B. La dimension géopolitique du conflit
touareg
Pour cerner cette dimension stratégique du
problème touareg, il s'avère important de remonter à la
conquête coloniale. Pour la France, le Niger était destiné,
dès sa création, à jouer un rôle stratégique.
La conquête du Niger à l'époque était d'ailleurs
perçue comme un « hasard inutile et
arbitraire» ou un « accident de
l'histoire». Toutefois, il existait des mythes sur les
potentialités économiques qui encourageaient une conquête
politique de cet espa ce5. La conquête du Niger fut
1 C. Raynaut et S. Abba, «Trente ans
d'indépendance : repères et tendances » in
Politique africaine, n°38, juin 1990, p. 14.
2 République du Niger, Rapport de la
Commission Ad Hoc Chargée de Réfléchir sur le
Règlement Négocié de la Rébellion Armée au
Niger, p. 9.
3 Elisabeth Sheppard, « Problème public » in
Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques
publiques, op cit, pp. 349355.
4 Op cit, p 330.
5 Kimba Idrissa, op cit, pp. 18-20.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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d'abord une désillusion pour la France car les espoirs
de gains économiques furent vite déçus. D'où ce
dilemme : faut-il disloquer le territoire pour rattacher ses parties à
d'autres colonies1 ?
Le Niger fut finalement maintenu pour des impératifs
stratégiques. Déjà pendant la période pré
coloniale, le Sahara fut un enjeu géopolitique pour toutes les
puissances de la région. Le Sahara a fait en effet rêver depuis
des siècles « les conquérants militaires et
marchands car il donnait accès aux produits africains
» selon le Pr Djibo Hamani2. Son
intérêt stratégique fut rehaussé avec l'apparition
des Arabes après la naissance de l'islam. Toutes les puissances
islamiques ont cherché à contrôler les routes du Sahara. Le
Sultanat de l'Aïr fut créé par des Touaregs dans le but de
maintenir une hégémonie sur le commerce transsaharien.
Bien d'autres conquérants comme Idriss Alaoma du
Bornou, Askia Mohamed de Gao, le Sultan marocain Al Mansour, se sont
disputés le contrôle des routes sahariennes. La découverte
du pétrole en 1953 dans le Sahara accrut les convoitises. Pour la
France, l'importance stratégique du Niger à travers le Sahara est
illustrée par les propos du sénateur Borg en 1958 :
«D'ailleurs, il fallait être fou pour croire que nous
Français, nous allions laisser partir le Niger. En perdant la
Guinée nous perdons des richesses. Cela peut se remplacer. Mais si nous
perdons le Niger, nous perdons l'Algérie. Nous ouvrons la voie à
Nasser. Nous permettons la création d'un grand Etat musulman de Lagos
auxfrontières algériennes »3.
Ce qui fait la spécificité du Niger, c'est qu'il
contrôle trois issues clé en Afrique : le désert qui donne
accès aux Maghreb et à la Méditerranée et
protège les hinterlands algériens et tunisiens contre les menaces
anglaises, la porte du Tchad qui débouche sur l'Afrique centrale et
enfin, la porte du fleuve qui donne accès à l'Atlantique. Ces
éléments de stratégie faisaient du Niger, non pas une
colonie classique, mais un complément de l'empire français.
En outre, trois facteurs donnent au Niger sa
singularité par rapport aux autres Etats africains. D'abord le pays est
enclavé et quatre de ses frontières débouchent directement
sur le désert. Ensuite, il se place entre deux univers culturels :
l'Afrique blanche et l'Afrique noire. D'où le risque que certains
groupes socioculturels soient tentés de se détacher du centre car
ayant leur centre de gravité à l'extérieur. Ainsi, les
Arabes et les Touaregs pourraient préférer l'Algérie ou la
Libye au Niger. Enfin, le Niger est singulier de par le caractère
disproportionné de son territoire par rapport aux ressources
économiques disponibles.
Mais c'est aussi les ressources minières telles que
l'uranium exploité par le France depuis quarante ans qui donne au nord
Niger son importance stratégique. La création en 1957 de l'OCRS
visait pour la France de créer un nouveau territoire qui
échapperait aux mouvements nationalistes. Comme l'ont noté C.
Raynaut et S. Abba, « à un moment où se
profilait l'indépendance inéluctable de l'Algérie,
certains milieux français caressaient le rêve d'un ensemble
saharien prélevé sur différents pays limitrophes et dont
l'existence pourrait sauvegarder les intérêts français dans
le domaine pétrolier comme dans celui des expérimentations
nucléaires »4.
Les Touaregs voyaient dans le plan OCRS une opportunité
pour échapper à la domination des autres ethnies majoritaires qui
prenaient le relais dans la direction de cette « entreprise
franco-française piloté de Paris »5
qu'est le Niger. Même si cette « Afrique Saharienne
» n'eut
1 Ces développements sont analysés dans la
thèse du Pr Kimba Idrissa, La formation de la colonie du
Niger: du mythe à la politique du mal nécessaire,
thèse de Doctorat ès-Lettres, Université de Paris 7, 6
volumes, 1987.
2 Djibo Hamani, «Les enjeux stratégiques du Sahara
à travers l'histoire », op cit.
3 Kimba Idrissa, op cit, p. 19.
4 C. Raynaut et S. Abba, op cit, p. 22.
5 CRA, op cit, p. 4.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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pas lieu, l'OCRS apparaît « comme un
handicap de naissance pour les futurs Etats-nations de la région, car il
introduit le germe de la revendication séparatiste et des
difficultés de la construction nationale
»1.
Mais le problème touareg au Niger n'a pas de solution
territoriale, contrairement au contexte malien, comme le souligne le Pr
André Salifou en ces termes : « Je persiste à
croire et à clamer haut etfort que la question touarègue ne se
pose pas de la même façon qu'au Mali. Autrement dit, à mes
yeux, le Pacte National malien ne peut en aucune façon servir de
référence pour un règlement du problème au Niger,
où aucune portion du territoire national ne peut être
considérée comme un «pays touareg 2». En
outre, des centaines de milliers de touaregs cohabitent, certains depuis des
siècles, avec des sédentaires, et entre les deux groupes, les
mariages se sont multipliés, entraînant des métissages
à la fois biologiques et culturels que nul ne peut ignorer aujourd'hui
».3
En outre, la ville d'Agadez, considérée par les
rebelles touaregs comme « capitale des Touaregs
», est en réalité une cité
haoussa4. De même, cette région n'est pas celle qui
compte le plus de Touaregs, contrairement au discours des mêmes rebelles
touaregs5. Ce détour par l'histoire permet de comprendre le
lien, ou du moins la communauté d'intérêts entre la France
et les Touaregs sur les enjeux du Sahara.
Une autre dimension stratégique du problème
touareg est liée à l'implication de la Libye. Le colonel Kadhafi
appelait dès son accession au pouvoir à soutenir les
«fils libres de la nation arabe souffrant de la
répression et des camps d'extermination au Mali et au Niger
»6. Les Touaregs ont toujours eu une
allégeance politique vis-à-vis de la Libye à laquelle ils
s'identifiaient mieux culturellement. Les rapports entre le Niger et la Libye
ont toujours été mis à mal par des différends
frontaliers autour des puits de Toummo et le Mangeni, zones très riches
en ressources minières dont le pétrole7.
Les relations politiques tendues entre le Président
Kountché, acquis à la France, et le Colonel Kaddafi vont
précipiter la constitution d'une opposition politique armée
contre le régime de Seyni Kountché en Libye. Beaucoup de
dissidents touaregs enrôlés dans la Légion Islamique de
Kadhafi s'exerceront au métier des armes8 dans les conflits
libanais, sahraoui et tchadien en même temps qu'ils subissaient un
endoctrinement idéologique « axée principalement
sur l'appartenance des hommes en formation à la nation arabe, sur
l'importance de la langue et de la civilisation arabes, différentes de
celle des populations vivant au sud du Sahara
»9.
C'est cette expérience libyenne qui donnera à la
première rébellion des années 90 ses premiers combattants
aussi bien au Niger qu'au Mali. En effet, suite au décès le 10
novembre 1987 du Général Seyni Kountché, on assista
à une normalisation des relations avec la Libye. Celle-ci s'expliquait
non seulement par la personnalité modérée du
Général Ali Saïbou, le
1 Propos d'une do ctorante citée par Djibo Hamani in
«Les enjeux stratégiques du Sahara à travers l'histoire
», op cit.
2 Souligné par nous.
3 André Salifou, op cit, p. 104.
4 Sur le peuplement de l'Aïr, voir Djibo Hamani, «Une
gigantesque falsification de l'histoire », op cit, pp. 24-43.
5 Selon le recensement général de la population
de 1988, la population touarègue est repartie sur le territoire national
comme suit :Tahoua (202 833), Tillabéri (155 315 ), Agadez (114 020),
Maradi (37 515), Zinder (36 688), Dosso (9 170), Diffa (1513). Voir Ibid, p.
107.
6 Le point, 22 février 1980,
cité par C. Raynaut, op cit, p. 22.
7 Voir interview de Sanoussi Tambari Jackou dans La
Roue de l'histoire, n°362 du 25 juillet 2007, pp. 6-7.
8 Les officiers touaregs maliens et nigériens
étaient formés à Tajora dans un régiment
d'élite où se recrutent les hommes chargés de la
sécurité rapprochée du colonel Kaddafi. Les hommes de
rang, à leur tour, étaient formés dans deux camps, le camp
du 2 mars pour la formation de base et le camp de Benghazi pour la formation de
type commando.
9 André Salifou, op cit, p. 112.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
nouveau président, mais aussi par l'amenuisement des
ressources libyennes et la fin du conflit de la bande d'Aouzou. Le
Général Ali Saibou invita les Touaregs à rentrer au pays
participer à la construction nationale ; ces derniers vont, en
répondant à cet appel, négocier et obtenir avec les
Libyens, le rachat de leurs matériels de guerre (véhicules,
armes, munitions etc.)...
L'échec de la réinsertion des rapatriés
touaregs en 1990 fut la goûte d'eau qui fit déborder le vase avec
les massacres commis par l'armée nigérienne sur les populations
civiles touarègues à Tchintabaraden au mois de mai dont le bilan
reste encore inconnu1. Le traitement de cette affaire par la
Conférence Nationale Souveraine contribua à aggraver les tensions
et précipiter la formation d'une rébellion structurée dans
le Nord.
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