Section 2 : L'Etat post colonial et le défi du
problème touareg
La gestion du problème touareg par l'Etat post colonial
est examinée à travers une démarche double. Il est d'abord
ressorti que l'exercice autoritaire du pouvoir et les ramifications
géopolitiques du problème touareg expliquent dans une large
mesure l'échec des politiques de construction nationale menées
par les élites post coloniales (Paragraphe 1). En deuxième lieu,
l'analyse du difficile processus de règlement du conflit montre que les
Accords qui en ont résulté revêtent une double
signification politique (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les limites des politiques de construction
nationale
L'analyse des causes du conflit dans la période post
coloniale permet de repérer comme facteurs explicatifs l'autoritarisme
de l'Etat post colonial (A) et les ramifications géopolitiques du
conflit (B).
A. La gestion autoritaire des clivages politiques
Le processus d'accession à l'indépendance n'a
pas favorisé, de par sa nature néocoloniale, l'émergence
d'une politique de rupture avec le système d'administration colonial. Il
était, en effet,
1 Hélène Claudot-Hawad, op cit, p. 144
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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difficile d'identifier des éléments de rupture
avec le système colonial aussi bien sur le plan politique que dans les
politiques économiques. Les contraintes structurelles nées de
l'administration coloniale ont fortement pesé sur la nature des
politiques d'intégration politique initiées par les
différents régimes qui se sont succédé au Niger.
La gestion des problèmes ethniques, notamment
l'épineux problème touareg, a permis de révéler la
fragilité des nations issues de la décolonisation. Les rebellions
armées touarègues au Niger peuvent s'expliquer au plan des
variables internes par leur gestion autoritaire. Sur le plan politique, le
soulèvement touareg traduit l'échec de l'importation
forcée de l'institution étatique occidentale de tradition
libérale1.
En effet, l'Etat nigérien à
l'indépendance ne répondait à aucune acceptation
théorique de la nation, ni dans la conception fascisante allemande, ni
dans la conception subjective française. Le Niger n'était pas
construit par un processus historique endogène, mais se présente
comme une création artificielle de la puissance coloniale2.
L'Etat post colonial avait ainsi à bâtir sa
légitimité politique en s'appuyant sur un discours universaliste
et un processus d'institutionnalisation.
Cet universalisme de l'Etat tranche fortement avec le
particularisme encore vivace des Touaregs, très jaloux de leur
liberté politique. Ici se confrontent deux conceptions de la nation. Une
conception universaliste ou
individualiste défendue par l'Etat et une
conception multiculturelle revendiquée par les
Touaregs3. Sous la Première République
déjà (1960-974), le Président Diori Hamani dût
affronter des tensions dans le monde touareg où les indépendances
étaient perçues comme un cauchemar car certains Touaregs
considéraient que « la construction d'une nation est un
choix délibéré des peuples qui doivent lui donner la forme
et le fond souhaités. La mosaïque des peuples qui constituent le
Niger actuel n'a ni choisi ses frontières, ni la démarche
à adopter pour parvenir à l'homogénéité
nécessaire à la réalisation d'une nation, digne et capable
d'élever sa voix dans le monde »4.
Les rebelles touaregs se considéraient en marge d'un
système qui serait basé sur un partage de pouvoirs entre les deux
groupes ethniques dominants, à savoir les Djermas qui contrôlent
la sphère politique et les Haoussas qui dominent l'économie.
Cette lecture de l'Etat nigérien post colonial est partagée par
Emmanuel Grégoire qui écrit : « Au Niger, ily a,
en effet, un partage en quelque sorte tacite des pouvoirs politiques et
économiques et un équilibre subtil entre ces deux pôles aux
mains respectives des deux principaux groupes ethniques que sont les Djermas et
les haoussas »5. Pour faire face à cette
crise de légitimité, l'Etat post colonial adopta une attitude
autoritaire, de fermeté absolue.
L'autoritarisme de l'Etat post colonial en Afrique vise, pour
résorber la crise de légitimité, à «
dépolitiser la société »,
à « remplacer la politique par l'administration
» selon l'expression du Pr Claude Ake6. La
particularité de l'autoritarisme dans la gestion d'un conflit est qu'il
traite des effets de celui-ci et non de ses racines profondes car, loin
d'être considéré comme un phénomène normal
dans le fonctionnement d'une société, le conflit est plutôt
vu comme un mal à extirper par la
1 Pour l'analyse des liens entre Etat post colonial et
conflits en Afrique, voir Samuel G. Egwu, « Beyond « revival of old
hatreds » : the state and conflicts in Africa » in Shedrack Gaya Best
(ed), Introduction to peace and conflict studies in west
Africa, Ibadan, Spectrum Books Limited, 2006, pp. 406-437.
2 Mahaman Tidjani Alou, « La dynamique de l'Etat post
colonial au Niger» in Kimba Idrissa (dir), Niger: Etat et
Démocratie, op cit, pp. 85-123.
3 Phillipe Braud, Sociologie politique,
op cit, p. 84.
4 CRA, Programme Cadre de la
Résistance, février 1994, p. 4.
5 Emmanuel Grégoire, «Le fait économique
Haoussa » in Politique Africaine, n°38,
Juin 1990, p. 61.
6 Claude Ake, Social science as imperialism: the
theory ofpolitical development, Ibadan, Ibadan University Press,
1979, p. 107. Du même auteur, Democracy and development in
Africa, Ibadan, Spectrum Book Limited, p. 6.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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violen ce1. Cependant, l'analyse de la politique
touarègue de l'Etat post colonial, même si elle s'insère
largement dans le contexte autoritaire, permet de distinguer deux styles de
gestion.
Sous la Première République, le Pouvoir exhibait
un certain dosage de
«réflexivité» et de
pragmatisme tandis que le régime militaire de Seyni Kountché
(1974-987) prônait une attitude plus brutale. Dès décembre
1960, le Président Diori Hamani créa un
Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades
qui fut dirigé par un Touareg en la personne de Mouddour
Zakara. La création de ce ministère, qui était d'ailleurs
censé siéger à Agadez dans le Nord, dénote une
volonté de prendre en compte le particularisme touareg dans
l'organisation institutionnelle des pouvoirs. Cette attitude contredit
l'idée d'une volonté de marginalisation défendue par
certains auteurs2. Les élites touarègues ont
bénéficié de l'existence de ce ministère à
travers un système de clientélisme par lequel ils
bénéficiaient « des facilités
matérielles et administratives, des dons, des licences d'importation,
des crédits auprès des organismes tels la CNCA (Caisse Nationale
de Crédit Agricole)... »3.
Cette politique conciliante du régime de Diori à
l'égard des Touaregs n'occulte pas l'existence d'une répression
politique impitoyable contre l'opposition animée par Djibo Bakary du
parti Sawaba. Beaucoup d'affrontements sanglants, d'actes de terrorisme et
d'exécutions sommaires furent enregistrés dans ce duel à
mort. La fermeté du régime de Diori se manifestait
également dès 1960 par l'arrestation du Sultan de l'Aïr
lorsque celui-ci manifesta dans une lettre adressée au
Général De Gaulle son désir de voir Agadez
érigée en Etat indépendant.
Le Sultan fut poussé dans cette action par certains
milieux français désireux de perpétuer le projet OCRS.
Dans le même sens, le pouvoir ne montra aucune volonté de rupture
avec la politique coloniale vis-à-vis du Nord. Toute la partie nord du
Niger était sévèrement quadrillée par des sections
de méharistes pour maintenir la sécurité et tenir en
respect les populations nomades, notamment les Touaregs et les
Toubous4. Le système d'administration mixte instauré
par le pouvoir français fut perpétué ainsi qu'une vision
coloniale des populations touarègues. De même, le régime
dut également fermer les yeux sur les pratiques esclavagistes qui
sévissaient dans les milieux touaregs tout comme les Français ont
dût s'en accommoder.
L'avènement du Général Seyni
Kountché au pouvoir à la faveur du coup d'Etat du 15 avril 1974
marque un tournant décisif dans l'évolution politique du Niger en
général et de la question touarègue en particulier. Avec
Seyni Kountché, « c'est l'ensemble du pays qui est mis
au pas et des Nigériens de toutes les ethnies, sans exception, subissent
le courroux du nouveau maître du pays »S.
Le régime de Kountché fut marqué par le pouvoir personnel,
les luttes intestines au sein de l'armée et une forte politisation des
problèmes ethniques. L'exécution du numéro deux du
régime, le Commandant Sani Souna Siddo en 1975, et la tentative de Coup
d'Etat du 15 mars 1976 furent lourds de conséquences politiques.
Selon C. Raynaut et S. Abba, la répression de la
tentative de coup d'État de mars 1976 était liée à
sa dimension ethnique : « Ce qui la caractérisait,
c'était sa connotation ethnique, c'est-à-dire la
1 Umar Mohamed Kaoje, «Democracy, the state and conflict
management in Africa » in Nigerian Journal of Political
Science, vol 9, n°1-2, Department of Political Science,
Ahmadu Bello University (ABU), Zaria, Nigéria, p. 163.
2 Selon André Bourgeot, « on constate
selon les Etats (Algérie, Libye, Niger, Mali, Burkina Faso) des
politiques qui visaient soit à marginaliser les Kel Tamacheq (Mali,
Niger), soit à oeuvrer à leur assimilation économique,
politique et culturelle (Algérie)» in « Le
désert quadrillé : des touaregs au Niger »,op cit, p. 68.
3 Oumara Mal Manga (capitaine), «Réflexions sur la
situation politique et les perspectives dans l'Azawak », Tahoua, 17
septembre 1990 (document manuscrit), p. 5, cité par André
Salifou, La question touarègue au Niger, op
cit, p. 41.
4 Mahaman Tidjani Alou, op cit, p. 101.
5 André Salifou, op cit, p. 42.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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volonté déclarée de certains
de ses membres de s'attaquer à la suprématie Zarma-Sonrhai: C'est
en partie ce qui explique le caractère très dur de la
répression qui suivit»1. Parmi les sept
personnes exécutées figuraient des Touaregs dont Ahmed Mouddour
et le capitaine Sidi Mohamed. Il s'en suivit une chasse aux sorcières
qui conduit beaucoup de Touaregs en exil en Libye. Le président
Kountché supprima également dès son arrivée au
pouvoir le Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades
et renforça l'administration militaire dans le Nord.
A tous ces facteurs politiques se greffaient des variables
économiques hostiles. Les violentes sécheresses qui se sont
abattues sur le Sahel eurent des impacts socio-économiques immenses dans
les zones nomades. Ces catastrophes écologiques venaient ainsi accentuer
la crise d'une zone pastorale souffrant de son enclavement, du manque
d'infrastructures hydrauliques, de l'insuffisance et de la mauvaise
répartition des points d'eau, de la rareté des marchés etc
.2
La crise du nomadisme qui s'en est suivie entraîna un
exode massif des populations touarègues vers les centres urbains et les
pays étrangers (Algérie, Libye, Nigeria, etc.), de même
qu'un début de sédentarisation des nomades commença
à s'observer. L'analyse de ces facteurs internes montre
l'interpénétration des variables identitaires, écologiques
et stratégiques dans l'émergence du conflit dans le nord Niger.
Tous les problèmes ayant affecté le Niger seront ensuite
récupérés par des élites touarègues pour en
faire un moyen de mobilisation politique. Ici apparaît la distinction
entre une condition et un
problème. Une condition devient un
problème public lorsqu'elle est problématisée par des
acteurs3.
Le problème public est toujours un construit social
issu d'une politisation faite par des entrepreneurs politiques. Pour Phillipe
Braud, « antagonistes et conflits d'intérêts ne
sont constitutifs d'enjeux politiques qu'à condition d'être
portés sur la scène politique, pris en charge par les acteurs qui
s'y affrontent. Aucun problème n'est en soi politique, n'importe lequel
peut le devenir sous certaines conditions de pertinence culturelle et
institutionnelle ».4 Ni les problèmes
économiques, encore moins la dictature politique n'ont concerné
que les Touaregs. L'avènement de la rébellion au sein de cette
communauté, au-delà les facteurs internes, s'explique aussi par
ses ramifications géopolitiques.
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