force, nous
intéressent les plus dans le cadre de ce chapitre, il s'agit de
l'armée comme instrument de défense, l'armée comme
instrument de dissuasion et l'armée comme instrument de coercition. Pour
plus de détail, Ces trois points vont faire l'objet des trois sections
suivantes :
SECTION I : ARMÉE COMME INSTRUMENT DE
DÉFENSE
La création d'une armée républicaine
n'est en soit une fin, il faut encore doter la République d'une
politique de défense innovante, adaptée aux menaces multiformes
auxquelles le pays peut faire face, en vue d'optimiser les opportunités
et de minimiser les vulnérabilités et arriver ainsi à
accomplir les différentes missions d'une armée
républicaine.
En effet, « Un Etat qui n'élabore pas un concept
de défense adapté à ses besoins, à ses
potentialités, à ses caractères, manque à sa
mission principale et se condamne à la soumission, peut-être
à la disparition 24», pour paraphraser Alain Plantey.
Les armées et les politiques de défense sont
pleinement concernées par le problème de l'influence et des
rôles sociaux ainsi que de politique des idées. Vue des
armées et les politiques de défense, comment cette question se
présente-elle?, les politiques de défense et l'évaluation
de puissance militaire sont, en règle générale,
conçues et analysées, par les analystes comme par les praticiens,
d'un point de vue matériel. La perspective la plus courante est issue
des conceptions réalistes dans l'étude des relations
internationales et du paradigme du choix rationnel. Dans les évaluations
conventionnelles de la puissance et de l'efficacité militaires, ce sont
des
Fortmann M et Gongora T ; «la pensée militaire
classique », in
24 Alain Plantey, « Une diplomatie de la
défense », in Stratégique, 2ème
trimestre, 1985
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facteurs matériels qui sont considérés
comme les déterminants, notamment le nombre des soldats et surtout
aujourd'hui le nombre et la quantité des armements. Si la
capacité du commandement, la surprise et la manoeuvre jouent un
rôle, leur influence est souvent jugé moindre.
Parallèlement, la stratégie militaire semble propice au paradigme
de l'acteur rationnel, aux calculs et à l'expression des
intérêts. Données matérielles quantifiables,
maitrise des capacités physiques des armements et, de là,
maitrise de la fabrication des armements et de leurs emplois
caractérisent nombre de conceptions de la puissance militaire et de ses
usages. Depuis l'Antiquité, la rationalité dans la
stratégie militaire a été associée aux sciences et
aux techniques. Ces rapports entre rationalité technique et
rationalité stratégique sont d'ailleurs pour beaucoup dans la
genèse du « paradigme de l'acteur rationnel » dans le domaine
stratégique. Les exigences de la guerre et, plus
généralement, l'action dans un milieu conflictuel sont au coeur
de l'affirmation de la raison d'Etat et des intérêts des Princes,
que l'on croit pouvoir distinguer de leurs croyances religieuses et de leurs
aspirations idéalistes. Force, raison, connaissance : c'est la «
liberté de conscience au fait des armes » qui apparait ici et que
l'on retrouve dans la tradition réaliste en relations
internationales25. Les lumières, mais également la
première guerre mondiale et la création des armes
nucléaires vont accentuer ce rapport à la rationalité,
à la science et aux techniques, qui semble, à première
vue, mettre à l'écart les idées, les normes et les
cultures.
De plus, il semble difficile de théoriser la
stratégie sans le paradigme de l'acteur rationnel « (...) la
théorie stratégique, écrit Lucien Poirier, ne se constitue
et ne se justifie qu'en construisant du rationnel, du logique, malgré et
avec les incertitudes propres à ce types d'action
»26.
25 Etienne Thuau, Raison d'Etat et pensée
politique à l'époque de Richelieu, Paris, Albin Michel, 2000
(Bibliothèque de l'évolution de l'humanité) 1re
éd : 1966), p. 317-318.
26 Lucien Poirier, Essais de stratégie
théorique, Paris, Fondation pour les études de défense
nationale, 1983, p.19
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§1. Armée instrument de légitime
défense conformément à la charte de l'ONU
C'est le droit de pouvoir préserver son
intégrité lorsque l'on est victime d'une agression. En droit
international, c'est la réponse qu'un Etat doit exercer contre un acte
qui met en jeu sa souveraineté.
L'historique du principe de la légitime défense.
1) Avant le Pacte Briand-Kellog de 1928.
Les Etats pouvaient invoquer la légitime
défense pour répondre aux atteintes qui leur étaient
portées. Cette notion est encadrée juridiquement à partir
du XIXème, suite à l'affaire de la Caroline (1837) entre les USA
à la GB : un bateau américain utilisé par des canadiens
pour détruire des navires anglais, est détruit par les
britanniques dans le port américain où il s'était
réfugié. Les USA ont invoqué une violation de leur
territoire pour réclamer une mise en cause de la responsabilité
de la GB, mais celle-ci a plaidé la légitime défense. Les
parties ont alors adopté un compromis précisant cette notion : la
légitime défense peut être invoquée si elle est
immédiate, impérieuse et qu'il n'y a pas d'autres choix pour se
défendre. Ces conditions ont toujours été reprises, et la
légitime défense est devenue un principe coutumier.
2) Après le Pacte Briand-Kellog de 1928.
Le Pacte prévoit que la légitime défense
est la seule exception admise au principe de l'interdiction définitive
du droit de recourir à la force armée. Les Etats ont donc
utilisé cette notion pour légitimer leurs interventions, et ce
principe est devenu le droit fondamental de recourir à la force,
d'autant plus que les conditions de son invocation sont restées les
mêmes, et qu'aucune procédure n'était prévue.
3) Après la Deuxième Guerre Mondiale et la
Charte des Nations-Unies.
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Le principe de légitime défense est
consacré conventionnellement à l'art.51 de la Charte des
Nations-Unies. Les rédacteurs ont craint que les Etats n'en fassent une
utilisation abusive, et ont donc relié cet article à un
système de sécurité collectif27 : les Etats qui
veulent utiliser la légitime défense doivent saisir le Conseil de
sécurité de l'ONU pour qu'il se prononce sur cette situation de
légitime défense. Contenu et portée du droit de
légitime défense tel que codifié à l'art.51 de la
Charte.
L'art.51 se trouve dans le Chapitre 7 de la Charte des
Nations-Unies, consacré à l'action du Conseil de
Sécurité des Nations-Unies en vue du maintien et du
rétablissement de la paix.
1) Un droit naturel.
L'art.51 de la Charte des Nations-Unies énonce qu'il
s'agit d'un droit naturel : il est donc immuable et universel. Dès qu'un
Etat existe, ce droit lui est conféré, et aucun texte ne peut le
remettre en cause.
CIJ, 1986 Activités militaires et paramilitaires des
USA au Nicaragua : le droit de légitime défense a un
caractère coutumier. Il redevient un droit positif, susceptible
d'évoluer du fait de la pratique des Etats.
2) Un droit individuel ou collectif.28
Un groupe d'Etat d'une même région peut faire une
application collective de ce droit. Des pactes militaires de défense ont
été conclus : le traité de l'Atlantique Nord (1949), le
pacte de Varsovie (1955)...
27. Zourek, J « La notion de
légitime défense en droit international - Rapport provisoire
», AIDI 56 (1975), p. 1-80.
28 Dinh, N. Q ; Droit
international public, LGDJ, coll. « Traités »,
1999.
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La multiplication de ces pactes a mis en danger la
stabilité internationale, car dès qu'un Etat partie au pacte
était agressé, tous les autres signataires pouvaient intervenir
au titre de la légitime défense.
Selon la coutume :
? l'accord de défense collective doit avoir
été librement consenti (pas imposé à l'Etat).
? les Etats-parties à l'accord ne peuvent intervenir
qu'en cas d'agression dirigée contre l'un des Etats-parties au pacte.
Chaque Etat a un droit personnel à utiliser la force armée pour
défendre l'Etat agressé. Ex : en 1967, les USA sont intervenus au
Vietnam en vertu du Traité de l'OTASE (1954).
CIJ, 1986 Activités militaires et paramilitaires des
USA au Nicaragua et contre celui-ci, a posé 2 autres conditions :
? l'Etat agressé doit faire une déclaration
expresse vis-à-vis de ceux dont il sollicite le secours.
? l'agressé doit lui-même qualifier les faits,
d'agression nécessitant l'état de légitime
défense.
3) Un membre des Nations-Unies
La légitime défense de l'art.51 ne devrait
s'appliquer qu'aux parties contractantes des Nations-Unies. En fait, il
s'applique aussi aux autres Etats (Suisse,...) et pourrait même
s'appliquer aux organisations internationales.
4) Un Etat faisant l'objet d'une agression
armée.
La légitime défense ne peut être
invoquée que par un Etat qui a fait l'objet d'une agression
armée.
La Charte des Nations-Unies ne définit pas la notion
d'agression armée : les rédacteurs ne se sont pas entendus sur
une définition (économique ou non,...) et craignaient de
définir trop strictement cette notion.
5) La procédure à suivre.
41
Un Comité spécial a été
créé en 1967 par l'AGONU pour définir la notion
d'agression : l'art.1 de la résolution 33/14 du 14/12/1974 portant
définition de l'agression, précise que l'agression correspond
à l'emploi de la force armée par un Etat contre la
souveraineté d'un autre Etat, son intégrité territoriale
ou son indépendance politique, ou de toute autre manière
incompatible avec la Charte des Nations-Unies. Cette définition reprend
grossièrement les thèmes énoncés à
l'art.2§4 de la Charte des Nations-Unies.
La CIJ a précisé cette notion : - CIJ, 1986
Activités militaires et paramilitaires des USA au Nicaragua et contre
celui-ci : l'agression armée n'existe qu'en cas d'opération
militaire de grande ampleur. Il n'y a pas forcement une confrontation directe
d'armée à armée : l'envoi de bandes armées dans un
autre Etat suffit.
- Avis CIJ, 1996 Licéité de la menace ou de
l'emploi d'armes nucléaires : la légitime défense ne peut
être invoquée que si l'agression perpétrée contre
l'Etat met en cause sa survie.
? L'art.51 de la Charte n'indique pas si la menace d'une
agression armée permet d'invoquer la légitime défense, et
la résolution de 1974 ne comble pas ce vide juridique. Pour certains
auteurs, la pratique des Etats montre qu'une menace précise et claire
d'emploi de la force armée doit suffire à invoquer la
légitime défense. Mais, pour la majorité des
internationalistes, une simple menace d'agression ne peut suffire, du fait de
la difficulté à prouver le caractère extrêmement
dangereux de la menace, et en raison de la stratégie de dissuasion
nucléaire, qui utilise la menace comme gage de stabilité
internationale. Pour certains, seule la menace d'emploi d'armes non
nucléaires pourrait rentrer dans le cadre de cet article.
Ce vide juridique n'est pas comblé : la solution
pourrait résulter d'une convention, coutume, ou de la CIJ.
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Le droit de légitime défense ne peut être
exercé que si le CSONU n'a pas pris les mesures nécessaires pour
maintenir la paix.
Le CSONU doit être tenu informé des mesures
prises dans le cadre de la légitime défense.
Cette saisine a été instaurée afin que le
CSONU qualifie la situation, qu'il décide d'une action dans le cadre de
l'ONU, ou à défaut, que l'Etat sache s'il peut utiliser la force
armée pour légitime défense.29
Cette procédure n'a pas été suivie : avec
la guerre froide, le CSONU s'est retrouvé bloqué, et n'a jamais
pu qualifier une situation ni se substituer à un Etat agressé. La
procédure est devenue obsolète : les Etats n'ont plus saisis le
CSONU, ou, lorsqu'ils le saisissaient, ils agissaient avant qu'il ne se
prononce.
Dans l'affaire des Malouines (1982), suite à l'invasion
des Iles Malouines par l'Argentine, la GB a invoqué le droit de
légitime défense, a saisi le CSONU et a engagé des forces
militaires sans attendre de décisions. La résolution 502 du CSONU
constate la rupture de la paix, mais demande juste aux parties de cesser leurs
opérations militaires et de régler pacifiquement leur
différend.
6) Une condition non inscrite à l'art.51 :
l'exigence de proportionnalité des moyens mis en
oeuvre.30
L'agresseur doit répondre à l'agressé de
façon strictement proportionnelle à l'agression. Ce principe de
proportionnalité est un principe coutumier contenu dans le droit des
conflits armés.
29 Greig, D. W. « Self-Defence and the Security
Council: What Does Article 51 require? », International and
Comparative Law Quarterly, 40 (1991).
30 J.-P. Cot et A. Pellet, La Charte des
Nations unies, Economica, 1991
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