CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST
CONFLIT ET CONTINUITE HISTORIQUE
Les politiques publiques issues du processus de
règlement des rebellions armées au Niger ont permis de mettre en
oeuvre les différentes clauses des engagements pris par les parties.
L'étude du processus d'émergence de ces politiques publiques
offre la possibilité d'aborder le premier axe de notre recherche. Ce
chapitre permet de tester l'hypothèse que les institutions naissent dans
un monde saturé d'institutions. Ces institutions existantes influent de
manière significative sur la configuration de nouvelles institutions.
Cette hypothèse est examinée à travers le rôle
joué par les institutions dans la structuration des réponses
étatiques face au conflit et l'empreinte des institutions existantes
dans les Accords de Paix (Section 1). Ensuite, le poids des institutions se
perçoit par le modelage de la politique de réinsertion par le
cadre institutionnel de gestion post-conflit (Section 2).
Section 1 : La dimension institutionnelle des
réponses étatiques au phénomène
rébellionnaire
Les institutions existantes ont eu un impact sur le
mécanisme de gestion de la Rébellion pendant la période de
Transition et sous la 3e République à travers la
structuration institutionnelle de la gestion du conflit (Paragraphe 1).
L'impact des institutions est également repérable dans les grands
principes des Accords de paix et leurs modalités d'application
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de la
gestion du conflit
La gestion de la rébellion touarègue a
été considérablement influencée par l'organisation
des pouvoirs publics. Cette influence se mesure par l'orientation de la
politique gouvernementale (A) et la naissance des institutions de gestion du
conflit (B).
A. L'orientation de la politique gouvernementale
Le régime de la Transition issu de la Conférence
Nationale Souveraine fut le premier gouvernement à faire face à
la Rébellion Armée1. L'organisation des pouvoirs
publics pendant cette période était régie par l'Acte
Fondamental n°21 de la Conférence Nationale portant organisation
des pouvoirs publics pendant la période de Transition qui tenait lieu de
constitution2. Les organes de ce régime, qui n'est ni
parlementaire ni présidentiel ou semi-présidentiel, sont
constitués d'un exécutif bicéphale, d'un pouvoir
législatif, d'un pouvoir judiciaire ainsi que des organes de
contrôle. L'exécutif était détenu par le Premier
Ministre, Chef du Gouvernement, élu par la Conférence Nationale.
Le Chef de l'Etat, le Général Ali Saibou, fut maintenu dans des
fonctions protocolaires.
1La Transition a débuté juste
après la fin de la Conférence Nationale Souveraine le 3 novembre
1991 pour s'achever le 15 avril 1993 avec les élections
générales qui inaugurent la 3è République.
2 Laouel Kader Mahamadou, « L'évolution politique
et institutionnelle récente du Niger » in Kimba Idrissa, (dir),
Le Niger: Etat et Démocratie, op cit, pp.
321-352. Voir aussi sur l'organisation des pouvoirs pendant la Transition,
Sanoussi Tambari Jackou, Affaires constitutionnelles et
organisation des pouvoirs au Niger, op cit, pp. 193-208.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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Le pouvoir législatif était exercé par un
Haut Conseil de la République (HCR)
constitué par des membres élus par la Conférence Nationale
et présidé par le Pr André Salifou. Le pouvoir judiciaire
était exercé par une Cour Suprême et une Haute Cour de
Justice. De par l'organisation formelle des pouvoirs, la gestion du dossier de
la Rébellion revenait au Chef de Gouvernement en tant que
détenteur du pourvoir exécutif. Cela d'autant plus qu'il cumulait
ses fonctions de Chef du Gouvernement avec celles de Ministre de la
Défense Nationale.
Dès les premiers instants de la Transition, les trois
organes politiques avaient pourtant décidé, compte tenu de la
délicatesse de cette question, d'en faire une gestion commune. L'option
du Gouvernement face à la Rébellion était la recherche
d'une solution pacifique à travers l'ouverture d'un dialogue direct.
Dans la réalité, l'orientation de la politique gouvernementale
fut marquée par la prépondérance du Premier Ministre,
l'opacité dans la gestion du dossier de la rébellion et les
conflits institutionnels entre le Gouvernement et le HCR.
En s'appuyant sur ses attributions constitutionnelles, Cheffou
Amadou imprima sa marque dans la gestion du processus de négociation
avec les rebelles touaregs. C'est ainsi qu'il confia à certains de ses
proches, à savoir Mohamed Moussa et Albert Wright, respectivement les
portefeuilles du Ministère de l'Intérieur et celui
créé le 26 mars 1993 du Ministère de la
Réconciliation Nationale. A la tête de ce dernier
ministère, Albert Wright fut un des concepteurs essentiels de la
politique gouvernementale sur la Rébellion Armée. De par ses
attributions, le Ministre de la Réconciliation Nationale responsable
devant le premier ministre, disposait de la plénitude des
compétences sur la Rébellion.
La marginalisation des autres organes, à savoir le Chef
de l'Etat et le Président du HCR se manifestait dans le refus du Premier
ministre de rendre compte à ces derniers des initiatives qu'il prenait.
C'est ainsi qu'en mai 1992, le Premier ministre envoya à Paris une
délégation de trois personnalités pour prendre contact
avec Mano Dayak, un des cerveaux de la Rébellion1 à
l'insu du Chef de l'Etat et du Président du HCR.
Le Premier ministre avait déjà envoyé
secrètement une mission pour rencontrer la Rébellion le 9
février 1992. Les autres organes de la Transition ne seront
informés que plus tard de cette mission conduite par Soumana Souley,
alors Conseiller du Ministre de l'Intérieur. Le Premier ministre
était conforté dans sa politique unilatérale par des
activistes touaregs résidant à Niamey qui, dans une lettre
à lui adressée, rappelaient « à
l'Exécutif qu'il demeure le seul responsable du règlement de la
rébellion touarègue »2.
Mais cette politique solitaire du Premier Ministre
inspirée en partie par la configuration institutionnelle formelle
n'occulte pas le rôle structurant des institutions informelles. Une des
institutions existantes était l'armée et la façon dont
elle perçoit son rôle non seulement dans le champ politique, mais
aussi et surtout sur les questions militaires. Depuis 1974, année du
premier coup d'Etat, l'armée nigérienne est devenue une
armée politique, c'est-à-dire une armée qui perçoit
sa participation dans le jeu politique comme légitime3.
Les militaires nigériens ont toujours
considéré la rébellion touarègue comme relevant de
leurs seules compétences. Les mutineries de l'armée entre le 26
février et le 3 mars 1992 procèdent de cette logique. Les
militaires précédèrent à plusieurs arrestations de
responsables
1 André Salifou, La question touarègue
au Niger, op cit, p. 152.
2 Ibid, p. 137.
3 Kees Koonings and Dirk Kruijt, « Military and the
mission of nation building» in Kees Koonings and Dirk Kruijt (eds)
Political Armies: the military and nation building in the age of
democracy, London, Zed Book, 2002, p. 9-34.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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politiques dont le Président du HCR et le Ministre de
l'Intérieur et libérèrent le capitaine Maliki
Boureima1, incarcéré à Kollo pour des massacres
commis contre des Touaregs en mai 1990 à Tchintabaraden. La rupture du
principe de soumission de l'armée au pouvoir politique traduit un
conflit entre deux institutions. L'institution formelle qui fait de
l'armée la main du pouvoir politique et une institution informelle
ancrée dans la culture militaire qui légitime son insoumission au
pouvoir civil.
La réaction de l'armée va également se
heurter à une autre institution liée au rôle de la France.
Paris avait confié le dossier de la Rébellion à la
Direction Générale de la Sécurité Extérieure
(DGSE). A Niamey, il s'est développé un processus informel et
secret de gestion de la Rébellion entre le Premier ministre et le
colonel Vié, Facilitateur Français au Niger. Pour André
Salifou, « Le Premier ministre ne conçoit absolument
rien par lui-même. C'est le facilitateur qui imagine et met au point tous
les scénarios »2.
Cette gestion opaque suscita la réaction
sévère du chef d'Etat-major des FAN, le Lieutenant-colonel Issa
Maazou qui s'exprimait lors d'une rencontre de la Cellule de
Réflexion le 23 février 92 en ces termes : «
Ce sont les FAN qui se battent contre la rébellion. Nous
sommes là, toujours disponibles, mais le Premier ministre
préfère passer des heures interminables avec le colonel
Vié, sans même prendre notre avis. Une telle façon de faire
doit cesser... »3. L'avènement de la
3e République en avril 93 marque un tournant politique
important. La Constitution du 26 décembre 1992 consacre un régime
semi-présidentiel qui fait du Président Mahamane Ousmane la
clé de voûte des institutions, mais ce dernier doit composer avec
un Chef de Gouvernement et un Parlement dotés de pouvoirs
propres4.
Ces mutations institutionnelles eurent un impact sur
l'orientation de la politique gouvernementale. Désormais, le
Président de la République devient le principal maître
d'oeuvre de la politique de défense nationale. Mais ses pouvoirs sont
limités par une configuration politique et institutionnelle assez
complexe. Le pouvoir reposait sur une coalition de partis, l'Alliance des
Forces du Changement (AFC) dont les trois principaux leaders se sont
partagé les trois postes clés : Mahamane Ousmane à la
Présidence, Mahamadou Issoufou à la Primature et Moumouni
Djermakoye à l'Assemblée Nationale.
Le Président Mahamane Ousmane maintient la politique du
dialogue avec la Rébellion. Le Parlement influença largement
l'orientation de sa politique Ainsi, suite de la rencontre avec la CRA en
février 1994 à Ouagadougou (Burkina Faso), le Gouvernement
introduit le document de la CRA, (le Programme Cadre de la
Résistance) devant le Parlement. Les débats
extrêmement passionnés au Parlement ont largement orienté
la politique du Chef de l'Etat. Les députés avaient
1Considéré comme un héros, le
capitaine Maliki Boureima était le seul officier qui avait reconnu
pendant la Conférence Nationale avoir ordonné des
exécutions sommaires des Touaregs en mai 1990. Lors de son audition
publique à cette occasion, ses aveux avaient provoqué un tonnerre
d'acclamation de la salle, non pas pour le féliciter d'avoir commis des
crimes, mais pour apprécier son courage car beaucoup d'officiers
supérieurs avaient nié leur implication dans ces massacres. Les
acclamations furent interprétées autrement par les Touaregs :
« le capitaine Maliki, héros de son étatfut
acclamé par la salle lorsque avec le plus grand mépris, il
exposait comment il a mené sa sale besogne, et surtout quand il a
décrit la manière macabre dont il a achevé le vieux
Abdoulmonine qui agonisait suite aux tortures qu'il a subies
», in CRA, Programme Cadre de la
Résistance, op cit, p. 24.
2 André Salifou, op cit, p. 178.
3 Ibid, 173.
4 Laouel Kader Mahamadou, « La fonction
présidentielle sous la 3è République » in
Sahel Dimanche du 18 septembre 1992, p. 4.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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unanimement rejeté le projet de partition du pays
proposé par la Rébellion qui revendiquait les 2/3 du territoire
national.
Toute négociation avec la Rébellion doit
être encadrée par des principes intangibles, à savoir le
caractère unitaire de l'Etat, l'intégrité territoriale et
le respect d'une manière générale de la Constitution du 26
décembre 1992. C'était d'ailleurs à la demande du
Parlement que le Gouvernement élabora le Document de base du
Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la
Rébellion en avril 1994. Cependant, aussi bien dans la
gestion du conflit par la Transition que sous la 3e
République, les institutions n'expliquent pas à elles seules les
situations politiques. Les néo-institutionnalistes reconnaissent,
d'ailleurs, le rôle important d'autres variables dans l'explication des
situations politiques1.
De celles-ci, on peut citer sous la Transition, les relations
personnelles difficiles entre Cheffou Amadou et André Salifou, la
personnalité modérée et réservée du
Président Ali Saibou, etc. Sous la 3e République, des
variables comme l'affaiblissement de l'Etat, la situation désastreuse
des finances publiques, la médiation des pays amis entre autres ont eu
leur effet sur l'orientation de la politique du régime. Le rôle
des institutions peut être également analysé par la
prolifération d'institutions.
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