Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture politique
aristocratique
Le renforcement de cette culture aristocratique produit par
l'effet d'institutionnalisation de la politique de réinsertion se
manifeste à travers une tendance au rejet de la citoyenneté
universaliste (A) et le recours à la violence (B).
A. Le rejet de la citoyenneté universaliste
La réinsertion des ex-combattants touaregs a eu comme
impact de mettre à mal un processus d'institutionnalisation de l'Etat de
droit timidement engagé depuis la Conférence
1 Ibid, p. 3.
2 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts,
Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12
juin 2007.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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Nationale Souveraine en 1991. En légitimant la
discrimination positive en faveur d'une frange de la population, cette
politique fait ainsi dérogation au principe de l'égalité
des citoyens devant la loi que l'Etat de droit implique. Elle s'écarte
donc de la conception individualiste de la citoyenneté jusqu'ici
affirmée avec force par l'Etat. Les principes de l'Etat de droit ont
été sacrifiés sur l'autel du pragmatisme inspiré
par la volonté de restaurer la paix et préserver l'unité
nationale. C'est ce qui justifie les dérogations accordées aux
ex-combattants dans l'accès aux emplois de l'Etat et aux postes
politiques.
Cependant, cette discrimination positive n'était pas
censée se perpétuer. Par des effets pervers, la
réinsertion a enclenché de manière implicite une dynamique
de déstabilisation de l'État. En cherchant à apaiser les
tensions, elle a entretenu et consolidé une culture politique
aristocratique hostile à toute notion de droit. En d'autres termes,
à force de bénéficier de la discrimination positive, les
ex-combattants ont développé des réflexes de « super
citoyen » qui tranchent avec le discours sur l'État de droit.
Beaucoup d'ex-combattants intégrés ont brillé par leur
incapacité à se reconvertir en citoyens ordinaires, à se
soumettre à des normes universelles.
Cette attitude déviante explique dans une large mesure
les contradictions qui ont émaillé le processus des
intégrations au sein des institutions étatiques. Le
problème des révoqués et des déserteurs au sein des
FNIS en est une illustration. Les décisions prises par la
hiérarchie militaire de révoquer certains agents des FNIS (dont
des ex-combattants) en vertu des textes en vigueur ont été
qualifiées par les ex-Chefs rebelles de « renvois
complaisants »1 et «
révocations planifiées
»2, sans qu'ils ne soient capables d'en apporter
les preuves.
En fait, la faiblesse des arguments mobilisés pour
justifier la demande de réintégration des éléments
révoqués cachait mal l'esprit aristocratique qui motivait la
démarche : les ex-combattants touaregs ne sont pas des
citoyens ordinaires, ce sont des citoyens supérieurs qui ne peuvent
être régis par les mêmes lois que les autres.
Cette culture politique explique donc la répugnance des ex-combattants
à s'approprier les institutions officielles, c'est-à-dire saisir
les juridictions compétentes en la matière.
En effet, depuis la signature des Accords de Paix, il n'a
jamais été enregistré de cas où
l'ex-Résistance ou certains de ses éléments ont saisi une
juridiction pour faire valoir leurs droits. Au contraire, la tendance a
toujours été de chercher des solutions
«politiques », c'est-à-dire
dérogatoires aux textes en vigueur. La demande de
réintégration des agents des FNIS révoqués ou
déserteurs par le seul fait qu'ils sont ex-combattants apparaît de
ce point de vue comme un rejet, voire un mépris des institutions ;
surtout, lorsqu'on sait que beaucoup d'autres nigériens dans ces corps
ont écopé des mêmes sanctions pour les mêmes
fautes.
Certains ex-combattants intégrés dans des
établissements scolaires ont également développé
les mêmes réflexes aristocratiques. C'est ainsi que, très
souvent, certains d'entre eux ont sollicité du HCRP des mesures
dérogatoires lorsque leurs intérêts ne cadrent pas avec les
normes officielles. A titre d'exemple, il est arrivé, on l'a
noté, que des ex-combattants ayant redoublé à deux
reprises une classe, demandent une réinscription dans un
établissement public, ce qui n'est pas autorisé par les textes en
vigueur.
Les ex-combattants destinés aux corps militaires et
para militaires, en plus de la dérogation à eux
concédée pour l'accès à ces corps, ont
également bénéficié des mesures exceptionnelles
pendant leur formation. A l'E cole Nationale de Police de Niamey par exemple,
beaucoup d'éléments intégrés se sont
distingués par leur indiscipline sans qu'ils ne soient frappés
1 HCRP, Conclusions de la
Réunion...op cit, p. 2.
2 Ibid.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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d'une quelconque sanction. Convaincus de leur
«immunité », les ex-combattants pouvaient s'autoriser le
mépris des règles disciplinaires.
De tels comportements tendent à créer une
situation d'amnistie perpétuelle où chaque manquement aux lois
est systématiquement pardonné lorsqu'il s'agit d'un
ex-combattant. Cette politique de deux poids deux mesures s'explique aussi bien
par le contexte d'émergence des politiques publiques de gestion post
conflit que par l'effet structurant des institutions.
Issu d'un rapport de force, la politique de réinsertion
était l'expression d'un affaiblissement de l'institution étatique
qui, pour des impératifs de survie, fut contrainte de faire des
concessions. Mais pour les ex-rebelles la discrimination positive en leur
faveur est une correction apportée à un système injuste
dans un pays où « la situation du peuple touareg peut
se résumer par ces quelques mots : marginalisation politique,
pauvreté absolue, persécution »1.
En d'autres termes, la politique est perçue comme légitime car
elle est la condition indispensable pour freiner «toute forme
de recolonisation du Nordpar le Sud »2.
Cette perception de la politique de réinsertion, qui
fait de la discrimination positive une condition de justice sociale, permet de
cerner les comportements déviants développés par les
anciens rebelles. Le cadre institutionnel a été en partie un
facteur explicatif majeur dans ce processus. Par sa seule existence, le HCRP
contribue au développement de cette culture aristocratique car c'est la
seule institution au Niger par laquelle les inputs
des ex-combattants intègrent la « boite noire »
du système politique.
Intégrés dans les différents corps (FAN,
Fonction Publique, Université etc.) par une procédure
exceptionnelle mise en oeuvre par le HCRP, les ex-combattants se sont
montrés incapables de s'affranchir de la tutelle de cette institution.
Il est vrai que de par sa fonction tribunitienne, le HCRP a pu contenir les
propensions à la violence des ex-combattants.
Mais cette canalisation des révoltes s'est faite au
prix d'une rupture avec les lois universelles de l'Etat. Dans toutes les
institutions où ont été intégrés les
ex-combattants, l'Etat a souvent fonctionné à deux vitesses : aux
normes officielles appliquées aux nigériens ordinaires se
greffent des normes « politiques » appliquées aux
ex-combattants « au nom de la consolidation de la paix ». Si beaucoup
d'institutions avaient brandi la loi pour refuser de telles pratiques, les
démarches du HCRP, fort de son rattachement à la
Présidence de la République, ont eu souvent raison de leur
résistance.
En servant d'instrument de politisation des problèmes
des ex-combattants intégrés, le HCRP a ainsi été le
cadre institutionnel de l'éclosion, du moins du maintien et du
renforcement d'une culture aristocratique. Les ex-combattants ont ainsi
cultivé un réflexe de déviance qui n'est pas sans
conséquence sur le processus d'institutionnalisation de l'Etat.
Ainsi, face à un problème banal, certains
ex-combattants préfèrent faire valoir leurs revendications par le
truchement du HCRP que d'emprunter la voie offerte par les institutions
classiques de l'Etat. Bref, il se dégage clairement l'impression que la
réinsertion a participé à consolider un sentiment de
supériorité des ex-combattants par rapport à leurs
concitoyens.
Le recours à la violence est une des manifestations
tangibles de cette culture politique aristocratique.
1 CRA, Programme Cadre...op cit, p.
1.
2 Ibid, p. 31.
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