3.2.2 Mariage
Le mariage pour Balandier in
M. Koné et N. Kouamé (2005
: 66-67) est : « un contrat social de durée
indéterminée qui lie non seulement deux individus, mais deux
groupes. Du côté de l'homme, le mariage assure la
continuité de la lignée, l'aide apportée par le travail de
la femme et de la possibilité de multiplier les dépendants. Du
côté de la femme, le mariage socialise sa fécondité
et sa puissance dans le travail. Il lui donne un statut légal en
libérant son capital créateur. Le mariage lui-même est une
institution avec ses règles et son mode de fonctionnement interne
».
Si, dans le passé, ce sont les parents du mari qui
entreprennent les démarches à l'endroit de la famille de la fille
pour négocier les préalables de l'union, aujourd'hui, c'est le
jeune homme lui même qui fait d'abord le choix de son amie avant de la
faire connaître à ses parents un ou deux ans plus tard.
L'identification et le choix de la femme dès la naissance de la fille
par le père de l'homme, ne constituent plus la démarche de la
jeune génération dans le choix de l'épouse. Un chef de
ménage constate le changement des démarches matrimoniales en ces
termes :
« C'est maintenant que vous vous dites qu'on ne doit
pas forcer quelqu'un pour lui donner de mari. Entre temps, c'est ton
père qui doit aller voir le papa de la fille. C'est eux qui s'entendent
d'abord avant qu'ils n'ordonnent d'aller demander sa main. Quand j'avais ma
fiancée si c'est elle qui marche sur le même chemin que moi, en me
voyant, elle change de chemin, et moi de même. Vous ne devez pas causer,
ni échanger. C'est ton père qui te dit : `'j'ai demandé la
main de telle fille pour toi `' et c'est fini ». (Abdoulaye Taïrou,
44 ans, cultivateur, Banikanni, 28.03.2006)
61
ENVIRONNEMENT URBAIN ET CHAGEMENTS
FAMILIAUX
La question des prestations matrimoniales (ensemble des biens
et services que doit offrir le mari à la famille de sa femme avant le
mariage) depuis une vingtaine d'années a été revue par les
sages de Ouaké et leurs recommandations sont suivies ici à
Parakou, aussi bien par les familles musulmanes que par celles catholiques. Les
investissements humains qui continuent de se faire à Ouaké dans
les champs des parents de la fille par le fiancé, ses parents et amis,
sont ici remplacés par les cadeaux de savon, du sel et d'argent. Le
jeune fiancé et ses parents n'envoient pas les produits de leurs
récoltes aux parents, mais attendent la période de
célébration de mariage pour remettre une somme variant entre 50
et 60.000 F aux beaux parents pour la constitution du trousseau de mariage.
Mais de plus en plus, les migrantes nées ou ayant séjourné
longtemps à Parakou souhaitent célébrer des mariages plus
coûteux.
Pour les fidèles de l'Eglise des Assemblées de
Dieu, le mariage se célèbre avec moins de 30.000 F, car, dans ce
système, la dot et les différentes dépenses matrimoniales
ne comptent pas, l'essentiel est que l'union soit bénie dans "
la maison de Dieu ". Mais, cela n'empêche pas
que l'homme dépense de l'argent pour son épouse pour l'obtention
d'un diplôme professionnel, ou pour le petit commerce.
Dans les familles musulmanes, il existe également des
stratégies de contournement qui consistent pour l'homme à cumuler
baptême de l'enfant et mariage sans payer les 50 ou 60.000 F. Toutefois,
il prend l'engagement de payer ladite somme aux beaux parents (pour sa femme)
dès que les circonstances le permettraient. Ce sont donc les mariages
préférentiels qui sont pratiqués de façon
fréquente aujourd'hui dans la société Lokpa, contrairement
aux mariages prescriptibles d'antan. Comme l'ont soutenu Mariatou Koné
et N'Guessan Kouamé, « Dans une
société africaine où la procréation est un facteur
très important d'intégration sociale, le célibat, à
partir d'un certain âge,
62
ENVIRONNEMENT URBAIN ET CHAGEMENTS
FAMILIAUX
n'est plus toléré. L'être humain complet
ne se réalise que dans l'état du mariage »
(2005 :71). Ainsi à partir de 25ans, une fille sans
fiançailles ni mariage, subit déjà les critiques des
parents et amis. Chez les hommes, les critiques commencent à partir de
la trentaine. Actuellement, les dépenses matrimoniales en milieu lokpa
sont modestes par rapport à la pratique courante des familles
autochtones qui dépensent en moyenne 500.000 F. Un jeune marié
présente le tableau suivant :
« Nous l'avons fait comme les musulmans le font. Je
l'ai dotée avec 10.500 F et la cola de 4.500 F. Pour
célébrer le mariage, on dépose 10.000 F pour les alfas.
Pour les pagnes, nous avons acheté, quatre pagnes. Ce sont les parents
qui ont acheté. Dans la religion musulmane, elle achète de son
côté et vous de votre côté, vous achetez sept pagnes,
plus deux paires de chaussures, trois tèkentè (voiles) et un
bouta (une bouilloire). Le reste, colporte, bols, ce sont elles qui vont
acheter. Mais si tu n'as pas acheté les pagnes, tu leur donneras
l'argent pour acheter. Si tu as acheté un peu, elle complète
à ce colis ce qu'elle a pu réaliser depuis qu'elle était
jeune. Les 7 pagnes que j'ai achetés coûte environ 60.000F ».
( SARE Alidou 32 ans, ex coiffeur devenu zémidjan, niveau CM2,
marié, père d'un enfant,Banikanni,04.04.2006)
En anthropologie, la dot requalifiée sous le terme de
compensation matrimoniale, est définie comme : « l'ensemble des
biens que donne la famille d'un homme à la famille de son épouse
au moment (ou avant) le mariage. La fonction de cette institution est de
sceller le contrat de mariage, de légitimer la future descendance, de
dédommager le groupe de la femme pour la perte d'un de ses membres
» (M. Koné et N. Kouamé 2005 :85).
Aujourd'hui le payement de la dot qui se faisait sous forme d'investissement
humain et de dons de produits agricoles est totalement
monétarisée. Les biens entrant dans les prestations matrimoniales
varient légèrement suivant la puissance économique de
l'époux, comme l'illustrent les propos suivants :
63
ENVIRONNEMENT URBAIN ET CHAGEMENTS
FAMILIAUX
« Nous avons fait 2 ans de vie en union libre, c'est
quand j'ai accouché que mon mari a demandé ma main. Il a
amené une calebasse de colas plus 20. 000 F, et 2.015 F à ses
grandes soeurs qui ont amené le colis à mon père qui l'a
accepté. Pour le mariage, normalement il devait amener 100 000 F
à mon père. Mais comme il avait le baptême à faire,
il ne l'a pas encore fait. C'est maintenant qu'il se prépare. Il va
acheter une valise, 4 Hollandais, 4 Côte d'Ivoire, 3 Ibo-mè, 5
Fancy, 18 voiles, 4 paires de chaussures, des bijoux que j'irai choisir
moi-même, et 5 ou 10 foulards. L'homme n'est pas obligé d'acheter
les bols ». (MOUSSA Alima, 30 ans, apprentie coiffeuse,
mère d'un garçon de quatre semaines, Zongo, 12.04.2007)
Les pratiques matrimoniales ont subi de profonds
bouleversements aussi bien dans la forme que dans le contenu. Depuis la
décision de l'union, des apports matrimoniaux effectués
jusqu'à la consommation du mariage, les différents acteurs
engagés dans cette institution, ont adapté leurs
stratégies aux réalités de leur temps.
|