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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

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par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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B. Le recours à la violence

Le recours à la violence est la manifestation violente des dynamiques de déstabilisation de l'État engendrées par la politique de réinsertion des ex-combattants. L'explication institutionnelle du passage à la violence peut s'insérer dans un cadre plus éclectique emprunté au sociologue Ted Gurr1. Cet auteur utilise la notion de frustration relative qui « résulte du sentiment d'une différence (négative) entre les biens que l'individu se sent autorisé à convoiter et les biens qu'il peut effectivement se procurer (P). Les potentialités de violence sociale sont à leur sommet lorsqu'un maximum d'individus se trouvent placés dans une situation identique »2.

Selon ce schéma, le passage à la violence n'est pas automatique. Il nécessite deux conditions essentielles, à savoir la diffusion des «normes éthiques justificatrices» et la conviction en l'efficacité de la violence. Les recours à la violence par les ex-combattants dans la phase post conflit répondent pertinemment à cette grille d'analyse. Ces derniers ont fortement intériorisé une culture aristocratique alimentée par l'institutionnalisation des institutions de discrimination positive. Ce processus a paradoxalement contribué à consolider un sentiment subjectif de marginalisation qui, de facto, légitime la perpétuation de la discrimination positive.

La politique de réinsertion est venue renforcer un particularisme touareg que ni le discours universaliste de l'Etat, ni le réalisme politique n'ont pu ébranler. Pour justifier la lutte armée, les ex-combattants puisent, soit de manière diffuse dans le registre nationaliste touareg, soit de manière rationnelle en démontrant des défaillances dans l'application des Accords de Paix. Il en est ainsi de la reprise des hostilités dès septembre 1997 par l'UFRA de Mohamed Anacko. La rébellion toubou des FARS avait également repris les combats en février 1997 s'estimant agressée par les FAN.

En 2004, après l'arrestation de Rhissa Ag Boula en rapport avec l'assassinat de Adam Amagué, un de ses rivaux politiques, son frère Mohamed Ag Boula avait repris le maquis et opéré plusieurs opérations meurtrières contre l'Etat et les populations civiles3. Jusqu'à cette période, ces violences sporadiques ont été contenues. C'est avec le MNJ depuis 2007 qu'on a assisté à la résurgence d'une véritable rébellion.

Les sources de légitimation de ces différentes insurrections n'ont jamais changé, même si le MNJ tente de se démarquer du particularisme ethnique touareg4. Outre la facilité de légitimation de la violence, ces phénomènes sont confortés par la conviction de l'efficacité de la lutte armée. Celle-ci s'explique par la vulnérabilité militaire de l'Etat, la facilité d'obtenir des soutiens actifs (politiques, matériels, financiers, etc.) à l'extérieur et aussi l'existence d'un cadre institutionnel (le HCRP) dont la vocation est justement de négocier avec les rebellions armées.

En effet, les pratiques déstabilisatrices des dissidents touaregs illustrent l'interpénétration entre les variables psychosociologiques et les institutions dans l'explication du recours à la violence. L'hypothèse « frustration agression » de Ted Gurr n'explique pas tout. Le néo-institutionnalisme en science politique a montré la vertu explicative des institutions dans

1 Cette théorie est exposée dans son ouvrage Why men rebel (Princeton, Princeton University Press, 1970).

2 Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, p. 427.

3 Rhissa Ag Boula était alors ministre du Tourisme. Il bénéficia en 2005 d'une liberté provisoire en réalité pour calmer la tension dans le Nord. En fuite depuis janvier 2008, il dirige un nouveau Front, le Front des Forces du Redressement (FFR). Le 14 juillet 2008, la Cour d'Assises de Niamey l'a condamné par contumace à la peine de mort pour l'assassinat d'Adam Amagué.

4 Pour les revendications du MNJ, voir journal Le Témoin, N°214 du 5 septembre 2007, pp. 6-8.

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l'engendrement de la violence protestataire1. Le cadre institutionnel de gestion post conflit entretient une culture aristocratique en fournissant à tout candidat à la rébellion le cadre d'expression de ses revendications.

C'est dans ce sens qu'il faudra interpréter l'approche du HCRP face au MNJ, c'est-à-dire la proposition d'un plan de négociation au Chef de l'Etat devant aboutir à un protocole d'accord additionnel. Il est vrai que grâce à la politique de dialogue du HCRP, beaucoup de dissidents ont été ramenés dans le processus de paix. C'est le cas de certains éléments des FARS en janvier 2007. Mais de manière latente, cette politique de «main tendue » a conforté les dissidents dans le choix de la violence comme moyen de contestation. Aussi, le passage à la violence est stimulé par la perspective d'obtenir de la part de l'État des concessions par la médiation du HCRP.

Les négociations antérieures avec les groupes dissidents sont donc devenues des précédents dangereux. En 2005, le HCRP a pu trouver un « règlement politique » à l'insécurité dans l'Aïr consécutive à l'arrestation de l'ancien ministre Rhissa Ag Boula pour une affaire de meurtre. Au Forum d'Agadez de 2005 organisé à cet effet, cette affaire judiciaire de droit commun a été politisée. Les ex-combattants avaient alors demandé et obtenu sa libération pour « calmer le jeu ». Selon eux, il ne s'agirait pas d'une affaire judiciaire, mais d'une « affaire politique qui doit être réglée au niveau national »2.

En termes plus clairs, de l'avis de ses ex-compagnons d'armes, Rhissa Ag Boula n'est pas un citoyen ordinaire en vertu de son statut d'ancien chef de la rébellion touarègue. Il n'est donc pas susceptible de poursuite par la justice nigérienne. Ce fut une véritable opération de chantage, d'instrumentalisation des identités pour les intérêts des ex-rebelles. L'avènement du MNJ procède de cette même logique de pérennisation d'une discrimination positive au profit des ex-combattants. Chaque fois que l'Etat de droit est invoqué, les ex-combattants réagissent violemment pour protéger leur statut de privilégiés et d'aristocrates conquis de haute lutte.

Ces comportements montrent toute la difficulté d'institutionnaliser un Etat démocratique au Niger, c'est-à-dire un système où la violence reste le monopole de l'Etat, et où les citoyens sont traités sur le même pied d'égalité en toute circonstance. Le recours à la violence par les ex-combattants est symptomatique d'une faible assimilation des valeurs démocratiques et d'un déficit de loyauté envers la communauté politique. De toute évidence, la nouvelle rébellion du MNJ se présente comme une opportunité pour les anciens Chefs de Fronts.

D'abord en affaiblissant l'Etat, le MNJ créé des conditions de négociations plus favorables aux ex-Chefs de Fronts pour faire aboutir certaines de leurs demandes. C'est ainsi qu'ils ont profité d'une rencontre le 12 juin 2007 à Niamey pour formuler et adresser au Chef de l'Etat certaines revendications controversées, qu'ils ont pris soin de ne pas évoquer dans la déclaration qu'ils ont rendue publique à cet effet3. A analyser les revendications de ces anciens rebelles reconvertis, on est frappé par les similitudes, sinon la filiation avec les exigences du MNJ.

Avec l'avènement du MNJ, le pouvoir s'est montré plus sensible aux doléances de l'ex-rébellion. Le cas de la question des 250 Cadres des Fronts et Mouvements le démontre. Le

1 Marco Giugni, «Ancien et nouvel institutionnalisme dans l'étude de la politique contestataire » in Politique et Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 69-90.

2 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la région d'AgadeD, mars 2005, (document non paginé).

3 Ces revendications tournent autour du « recrutement annuel dans les corps militaires et para militaires, l'intégration des ex-combattants formés dans les écoles professionnelles, le remplacement ou la réintégration des éléments révoqués pour des fautes mineures dans les différents corps militaires et para militaires, la nomination des responsables des ex-fronts et mouvements et leurs cadres » etc.

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traitement de ce dossier a connu une accélération impressionnante en 2007 grâce à l'émergence du MNJ, alors qu'il était en souffrance huit (8) ans durant.

En outre, les anciens rebelles soutenaient l'option du dialogue avec le MNJ parce qu'ils voulaient saisir l'opportunité pour réintégrer certains de leurs éléments révoqués au sein des FNIS. Beaucoup de ces éléments se sont d'ailleurs empressés de rejoindre le MNJ espérant des négociations avec le Gouvernement. Entre 1999 et 2006, cent quarante quatre (144) ex-combattants ont été révoqués des FNIS (dont quatre (4) de la Garde Républicaine) et trois (3) de la Gendarmerie.

Les déclarations des ex-combattants lors de la rencontre des 15 et 16 juin 2006 étaient révélatrices de l'impasse qui bloquait le processus de paix. Ils rappelaient alors au Chef de l'Etat que « le quota alloué aux ex-Fronts et Mouvements d'Autodéfense reste et demeure la garantie de la paix »1 et que les révocations des ex-combattants des FNIS « n'étaient pas sans conséquence sur la gestion du processus de paix »2... Le HCRP proposa au Chef de l'Etat un « traitement politique » qui consistait à réintégrer les ex-combattants sur qui « il ne pesaitpas de fautes lourdes ».

Mais cette solution qui risquait de provoquer la résistance de l'armée n'a pas abouti. Et certains des éléments concernés ont rejoint le MNJ. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la disponibilité au dialogue des ex-Chefs de Fronts et Mouvements. Il s'agit d'une logique utilitaire dont la finalité est de préserver la politique de discrimination positive conquise par la lutte armée. Devant la politique de rupture avec les choix antérieurs initiée par le président Tandja, l'usage de la méthode forte par les ex-rebelles s'avérait nécessaire.

Par ailleurs, un accord avec le MNJ aurait l'avantage aussi de renforcer les raisons d'exister du HCRP désormais rompu dans la gestion post conflit. Le pouvoir était ainsi devant le dilemme de savoir s'il fallait réintégrer les ex-combattants révoqués pour apaiser les tensions ou respecter le principe d'égalité des citoyens devant la loi. Le recours à la violence est une manifestation tangible de la culture politique aristocratique que la politique de réinsertion a consolidée. Cette violence remplit des fonctions pour des puissances étrangères ; ce qui ne signifie aucunement que celles-ci soient à l'origine de celle-ci.

Nous soutenions que « d'un point de vue épistémologique, l'analyse des causes de ce conflit démontre la valeur heuristique de la distinction entre les fonctions remplies par une institution et les causes efficientes à l'origine de celle-ci »3 (...). Si le MNJ sert les intérêts de puissances impérialistes (fonction), cela ne veut nullement dire que celles-ci sont à l'origine de l'émergence de celui-ci (cause) »4. Il ressort de ce fait que l'explication de la résurgence de l'insécurité au nord Niger est plus à rechercher dans l'impasse de la gestion post conflit que dans des « complots impérialistes» dont nous ne minimisons pas pour autant l'importance.

1 HCRP, Conclusions de la Réunion ...., op cit, p 2.

2 Ibid.

3 Saidou Abdoulkarim « Conflit au nord Niger : esquisse d'explication... » op cit, P. 29.

4 Ibid.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld