B. La prolifération d'institutions
L'impact structurant des institutions existantes est
repérable dans la nature des institutions de gestion du conflit qui ont
proliféré aussi bien pendant la Transition que sous la
3e République. Pendant la Transition, la
prépondérance du Premier ministre de par la configuration
constitutionnelle s'exprimait éloquemment dans la nature de certaines
institutions et mécanismes mis en place. Une Cellule de
Réflexion fut instituée pour assurer une
concertation permanente entre les différents organes de la Transition.
Son rôle purement consultatif ne menaçait nullement les
attributions du Premier ministre2.
En outre, le Gouvernement institua par arrêté
n°29/PM du 23 août 1993 un Conseil National de
Sécurité présidé par le Ministre de
l'Intérieur qui coordonnait les actions des différents organes
compétents en matière de «
sécurité intérieure et défense du
territoire »3. Contrairement à la
Cellule, aucun représentant du HCR et de la
Présidence de la République ne figurait dans sa composition.
Cette logique de concentration de pouvoirs en faveur du
Gouvernement se traduit surtout par la création par décret
n°93-53/PM/ME/CRN du 26 mars 1993, du Ministère
Chargé de la Réconciliation Nationale à la
tête duquel fut placé Albert Wright, homme de confiance du Premier
ministre. Ce ministère était investi de toutes attributions en
matière de gestion « de la rébellion,
des
1 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 210.
2 Cette institution survécut à la Transition. En
1994, la composition de cette Cellule de réflexion
était la suivante : ministre de la Défense,
ministre de l'Intérieur, ministre des Affaires Etrangères,
ministre de la Justice, ministre de la Réforme Administrative et de la
Décentralisation, Secrétaire d'Etat au Plan, Haut Commissaire
à la Restauration de la Paix, un Conseiller du Président de la
République, un Chargé de Mission à la Présidence,
le Chef d'Etat Major Particulier du Chef de l'Etat et le Chef d'Etat Major
Adjoint des Forces Armées Nationales (FAN). Voir HCRP, Note
sue la question... op cit. p. 41.
3 Journal officiel de la République du
Niger, n°18 du 15 septembre 1993.
40
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
conflits ethniques, politiques et religieux, des
problèmes de minorités et à la conception et mise en
oeuvre d'une politique de développement harmonieux des régions
»1.
Par son existence, ce ministère d'Etat
institutionnalisait la politique solitaire initiée par le Premier
ministre en ce qu'il écartait de facto toute participation des autres
organes dans la gestion de la Rébellion. En même temps, le
Ministère Chargé de la Réconciliation
Nationale peut être perçu comme la traduction de la
politique de dialogue du Gouvernement contre les solutions militaires que
prônaient les FAN. Une autre signification de cette institution est
qu'elle reflète une institutionnalisation des problèmes
ethniques. En effet, ce ministère marque une rupture avec le discours
universaliste de l'Etat qui faisait abstraction des clivages ethniques que la
Rébellion exprimait.
La Rébellion a de ce point de vue permis un changement
qualitatif dans le système politique nigérien en introduisant sur
l'agenda institutionnel les problèmes des minorités ethniques.
Cette attitude « réflexive
»2 avait d'ailleurs conduit le Gouvernement
à créer par décret n°92-319/PM du 2 octobre 1992 une
Commission ad hoc Chargée de Réfléchir sur le
Règlement Négocié de la Rébellion
Armée. Il s'agissait pour le Gouvernement de rechercher
une « solution au problème de la rébellion
à travers la réflexion, la concertation et la responsabilisation
de la communauté nationale »3.
Contrairement au Conseil National de
Sécurité, la Commission
comptait en son sein des représentants des organes de la
Transition. Elle regroupa plus de cent trente trois (133) participants issus de
tous les secteurs de la société nigérienne
(société civile, administration, Forces de Défense et de
Sécurité, université etc.). Dans son rapport, cette
Commission procédait à une analyse du
problème touareg et proposait des voies de sortie à court, moyen
et long terme4.
Ainsi, il est loisible de constater que l'émergence de
toutes ces institutions ad hoc ou permanentes traduisait l'effet structurant de
la configuration institutionnelle de cette période, même si elles
ont revêtu d'autres significations politiques. Cette hypothèse se
vérifie également avec l'avènement de la
République. Le changement des institutions engendra une certaine rupture
avec le cadre institutionnel existant.
Mais le cadre institutionnel de la Transition exerça
une emprise sur les nouvelles institutions car certains mécanismes comme
la Cellule de Réflexion furent maintenues. La
rupture s'opéra avec la création par décret
n°93-160/PRN du 12 novembre 1993 de la Commission de
Restauration de la Paix (CRP) auprès du Chef de
l'Etat5. Celle-ci reprenait presque in extenso
les attributions du Ministère Chargé de
la Réconciliation Nationale. La CRP,
présidée par une personnalité nommée par le Chef de
l'Etat, est composée de membres issus de la société
civile.
Par sa création, le Chef de l'Etat reprenait la gestion
du dossier de la Rébellion en vertu de ses attributions
constitutionnelles. N'étant pas Chef de Gouvernement au regard de la
nouvelle architecture institutionnelle, la suppression du
Ministère Chargé de la Réconciliation
Nationale par le Chef de l'État visait pour ce dernier
à s'approprier la gestion directe de ce dossier. La CRP fut
1 Voir aussi décret n°93-57/PM/ME/CRN du 26 mars
1993 portant organisation du Ministère Chargé de la
Réconciliation Nationale dans le Journal
officiel de la République du Niger, n°8 du 15 avril
1993, p. 233.
2 Pour dépasser la crise de légitimité de
l'Etat moderne, certains auteurs comme Jurgen Habermas proposent une attitude
dite réflexive ou herméneutique par laquelle le «
système » se réconcilie avec le « monde vécu
». Cette attitude consiste pour l'Etat à se remettre en cause en
adoptant des réponses moins systémiques face aux problèmes
sociaux. Voir Jurgen Habermas, Théorie de l'agir
communicationnel, Paris, Fayard, 1987.
3 Journal Officiel de la République du
Niger, Numéro Spécial 5 du 13 novembre 1992, p.
3.
4 République du Niger, Rapport de la
Commission Ad hoc..op cit.
5 Journal Officiel de la République du
Niger, n°12 du 15 novembre 1993.
41
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
transformée en Haut Commissariat à
la Restauration de la Paix (HCRP) par décret
n°94-007/ PRN du 14 janvier 1994.
Le HCRP est une institution permanente rattachée
à la Présidence de la République1 et
chargée, au terme de l'article 2 du décret cité plus haut,
« de rechercher et lever tous les obstacles à la
consolidation de l'unité Nationale et au raffermissement de la paix
sociale ». A ce titre, il assure la conception et la mise en
oeuvre de toutes les mesures et actions relatives à :
- la consolidation de l'unité nationale
- au raffermissement de la paix sociale
- au règlement négocié de la
rébellion armée
- au suivi permanent de toutes les actions entreprises.
Le HCRP est à la fois un mécanisme de gestion,
mais aussi de mise en oeuvre des
engagements pris entre les parties dans la phase
post-conflit. Cette rupture institutionnelle cache mal certains
éléments de continuité qui relèvent d'une logique
politique et pragmatique. En effet, le PM Cheffou Amadou et le nouveau
Président de la République Mahamane Ousmane étaient du
même parti politique, la Convention Démocratique et Sociale (CDS
Rahama).
Cela explique le maintien de certains responsables
impliqués dans la gestion de la Rébellion sous la Transition
ainsi que de la même approche pour le dialogue. Mr Mal Maigana,
nommé Haut Commissaire à la Restauration de la Paix et Mr Soumana
Souley, Conseiller Technique au HCRP, ont été maintenus en partie
pour leurs relations avec le régime de la Transition. Leur maintien dans
le processus obéissait également à un réalisme
inspiré par leur connaissance fine et pratique de ce dossier
délicat. Le Président de la République mis en place
également par décret n°94-185/PRN du 28 novembre 1994, une
Commission Nationale de Collecte et de Contrôle des Armes
Illicites afin de contenir la circulation des armes illicites
provoquées par le conflit au Nord2.
L'ensemble de ce dispositif institutionnel était
censé assurer un règlement négocié de la
Rébellion Armée en même qu'il jetait les bases d'une paix
durable. La survivance sous la 3e République de certaines institutions
nées sous la Transition, au delà les explications politiques,
démontre le poids de l'héritage institutionnel de la Transition
sur les nouvelles institutions. En même temps, elle montre la pertinence
de la théorie incrémentaliste de la
décision qui traduit «l'idée que les politiques
publiques évoluent le plus souvent de façon graduelle etpar un
mécanisme de petits pas »3.
Avec la conclusion des Accords définitifs le 24 avril
1995, certains principes ont été édictés pour
asseoir une paix durable. Leur analyse confirme également
l'hypothèse de la continuité historique des institutions.
|