B. Le recours à la violence
Le recours à la violence est la manifestation violente
des dynamiques de déstabilisation de l'État engendrées par
la politique de réinsertion des ex-combattants. L'explication
institutionnelle du passage à la violence peut s'insérer dans un
cadre plus éclectique emprunté au sociologue Ted
Gurr1. Cet auteur utilise la notion de frustration
relative qui « résulte du sentiment d'une
différence (négative) entre les biens que l'individu se sent
autorisé à convoiter et les biens qu'il peut effectivement se
procurer (P). Les potentialités de violence sociale sont à leur
sommet lorsqu'un maximum d'individus se trouvent placés dans une
situation identique »2.
Selon ce schéma, le passage à la violence n'est
pas automatique. Il nécessite deux conditions essentielles, à
savoir la diffusion des «normes éthiques
justificatrices» et la conviction en l'efficacité de
la violence. Les recours à la violence par les ex-combattants dans la
phase post conflit répondent pertinemment à cette grille
d'analyse. Ces derniers ont fortement intériorisé une culture
aristocratique alimentée par l'institutionnalisation des institutions de
discrimination positive. Ce processus a paradoxalement contribué
à consolider un sentiment subjectif de marginalisation qui, de facto,
légitime la perpétuation de la discrimination positive.
La politique de réinsertion est venue renforcer un
particularisme touareg que ni le discours universaliste de l'Etat, ni le
réalisme politique n'ont pu ébranler. Pour justifier la lutte
armée, les ex-combattants puisent, soit de manière diffuse dans
le registre nationaliste touareg, soit de manière rationnelle en
démontrant des défaillances dans l'application des Accords de
Paix. Il en est ainsi de la reprise des hostilités dès septembre
1997 par l'UFRA de Mohamed Anacko. La rébellion toubou des FARS avait
également repris les combats en février 1997 s'estimant
agressée par les FAN.
En 2004, après l'arrestation de Rhissa Ag Boula en
rapport avec l'assassinat de Adam Amagué, un de ses rivaux politiques,
son frère Mohamed Ag Boula avait repris le maquis et opéré
plusieurs opérations meurtrières contre l'Etat et les populations
civiles3. Jusqu'à cette période, ces violences
sporadiques ont été contenues. C'est avec le MNJ depuis 2007
qu'on a assisté à la résurgence d'une véritable
rébellion.
Les sources de légitimation de ces différentes
insurrections n'ont jamais changé, même si le MNJ tente de se
démarquer du particularisme ethnique touareg4. Outre la
facilité de légitimation de la violence, ces
phénomènes sont confortés par la conviction de
l'efficacité de la lutte armée. Celle-ci s'explique par la
vulnérabilité militaire de l'Etat, la facilité d'obtenir
des soutiens actifs (politiques, matériels, financiers, etc.) à
l'extérieur et aussi l'existence d'un cadre institutionnel (le HCRP)
dont la vocation est justement de négocier avec les rebellions
armées.
En effet, les pratiques déstabilisatrices des
dissidents touaregs illustrent l'interpénétration entre les
variables psychosociologiques et les institutions dans l'explication du recours
à la violence. L'hypothèse « frustration agression » de
Ted Gurr n'explique pas tout. Le néo-institutionnalisme en science
politique a montré la vertu explicative des institutions dans
1 Cette théorie est exposée dans son
ouvrage Why men rebel (Princeton, Princeton
University Press, 1970).
2 Phillipe Braud, Sociologie politique,
op cit, p. 427.
3 Rhissa Ag Boula était alors ministre du Tourisme. Il
bénéficia en 2005 d'une liberté provisoire en
réalité pour calmer la tension dans le Nord. En fuite depuis
janvier 2008, il dirige un nouveau Front, le Front des Forces du Redressement
(FFR). Le 14 juillet 2008, la Cour d'Assises de Niamey l'a condamné par
contumace à la peine de mort pour l'assassinat d'Adam Amagué.
4 Pour les revendications du MNJ, voir journal Le
Témoin, N°214 du 5 septembre 2007, pp. 6-8.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'engendrement de la violence protestataire1. Le
cadre institutionnel de gestion post conflit entretient une culture
aristocratique en fournissant à tout candidat à la
rébellion le cadre d'expression de ses revendications.
C'est dans ce sens qu'il faudra interpréter l'approche
du HCRP face au MNJ, c'est-à-dire la proposition d'un plan de
négociation au Chef de l'Etat devant aboutir à un protocole
d'accord additionnel. Il est vrai que grâce à la politique de
dialogue du HCRP, beaucoup de dissidents ont été ramenés
dans le processus de paix. C'est le cas de certains éléments des
FARS en janvier 2007. Mais de manière latente, cette politique de
«main tendue » a conforté les dissidents dans le choix de la
violence comme moyen de contestation. Aussi, le passage à la violence
est stimulé par la perspective d'obtenir de la part de l'État des
concessions par la médiation du HCRP.
Les négociations antérieures avec les groupes
dissidents sont donc devenues des précédents dangereux. En 2005,
le HCRP a pu trouver un « règlement politique
» à l'insécurité dans l'Aïr
consécutive à l'arrestation de l'ancien ministre Rhissa Ag Boula
pour une affaire de meurtre. Au Forum d'Agadez de 2005 organisé à
cet effet, cette affaire judiciaire de droit commun a été
politisée. Les ex-combattants avaient alors demandé et obtenu sa
libération pour « calmer le jeu ».
Selon eux, il ne s'agirait pas d'une affaire judiciaire, mais d'une «
affaire politique qui doit être réglée au
niveau national »2.
En termes plus clairs, de l'avis de ses ex-compagnons d'armes,
Rhissa Ag Boula n'est pas un citoyen ordinaire en vertu de son statut d'ancien
chef de la rébellion touarègue. Il n'est donc pas susceptible de
poursuite par la justice nigérienne. Ce fut une véritable
opération de chantage, d'instrumentalisation des identités pour
les intérêts des ex-rebelles. L'avènement du MNJ
procède de cette même logique de pérennisation d'une
discrimination positive au profit des ex-combattants. Chaque fois que l'Etat de
droit est invoqué, les ex-combattants réagissent violemment pour
protéger leur statut de privilégiés et d'aristocrates
conquis de haute lutte.
Ces comportements montrent toute la difficulté
d'institutionnaliser un Etat démocratique au Niger, c'est-à-dire
un système où la violence reste le monopole de l'Etat, et
où les citoyens sont traités sur le même pied
d'égalité en toute circonstance. Le recours à la violence
par les ex-combattants est symptomatique d'une faible assimilation des valeurs
démocratiques et d'un déficit de loyauté envers la
communauté politique. De toute évidence, la nouvelle
rébellion du MNJ se présente comme une opportunité pour
les anciens Chefs de Fronts.
D'abord en affaiblissant l'Etat, le MNJ créé des
conditions de négociations plus favorables aux ex-Chefs de Fronts pour
faire aboutir certaines de leurs demandes. C'est ainsi qu'ils ont
profité d'une rencontre le 12 juin 2007 à Niamey pour formuler et
adresser au Chef de l'Etat certaines revendications controversées,
qu'ils ont pris soin de ne pas évoquer dans la déclaration qu'ils
ont rendue publique à cet effet3. A analyser les
revendications de ces anciens rebelles reconvertis, on est frappé par
les similitudes, sinon la filiation avec les exigences du MNJ.
Avec l'avènement du MNJ, le pouvoir s'est montré
plus sensible aux doléances de l'ex-rébellion. Le cas de la
question des 250 Cadres des Fronts et Mouvements le démontre. Le
1 Marco Giugni, «Ancien et nouvel institutionnalisme dans
l'étude de la politique contestataire » in Politique et
Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 69-90.
2 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la
région d'AgadeD, mars 2005, (document non
paginé).
3 Ces revendications tournent autour du «
recrutement annuel dans les corps militaires et para militaires,
l'intégration des ex-combattants formés dans les écoles
professionnelles, le remplacement ou la réintégration des
éléments révoqués pour des fautes mineures dans les
différents corps militaires et para militaires, la nomination des
responsables des ex-fronts et mouvements et leurs cadres »
etc.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
traitement de ce dossier a connu une
accélération impressionnante en 2007 grâce à
l'émergence du MNJ, alors qu'il était en souffrance huit (8) ans
durant.
En outre, les anciens rebelles soutenaient l'option du
dialogue avec le MNJ parce qu'ils voulaient saisir l'opportunité pour
réintégrer certains de leurs éléments
révoqués au sein des FNIS. Beaucoup de ces éléments
se sont d'ailleurs empressés de rejoindre le MNJ espérant des
négociations avec le Gouvernement. Entre 1999 et 2006, cent quarante
quatre (144) ex-combattants ont été révoqués des
FNIS (dont quatre (4) de la Garde Républicaine) et trois (3) de la
Gendarmerie.
Les déclarations des ex-combattants lors de la
rencontre des 15 et 16 juin 2006 étaient révélatrices de
l'impasse qui bloquait le processus de paix. Ils rappelaient alors au Chef de
l'Etat que « le quota alloué aux ex-Fronts et
Mouvements d'Autodéfense reste et demeure la garantie de la paix
»1 et que les révocations des
ex-combattants des FNIS « n'étaient pas sans
conséquence sur la gestion du processus de paix
»2... Le HCRP proposa au Chef de l'Etat un «
traitement politique » qui consistait à
réintégrer les ex-combattants sur qui « il ne
pesaitpas de fautes lourdes ».
Mais cette solution qui risquait de provoquer la
résistance de l'armée n'a pas abouti. Et certains des
éléments concernés ont rejoint le MNJ. C'est dans ce sens
qu'il faut comprendre la disponibilité au dialogue des ex-Chefs de
Fronts et Mouvements. Il s'agit d'une logique utilitaire dont la
finalité est de préserver la politique de discrimination positive
conquise par la lutte armée. Devant la politique de rupture avec les
choix antérieurs initiée par le président Tandja, l'usage
de la méthode forte par les ex-rebelles s'avérait
nécessaire.
Par ailleurs, un accord avec le MNJ aurait l'avantage aussi de
renforcer les raisons d'exister du HCRP désormais rompu dans la gestion
post conflit. Le pouvoir était ainsi devant le dilemme de savoir s'il
fallait réintégrer les ex-combattants révoqués pour
apaiser les tensions ou respecter le principe d'égalité des
citoyens devant la loi. Le recours à la
violence est une manifestation tangible de la culture politique aristocratique
que la politique de réinsertion a consolidée. Cette violence
remplit des fonctions pour des puissances
étrangères ; ce qui ne signifie aucunement que celles-ci soient
à l'origine de celle-ci.
Nous soutenions que « d'un point de vue
épistémologique, l'analyse des causes de ce conflit
démontre la valeur heuristique de la distinction entre les fonctions
remplies par une institution et les causes efficientes à l'origine de
celle-ci »3 (...). Si le MNJ sert les
intérêts de puissances impérialistes (fonction), cela ne
veut nullement dire que celles-ci sont à l'origine de l'émergence
de celui-ci (cause) »4. Il ressort de ce fait que
l'explication de la résurgence de l'insécurité au nord
Niger est plus à rechercher dans l'impasse de la gestion post conflit
que dans des « complots
impérialistes» dont nous ne minimisons pas pour
autant l'importance.
1 HCRP, Conclusions de la Réunion
...., op cit, p 2.
2 Ibid.
3 Saidou Abdoulkarim « Conflit au nord Niger : esquisse
d'explication... » op cit, P. 29.
4 Ibid.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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