B. La double signification des Accords de Paix
De 1991 à la Cérémonie Flamme de la Paix
en septembre 20003, quatre (4) Accords de Paix ont été
conclus. L'Accord de Paix du 9 octobre 1994 signé à Ouagadougou,
l'Accord de Paix définitif du 24 avril 1995 également
signé à Ouagadougou, le Protocole Additionnel du 28 novembre 1997
signé à Alger et l'Accord de N'Djamena du 21 août 1998. Ces
Accords revêtent deux significations. Par leur contenu, ils incarnent un
consensus politique entre la revendication identitaire de rebelles et
l'approche universaliste de l'État soucieux de préserver le cadre
étatique hérité de la colonisation.
L'analyse stratégique permet d'élucider la
seconde signification : les Accords de Paix reflètent les conflits de
leadership au sein des Fronts rebelles. A analyser leur contenu, ces Accords
peuvent être classés en trois catégories : les
Accords partiels, les Accords
définitifs, et les Protocoles d'Accords
Additionnels. Mais derrière cette diversité
formelle se révèle la volonté politique commune de
dépasser les clivages et d'asseoir les bases d'un nouvel ordre politique
plus pragmatique.
L'Accord du 9 octobre 1994 est un Accord partiel. Il
s'articule essentiellement autour la décentralisation ; et laisse en
marge d'autres questions essentielles comme la sécurité ou le
développement socio-économique. Cet accord rappelle le «
caractère unitaire indivisible, démocratique et
social de la République du Niger» et consacre la
décentralisation en lieu et place du « fédéralisme
» revendiqué par la Rébellion. Il prévoit
subsidiairement une trêve de trois mois, des mesures urgentes dans le
domaine socio-économique et culturel en faveur de la zone touchée
par le conflit. Il crée aussi un Comité de
suivi5 de l'Accord de Paix et une Cellule
de liaison constituée de
1 Dans l'Aïr, il s'agit du FLAA de Rhissa Ag Boula, du
FPLS de Mohamed Anacko, du FAR/ORA de Ousmane Ismaghril, du FLT de Mano Dayak
(actuellement Mohamed Akotey), du MUR de Ahmed Waddé Houmouna et du
FAR/UFRA de Silimane Hyard. Dans l'Azawak , il s'agit du FFL de Mohamed Ikta,
de l'APLN de Hamad Ahmed Halilou, du FPLN de Alhadi Alhadji, de l'ARLN de
Attaher Adboulmoumin (actuellement Bilal Islamane) et du MRLN de Goumour
Ibrahim.
2 Les trois Accords de Paix principaux sont en annexe.
3 Cette cérémonie consacrait le
désarmement total des Fronts et Mouvements ainsi que leur dissolution
officielle conformément à l'article 13 de l'Accord de Paix du 24
avril 1995.
4 La composition du comité de liaison
était comme suit : SE Mai Maigana, HCRP, Mohamed Aoutchiki
pour la CRA, SE Ambassadeur Dimbo Bamba pour le Burkina Faso, SE Ambassadeur
Laala Mohamed pour l'Algérie et SE Ambassadeur Alain Deschamps pour la
France.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
militaires Burkinabé et Français1 en
vue de faciliter le contact entre les parties sur le terrain. Il fut
également prévu la libération des personnes
détenues de par et d'autre.
Les autres points à négocier portaient sur
l'intégration des ex-combattants dans les FDS et dans les autres corps
de l'Etat, la question du développement du Nord et la création
d'une commission d'enquête internationale. L'Accord du 24 avril 1995 est
un Accord définitif. Tout en reprenant les dispositions du premier
Accord sur la décentralisation dans son titre II, il traite dans ses
titres IV et suivant, de l'organisation des FDS et des questions
économiques, sociales et culturelles.
Quand à l'exigence de l'ORA pour la création
d'une commission d'enquête internationale sur les massacres de mai 1990
à Tchintabaraden, les deux parties avaient convenu d'une amnistie
générale. L'Accord du 24 avril était très
significatif dans la mesure où le Gouvernement a accepté
l'intégration des ex-rebelles dans l'armée et dans les autres
corps paramilitaires. En plus, il accepte la mise sur pied d'Unités
à Statut Militaire Particulier constituées des ressortissants des
zones Nord et Est du pays. Jusqu'en mars 1995, les FAN rejetaient en bloc
l'intégration en leur sein des éléments de la
Rébellion.
Dans le domaine économique, la Rébellion a, pour
sa part, concédé des politiques économiques plus souples
en faveur des zones touchées par le conflit qui sont très loin de
ses revendications initiales2. L'Accord du 21 août 98 avec le
FDR est le deuxième Accord définitif. Il est singulier car il est
conclu avec la rébellion toubou du Manga, non signataire des Accords du
24 avril3. Cet Accord s'inspire largement de celui du 24 avril, mais
n'est pas un Protocole Additionnel.
Il reprend les points objet du premier Accord sans le citer
formellement. Par contre, le Protocole d'Accord Additionnel d'Alger
complète l'Accord du 24 avril. Ce Protocole ne faisait que ramener dans
le processus de paix des signataires de l'Accord définitif du 24 avril.
Son contenu n'apporte aucune clause nouvelle par rapport au premier Accord. Sa
seule particularité est d'avoir intégré formellement les
FARS dans le processus.
Par ailleurs, ces quatre Accords ont été
complétés par de nombreux actes déterminant leurs
modalités d'application, à savoir les Relevés
de Conclusions et les Procès-verbaux
des réunions du Comité de
Pilotage5 intervenus entre 1996 et 1998. Ce processus
de « négociation continue », selon
l'expression de Soumana Souley, s'explique par la forme ouverte des Accords de
Paix.
Ce dernier constate : « les Accords de paix
au Niger ont été caractérisés par leur forme
ouverte. En effet, les Accords n'étaient pas finis au moment de leur
signature. Les Accords traitent des questions qui
1 La cellule de liaison
composée d'une quarantaine d'hommes (officiers et hommes
de rang) était mise en place en décembre 1994 à Agadez.
Elle a contribué à instaurer la sécurité dans la
zone de l'Aïr, mais elle eut des difficultés dans la région
de l'Azawak à Tahoua où les autorités militaires
s'étaient opposées à sa présence dans la zone. Voir
HCRP, Note sur la question... op cit, pp. 5-6.
2 Ces revendications étaient devenues caduques
après la signature de l'Accord du 9 octobre 1994 dans lequel la
Rébellion renonçait au « fédéralisme »,
car les revendications politiques contenues dans le Programme Cadre
de la Résistance (février 1994) étaient
justement formulées dans le cadre d'une autre forme d'Etat exigée
par la Rébellion qu'on appelle « fédéralisme
».
3 En fait, selon le témoignage que Moustapha issoufou,
ex-rebelle du FDR, nous a livré (Entretien le 2 octobre 2008 à
Niamey), le FDR n'était pas signataire de l'Accord du 24 avril en tant
que structure, mais beaucoup de rebelles toubous, dont lui-même, avaient
combattu avec les Touaregs depuis le premier noyau du FLAA en 1992. Ils ont
adhéré aux Accords du 24 avril à Niamey avant de reprendre
le maquis à l'Est pour faire prévaloir les intérêts
de leur région.
4 Voir infra, chapitre 2, section 1,
paragraphe 2, point B.
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La problématique de la gestion post con flit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
demandaient à être
précisées et détaillées par la suite. Souvent, les
questions n'étaient qu'annoncées sommairement. Il en a
résulté au cours de l'application de longs débats
d'interprétations souvent houleux entre les deux parties...
»1.
Selon Mohamed Anacko, Haut Commissaire à la
Restauration de la Paix, « les Accords de Paix n'ont fait de
déterminer les principes généraux, les vraies
négociations n'ont commencé que bien après, au sein du
Comité Spécial de Paix »2. Ces
Relevés de Conclusions et
Procès-verbaux sont pour les Accords de Paix
ce que les règlements (décrets, arrêtés etc.)
représentent pour une loi. Il est donc impossible d'interpréter
les Accords de Paix sans connaître les clauses de ces «
règlements ».
D'ailleurs, dans ce travail, l'expression « Accords de
Paix » signifie non seulement les quatre Accords signés
formellement entre les parties, mais aussi leurs modalités
d'application3. Aussi, outre le caractère vague et
imprécis de certaines clauses, le point E de l'Accord du 24 avril
stipulait clairement que les clauses contenues dans l'Accord n'étaient
pas exhaustives et limitatives. En d'autres termes, il était toujours
possible à la Rébellion d'introduire de nouvelles revendications
que ces Accords auraient occultées.
Il est important de savoir également que les quatre
piliers du processus de paix retenus par le HCRP, à savoir la
décentralisation, la réinsertion, la sécurité et le
développement des régions concernées par la
rébellion, se rapportent exclusivement aux conditions de
désarmement définies par l'article 13 de l'Accord du 24 avril.
C'est suite à l'évaluation des prestations du Gouvernement dans
ces quatre domaines que les Fronts et Mouvements ont été
officiellement dissous et « désarmés » lors de la
Flamme de la Paix de septembre 20004.
Outre les engagements souscrits à l'article 13, le Gouvernement a pris
de nombreux autres engagements plus ou moins fermes à partir desquels le
processus de paix peut être évalué ; et pour lesquels
aucune action d'envergure n'a été menée à ce
jour.5
Par ailleurs, en dehors de leur contenu, l'analyse montre que
ces Accords traduisent des conflits entre acteurs au sein de la
Rébellion. Trois figures se sont disputées le leadership du
mouvement depuis 1991 : Mano Dayak, président de la CRA, Rhissa AG
Boula, président de l'ORA et Mohamed Anacko président de l'UFRA.
La création en 1996 de l'UFRA visait à disputer à Rhissa
AG Boula le leadership de la Rébellion.
La signature du Protocole Additionnel d'Alger en 1997 «
libérait » Mohamed Anacko de la tutelle du président de
l'ORA, Rhissa Ag Boula. La renaissance de la CRA après l'Accord du 24
avril, pourtant dissoute et remplacée par l'ORA en mars 1995,
procédait de la même logique stratégique.
Ressuscitée par Mano Dayak6, la nouvelle CRA posa comme
condition de son adhésion à l'Accord du 24 avril (dont ses
membres étaient signataires) sa reconnaissance officielle
1 Soumana Souley, op cit, p 16.
2 Entretien à Niamey, 16 avril 2008.
3 D'ailleurs, il est important de signaler que les premiers
Relevés de Conclusions étaient
signés en présence des médiateurs, dont le Commandant
Djibril Bassolé pour le Burkina Faso et l'Ambassadeur AbdelKader
Aïtourabi pour l'Algérie.
4 Voir HCRP, Evaluation des dispositions de l'article
13 de l'Accord du 24 avril 1995, décembre 1999.
5 Dans le Titre V de l'Accord du 24 avril (point C), on peut
citer certains engagements pris par le gouvernement, comme
«promouvoir les langues et écritures nationales
notamment le tamachèque et le ti finar », «envisager la
création d'institutions d'enseignement supérieur dans les
régions du Nord », « a f fecter, dans la mesure du possible,
dans les régions, le personnel enseignant ressortissant de ces
régions... », « la création, dans la mesure du possible
du possible, de stations de radio et de télévision
régionales émettant en langues nationales et reprenant les
principaux programmes nationaux» etc.
6 Le combat pour la reconnaissance de la nouvelle CRA fut
poursuivi par Mohamed Akotey après la mort de Mano Dayak dans un crash
d'avion le 15 décembre 1995.
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La problématique de la gestion post conflit
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en tant que coalition distincte de l'ORA de Rhissa Ag Boula.
Elle obtint la dite reconnaissance le 17 mars 1996 à la faveur de
l'avènement du Général Baré Maînassara
Ibrahim au pouvoir le 27 janvier 1996.1
Si la CRA de Mano Dayak visait à saper
l'hégémonie de l'ORA de Rhissa Ag Boula, la CRA de Mohamed Akotey
était une réaction contre la suprématie de l'UFRA de
Mohamed Anacko. En effet, la CRA ressuscitée par Mano Dayak fut «
redissoute » en décembre 1996, en même temps que tous les
autres Fronts (à l'exception de l'ORA) dans le cadre de la
création de l'UFRA comme coalition unique. Battu par Mohamed Anacko
à l'élection pour la conquête de la présidence de
l'UFRA, Mohamed Akotey « ressuscita » la CRA...
L'Accord du 21 août avec le FDR peut être
également perçu comme une stratégie politique des
combattants toubous. Ces derniers qui combattaient aux cotés des
Touaregs se sont repliés dans leur région de l'est afin de se
différencier des Fronts touaregs et ainsi maximiser leurs
intérêts. Ce qui se dégage de ces différents
accords, c'est qu'ils sont quasiment identiques dans leur contenu. Ce qui
importe pour les acteurs, c'est moins le contenu que la forme. Signer un accord
directement avec le Gouvernement confère aux leaders du Front
d'importantes ressources politiques. Sur la base de ces différents
Accords de Paix, un ensemble de politiques publiques ont émergé
au Niger.
1 En mars 1996, l'ORA et la CRA vont créer un
Comité Technique de Négociation (CTN)
constitué de douze (12) membres « en vue de rechercher
les voies et moyens de leur unité d'une part et d'apprécier
ensemble l'application de l'Accord de Paix du 24 avril 1995 d'autre part».
Cf Résistance Armée (CRA-ORA), Acte
Fondamental N°001IRA du 26 mai 1996 portant Création d'un
Comité Technique de Négociation (CTN) au sein de la
Résistance.
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