Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg
L'éclatement du conflit armé dans le nord Niger
à partir de 1991 donna lieu à un processus de règlement
qui fut très laborieux du fait de la pluralité des mouvements
rebelles (A). L'analyse des différents Accords de Paix montre que le
processus de paix est porteur d'une double signification politique (B).
A. Le laborieux processus de paix
La rébellion survint dans un contexte de contestation
du régime autoritaire en place en proie à une crise de
légitimité. Ces mutations politiques ont provoqué un
affaiblissement de l'Etat. Certains événements tragiques comme
les massacres des Touaregs à Tchintabaraden par l'armée,
l'incapacité de la Conférence Nationale
Souveraine2 à trouver des solutions
au problème touareg ont précipité le déclenchement
du conflit. Celui-ci fut surtout favorisé par l'existence
d'entrepreneurs politiques touaregs qui ont instrumentalisé les
problèmes du Nord avec le soutien actif de la Libye et de la France.
La publication en 1992 de Touaregs, la
tragédie (Paris, Lattès) par Mano Dayak participe
de cette propagande idéologique qui vise à fournir une lecture
particulariste de la situation des Touaregs au Niger. Le soutien de la France
à la rébellion s'expliquait en partie par la volonté
d'affaiblir un Etat qui, depuis la Conférence Nationale, semblait acquis
à des forces politiques anti-françaises. Le contexte
géopolitique de l'époque fut en plus marqué par de
nombreux théâtres de conflits qui favorisaient la circulation des
armes.
A ces facteurs objectifs se greffaient des
éléments de subjectivité. Celle-ci permet de
«saisir ce qui fait sens» chez les
combattants touaregs dans la perspective de la sociologie compréhensive.
Les rapatriés touaregs rentrés au Niger à la faveur du
décès du Président Kountché furent très vite
désillusionnés par l'échec total de leur
réinsertion sociale. Ces ishomars8,
comme ils s'appelaient eux-mêmes, développaient une
«frustration relative» (Ted Gurr) qui
les
1 Officiellement, il y aurait eu 19 exécutions
sommaires, 50 morts par torture. Les Touaregs parlent eux de centaines de
morts. A l'origine de cette crise, les Touaregs rapatriés se plaignant
des conditions de leur accueil, ont attaqué la Sous-Préfecture de
Tchintabaraden le 7 mai 1990 faisant 3 morts parmi les Forces de Défense
et de Sécurité, 3 morts dans la population civile et 4
blessés. Après quoi, l'armée a engagé une
expédition punitive.
2 Les Touaregs avaient espéré, entre autres, que
certains officiers des FAN qu'ils soupçonnaient d'être coupables
dans l'affaire de Tchintabaraden, soient arrêtés et
sanctionnés. Il s'agit, exemple, du colonel Mamadou Tandja, alors
ministre de l'Intérieur et du Commandant Amadou Sofiani qui commandait
la Zone de Défense N°1.
3 Il s'agit d'une déformation du mot « chômeur
» pour désigner les touaregs désoeuvrés
rentrés de Libye et d'Algérie.
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La problématique de la gestion post con flit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
conduira à l'action armée. C'est ainsi que la
thèse du complot de génocide contre les Touaregs fut
développée. Pour la Rébellion, le retour des Touaregs
réfugiés en Libye et en Algérie était
interprété comme suit : « l'astuce des
dirigeants de l'époque était simple, elle revêtait
seulement un aspect trompeurpour attirer l'oiseau vers l'appât. Lorsque
nous étions sur notre terre d'exil, le Niger ne peut avoir aucun
contrôle sur notre révolution. Il fallait trouver un moyen de nous
ramenerpour mieux nous contrôler, nous maîtriser et en fin nous
détruire »1.
Pour résister à ce «
complot» naîtront plusieurs Fronts
armés touaregs dont le premier noyau fut le Front de Libération
de l'Aïr et de l'Azawak (FLAA) de Rhissa Ag Boula créé le 19
octobre 1991. Ce Front connut un éclatement en 1993 avec la naissance en
juin de l'Alliance Révolutionnaire pour la Libération du Nord
(ARLN) d'Attaher Abdoulmoumin et en juillet du Front de Libération du
Tamoust (FLT) de Mano Dayak. Ces trois Fronts armés se sont joints en
octobre 1993 pour créer une large coalition, la Coordination de la
Résistance Armée (CRA). Celle-ci va s'agrandir avec
l'adhésion du Front Patriotique pour la Libération du Sahara
(FPLS) de Mohamed Anacko issu d'une scission du FLAA et créé en
janvier 1994.
Présidée par Mano Dayak, la CRA produit en
février 1994 le Programme Cadre de la Résistance
(PCR), document qui expose les revendications politiques de la
Rébellion. Le Gouvernement de Transition issu de la Conférence
Nationale opta pour un règlement pacifique du conflit à travers
plusieurs appels à l'apaisement2. Grâce à la
facilitation française, un accord de Trêve intervint le
1er juin 1993 avec le FLAA. Cet Accord fut reconduit le 11 septembre
1993 avec le seul FLT suite à l'éclatement du FLAA.
Le Gouvernement put rencontrer, grâce au concours d'un
Comité de médiation constitué de
la France, de l'Algérie et du Burkina Faso, l'ensemble des Fronts
armés les 15, 16 et 17 février 1994 à Ouagadougou. Un
premier Accord intervient le 9 octobre 1994 à Ouagadougou sur la base
des documents produits par les deux parties, à savoir le PCR par la CRA
et le Document de base du Gouvernement du Niger devant servir aux
Négociations avec la Rébellion (DBGN). Dans cet
Accord, la CRA renonçait au « fédéralisme » en
faveur de la décentralisation telle qu'elle est consacrée dans la
constitution du 26 décembre 19923. L'Accord définitif
fut signé à Ouagadougou le 15 avril 1995, mais cette fois-ci avec
l'Organisation de la Résistance Armée (ORA)
présidée par Rhissa Ag Boula4.
D'autres dissensions internes conduiront à la
création d'une autre coalition, l'Union des Forces de la
Résistance (UFRA) présidée par Mohamed Anacko. Suite
à un désaccord entre la Rébellion et le Gouvernement sur
les questions de grades dans l'armée lors de la session du
Comité de pilotage du 3 au 5 septembre 1997,
l'UFRA reprit les hostilités. Ses combattants quittèrent les
sites de cantonnement de Guirmat le 5 septembre. Cette coalition dissidente
était
1 CRA, op cit, p. 21
2 C'est le 7 janvier 1992 que le gouvernement nigérien
reconnut officiellement l'existence de la rébellion armée.
3 Pour d'amples précisions sur le processus de paix
jusqu'en mars 1995, voir HCRP, Note sur la question de la
Rébellion Armée, (mars 1995). Ce document fait le
bilan de la mise en oeuvre de l'Accord de Ouagadougou du 9 octobre 1994 et
analyse l'état de préparation des autres points à
négocier, notamment la question de la réinsertion des
combattants, la création d'une commission d'enquête sur les
exactions commises à Tchintabaraden, les questions économiques et
politiques etc.
4 L'ORA est constituée des mêmes Fronts que la
CRA, le changement consiste au remplacement de Mano Dayak par Rhissa Ag Boula
à la direction de la Coalition.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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constituée de trois Fronts, le Mouvement Uni
Révolutionnaire (MUR), les Forces Armées Révolutionnaires
(FAR) et bien sûr le FPLS1.
Une autre faction de l'ORA va se désolidariser des
Accords de Paix en ressuscitant la CRA, il s'agit du FLT qui s'emploiera
à créer d'autres Fronts dans l'Aïr. La nouvelle CRA se
reliera aux Accords de Paix en mars 1996 à la faveur de
l'avènement du Conseil du Salut National (CSN) le 27 janvier ayant
renversé la 3e République de Mahamane Ousmane. Quand
à l'UFRA, elle s'était entre temps alliée aux Forces
Armées Révolutionnaires du Sahara (FARS), rébellion toubou
opérant dans le Kawar (nord est) animée par Barka Wardougou et
Chahaï Barkaï. La coalition UFRA/FARS fut ramenée dans le
processus de paix avec le Protocole d'Accord Additionnel d'Alger, le 28
novembre 1997. Le dernier Accord avec la Rébellion Armée sera
celui du 21 août 1998 avec le Front Démocratique pour le Renouveau
(FDR), rébellion toubou du Manga (Est) dirigée par Issa
Lamine.
Cette multiplicité d'acteurs a ralenti à maintes
reprises le processus de paix. Car, comme le souligne Soumana Souley, cadre du
HCRP, «l'éclatement de la structure originelle de la
Résistance Armée (FLAA) en plusieurs autres Fronts au gré
des divergences internes a rendu malcommode la gestion du processus en mettant
le Gouvernement face à une multitude d'interlocuteurs
»2. De par le contexte politique de leur
conclusion, il faut préciser que l'avènement de la 3e
République en avril 1993 a consacré l'ouverture d'une
«fenêtre d'opportunité
»3 (J. Kingdon) pour les acteurs des deux
parties.
L'Accord du 9 octobre 1994 est issu d'un
«couplage serré» entre le courant
des problèmes et le courant de la politique. En effet, en dépit
de l'ouverture au dialogue du régime de la Transition, le couplage avec
le courant des problèmes était trop «
lâche » pour permettre un Accord. Le
courant de la politique était aussi traversé par des conflits au
sommet de l'Etat entre le HCR et le Gouvernement, et aussi entre le pouvoir
civil de manière générale et l'armée très
hostile au dialogue avec la Rébellion.
L'installation d'un régime démocratique
favorable au dialogue facilitera les négociations. Cette
«fenêtre d'opportunité»
s'agrandit avec l'avènement du Président Ibrahim Baré
Maïnassara au pouvoir. Sa personnalité modérée, son
fair-play ainsi que son pouvoir d'injonction sur l'armée furent
déterminants. C'était lui qui ramena les coalitions UFRA/FARS et
CRA ainsi que le FDR dans le processus de paix. C'était également
sous son régime que les intégrations au sein des Forces de
Défense et de Sécurité ainsi que dans les autres corps de
l'Etat avaient démarré4.
Par ailleurs, il faut mentionner que les rebellions
touarègues et toubous ont engendré la prolifération des
Mouvements d'Autodéfense dans les communautés peulhs et arabes.
C'est ainsi que naîtront dans le Manga, la Milice Peulh de Diffa et la
Milice Arabe de N'Guigmi. Dans
1 L'UFRA fut créée à l'issue du
Congrès de la Résistance tenu à N'Tatat les 6, 7 et 8 du
mois de novembre 1996. Elle était initialement constituée de six
(6) Fronts : APLN, ARLN, FFL, FPLN, MUR et FPLS. Le gouvernement
nigérien lui accorde sa reconnaissance le 14 décembre 1996. Voir
HCRP, Acte de reconnaissance, 14 décembre
1996.
2 Soumana Souley, «Gestion des conflits : le cas de la
rébellion armée au Niger », Communication à la
Conférence sur le thème «les tensions et conflits en Afrique
de l'ouest : de 1900 à nos jours» organisée par MAPADEV,
29-30 novembre 2003, Niamey, Niger. P 17.
3 Vincent Lemieux, L'étude des politiques
publiques : les acteurs et leurs pouvoirs, Québec, Les
Presses de l'Université Laval, 2002, pp. 29-41.
4 Il faut préciser que l'ORA avait salué le Coup
d'Etat du 27 janvier 1996. L'arrivée des militaires avait permis de
débloquer le processus de paix bloqué par l'ORA qui refusait de
transmettre les listes de ses combattants et de son matériel de guerre
malgré les «pressions» du médiateur français.
L'ORA transmis la liste de ses combattants le 29 mars 1996, soit deux mois
après l'avènement du CSN. Voir HCRP, Lettre
N°0308/HCRP/CT du 8 novembre 1996, p. 3.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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l'Azawak, deux Milices Arabes opéraient dans la zone de
Tassara, le Comité d'Autodéfense (CAD) et le Comité de
Vigilance de Tassara (CVT). Au total, le Niger a connu dans sa partie nord et
est, onze (11) Fronts touaregs dont six (6) dans l'Aïr et cinq (5) dans
l'Azawak1, deux rébellions toubous, à savoir les FARS
dans le Kawar et le FDR dans la Manga. Au titre des Mouvements
d'Autodéfense, trois (3) milices Arabes dont deux dans l'Azawak et une
dans le Manga, et une milice peulh dans le Manga.
Ceci donne au total dix sept (17) structures armées,
Fronts et Mouvements confondus, quatre régions directement
affectées, l'Aïr, l'Azawak, le Kawar et le Manga et quatre groupes
ethniques concernés, à savoir les Touaregs, les Arabes et les
Peulhs et les Toubous. C'est à la lumière de ces processus et de
ces réalités qu'il faut analyser les Accords de Paix.
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