Mémoire portant sur "La liberté de Presse "( Télécharger le fichier original )par Mame Seydou BA Université Gaston Berger de Saint Louis du Sénégal - Maitrise droit des collectivités locales 2012 |
Paragraphe 2 : La mise en oeuvre des restrictions apportées à la liberté de presse en période grave et exceptionnellesElle passe à travers l'étendue des pouvoirs de l'administration (A) et le contrôle du juge (B) A) L'étendue des pouvoirs de l'administrationIls varient selon la situation en cause et la nature des mesures prises. L'administration peut prendre des décisions nécessaires même celles qui en temps normal seraient déclarés illégales. Dans ce cadre, l'administration peu être dispensée de respecter la légalité et les règles de compétence peuvent être outrepassées. Il en va de même de règles de forme et de procédure (non respect de la règle de communication du dossier par exemple), et surtout des règles de fond : l'autorité de police peut porter des atteintes illégales aux libertés individuelles (affaire dames Dol et Laurent). Plus subtilement, les circonstances exceptionnelles peuvent atténuer la gravité d'une illégalité, et transformer en acte simplement illégal une mesure normalement constitutive d'une voie de fait, qui entraine des sanctions plus graves (CE, 7 novembre 1947, Alexis et wolff). En revanche, les mesures prises doivent être strictement nécessaires. La violation de la loi est donc autorisée, mais sous d'importantes réserves ; en effet, la mesure litigieuse doit se justifier par son but et sa nécessité. Elle doit être prise pour assurer la mission fondamentale de maintenir l'ordre et faire fonctionner les services publics, et se justifier à cet effet. Elle doit en outre être absolument nécessaire à cet égard ; la violation de la loi doit être indispensable. De plus, elle ne doit plus être grave qu'il n'est besoin ; ainsi, en a jugé le CE dans l'affaire Canal 19 octobre 196287(*) : l'ordonnance du 1er juin 1962 instituant une Cour militaire de justice a violé les principes généraux du droit pénal dans une mesure que les circonstances de l'époque ne le justifiait pas. D'où la pertinence du contrôle du juge sur les décisions administratives en pareilles situations B) Le contrôle du jugeLe juge de l'excès de pouvoir assure donc un contrôle très strict de l'application de la théorie des circonstances exceptionnelles ainsi que les régimes d'exception. C'est à lui que revient d'admettre que les conditions sont remplies : existences de circonstances exceptionnelles et impossibilité pour l'administration de respecter la légalité. Mais il contrôle également les mesures prises : leur nécessité, donc leur opportunité et en outre leur adaptation aux circonstances. Paradoxalement, il assure un contrôle très strict sur tous les aspects de la mesure, un véritable contrôle maximum qui ne reconnait à l'administration aucun pouvoir discrétionnaire. L'on a pu dire ainsi que la théorie des circonstances exceptionnelles ne constituait pas un vide de la légalité, mais en la substitution d'une légalité de crise à la légalité ordinaire selon André de Laubadère. Mais cette légalité de crise n'a pas un contenu défini ; il serait plus précis d'analyser cette théorie comme constituant non pas une suppression, mais un assouplissement de la légalité ordinaire à portée variable selon les exigences. C'est là sa vertu, c'est aussi sa faiblesse : nul ne sait, y compris l'administration, au moment où des circonstances spéciales apparaissent, si les conditions sont réunies et si la théorie peut jouer ; simplement, l'on sait qu'elle existe, et sur cette base, que la légalité peut être violée. Et la situation ainsi ouverte ne sera réglée sur le plan du droit qu'à l'issue d'éventuels recours juridictionnels, c'est à dire le plus souvent quelques année plus tard.... Or il s'agit souvent de mesures restrictives de la liberté.
En définitive, la liberté de la presse est donc un des piliers de la démocratie en ce sens qu'elle est une des manifestations essentielles de l'état de droit. D'ailleurs, elle pourrait être comparée à un mécanisme de régulation de la société démocratique. Elle a pour mission de jeter un regard froid sur les hommes et le fonctionnement de la société. Par ses critiques, elle permet à la société de se corriger et d'avancer. Et nous pensons avec Francis BALLE qui disait que: «la liberté de communication n'est assurément pas une liberté comme les autres, ni même la plus importante : elle constitue pour les autres libertés personnelles ou politiques, à la fois leur refuge et leur condition d'existence ». D'où sa consécration dans notre pays à travers un cadre juridique et institutionnel très libéral. En revanche, il convient de noter qu'elle n'a pas une valeur absolue en ce sens que si le droit garantit pour tous la libre circulation des moyens de communication ; il en fixe aussi les limites. Des raisons de « sécurité » individuelle ou collective justifient souvent ces limitations surtout lorsque l'exercice de la liberté de communication est susceptible de porter atteinte à d'autres libertés tenues pour respectables ou « fondamentales », et pour autant que l'on puisse subsumer sous la même notion de sécurité ce qui a trait aux libertés personnelles, comme le respect de la réputation d'autrui, et ce qui assure le maintien de l'ordre collectif, comme le respect des « bonnes moeurs ». Dans ce cadre, les caractéristiques de ces limitations doivent être aussi déterminées et explicites, faute de quoi la liberté se trouve placée sous la menace de l'arbitraire des autorités de législation, d'exécution ou de justice. Cependant, la pratique de l'activité de presse au Sénégal prête le flanc aux critiques en ce sens que la presse bute sur des obstacles. Le premier obstacle est surtout lié à l'environnement socio économique des médias. En effet, paradoxalement l'accroissement du nombre de journaux, des radios, et même des chaines audiovisuelles s'est fait dans un contexte difficile. Les entreprises de presse peine à écouler leurs produits sur le marché. Un état de fait qui rend précaire leur existence, leur crédibilité et leur pérennité. A cela s'ajoute l'insuffisance de l'aide publique allouée par l'Etat à la presse et qui tourne autour de 700 millions de FCFA en 2010. Cette aide à la presse qui aurait pu être de bouffée d'oxygène aux entreprises des médias couvre à peine les charges de fonctionnement des organes de presse. Par conséquent malgré la floraison des journaux dans les kiosques, les entreprises de presse risquent de s'écrouler sous le poids des difficultés économiques et Archambault et Ambault deux spécialistes Français soutiennent à ce propos « la presse n'est plus un artisanat politico-littéraire, elle est devenue une industrie lourde un peu particulière ». Dans ce cadre, pour survivre, la presse Sénégalaise nécessite de grands moyens financiers et logistiques, sans lesquels son avenir est incertain, compromis, hypothéqué en ce sens que la corruption sujet souvent tabou dans les rédactions pollue le milieu médiatique. Et la question de la vénalité souvent justifié par le manque de moyens financiers, constitue une véritable menace non seulement pour la crédibilité du journaliste mais aussi et surtout pour une liberté de presse dont les fondements reposent sur l'honnêteté, l'objectivité, l'impartialité, l'indépendance et la cause juste ou la justice sociale. En outre, les relations entre la presse et le pouvoir a tendance prendre une tournure conflictuelle. Il semble qu'en Afrique les pouvoirs politiques sont allergiques à la critique des médias. Au Sénégal, depuis 2000 un climat de méfiance n'a cessé de s'installer entre le régime de l'alternance et la presse en ce sens que le pouvoir doute de l'impartialité de certains journalistes comme en atteste d'ailleurs les déclarations de l'ex chef d'Etat maitre Wade dans une interview accordée au quotidien parisien Le Figaro où il indexe la presse Sénégalaise qui selon lui a brouillé «les pistes de l'enquête sur l'agression de Talla Sylla ». Une situation souligné dans le rapport « Indice de viabilité des médias au Sénégal » de l'année 2009 dans ces propos : « L'exercice du métier de journaliste subit des pressions et nous assistons au règne de la terreur. L'Etat fait pression sur la corporation et essaye de mettre les journalistes au pas. En 2000, avec l'avènement de l'alternance et l'arrivée d'un nouveau pouvoir libéral qui a remplacé le régime socialiste, les journalistes avaient une liberté d'exercer leur métier, garantie par la loi. Mais depuis quelques années, la situation s'est dégradée et l'Etat semble avoir changé de stratégie envers les journalistes. Ces derniers sont régulièrement convoqués à la fameuse Division des Investigations Criminelles (DIC) dès qu'ils publient des comptes-rendus, enquêtes ou reportages jugés critiques envers le régime. Au niveau des médias publics, subsistent des mécanismes internes d'autocensure qui entravent la liberté d'expression des journalistes qui y travaillent. Très souvent, ces derniers doivent faire face à des brimades et à des opérations d'intimidation. En dehors de cela, les médias subissent l'emprise de la société en l'occurrence la menace de forces et des lobbys religieux. La censure s'installe de plus en plus au Sénégal avec la fermeture de radios, l'interdiction de parution de journaux, l'arrestation et l'intimidation de journalistes. La menace du religieux et de la politique s'installe définitivement. Un livre écrit par un journaliste, Abdou Latif Coulibaly, a même été retiré de la vente car il décrit les dérives du gouvernement du président Wade . Il faut aussi noter que les pays africains disposent un arsenal de textes et de lois souvent hérités de l'ère colonial qui sont anachroniques par rapport à l'évolution de la presse et représentent des menaces pour l'épanouissement des médias . On trouve ainsi dans les législations sur la presse des dispositions limitant ou restreignant l'accès aux informations officielles, des dispositions portant sur les activités séditieuses et subversives, la sécurité nationale, la diffamation civile et pénale et la censure, en passant par les dispositions enjoignant la divulgation des sources, pour citer quelques exemples courants. A cela s'ajoute la notion extensive de la notion de diffamation qui, le plus souvent est à l'origine des sanctions pénales infligées aux journalistes. D'où l'actualité du débat sur la dépénalisation du délit de presse au Sénégal qui oppose les professionnels de l'information, les politiques, les spécialistes du droit et la société civile. En revanche, les journalistes ont aussi leur part de responsabilité dans les sanctions prises à leur encontre. Loin d'être parfait, les journalistes posent des actes qui les desservent. Et cela s'explique souvent par le non respect de la part des journalistes des règles d'éthique et de déontologie qu'eux même se fixent paradoxalement ! Et comme en atteste d'ailleurs les condamnations de la presse people au Sénégal qui malgré les lois protégeant le citoyen contre la diffamation et l'atteinte à la vie privée, continue à miser sur le sexe, le sang, le scandale sans se soucier de l'éthique et de la déontologie, véritables garde-fous contre les dérives éventuelles. Donc, même s'il est vrai que la presse a joué un rôle important dans la consolidation de la démocratie au Sénégal, force est de dire que l'avenir notre presse n'est pas aussi prometteur. Et au regard menaces qui guettent l'exercice de la profession dans la pratique, il est impératif que notre pays se dote d'un code de la presse qui non seulement aura pour mérite de réglementer le métier de journaliste et la problématique de l'aide à la presse mais aussi d'institutionnaliser le Tribunal des pairs (CORED et SYNPIC) afin que la presse Sénégalaise ait bonne presse.
* 87 GAJA n°105 |
|