CONCLUSION
Au terme de cette analyse, de nombreux apports de
connaissances aussi bien sur l'objet d'étude que sur la
problématique adoptée sont à mettre en
évidence1. Cette recherche, faut-il le rappeler, était
basée sur cette question principale : quel est l'impact des
institutions sur la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs? Pour répondre à cette question, nous
avons adopté une problématique institutionnelle basée sur
la théorie de l'institutionnalisme historique qui s'est
développée comme perspective analytique majeure en science
politique depuis le début des années 80. Ce cadre
théorique d'analyse est lui-même appliqué selon une
démarche hypothético-déductive dans le champ de l'analyse
des politiques publiques.
En effet, pour aborder la question touarègue sous cet
angle, nous avons dû dépasser les approches classiques du
problème touareg au Niger dont la particularité réside
dans une lecture holiste du phénomène. Cette rupture
épistémologique était d'autant plus nécessaire que
depuis la conclusion des Accords de Paix, la gestion post conflit n'a pas
suscité au sein de la communauté scientifique un engouement
à la hauteur de sa portée politique. Aussi, les grilles d'analyse
jusqu'ici utilisées n'étaient plus en mesure de rendre compte des
nouveaux développements dans la crise au nord Niger qui sont largement
induits par la gestion post conflit.
L'analyse de la résurgence des tensions et de
l'insécurité dans le nord du Niger ne saurait faire
l'économie de l'étude du processus de réinsertion des
ex-combattants engagé depuis une dizaine d'années
déjà. Dans sa dimension interne, le conflit au nord Niger doit
s'analyser à partir des politiques publiques issues du règlement
de la première rébellion armée. Notre travail
répond donc à un besoin, non seulement d'approfondir la
connaissance du problème touareg au Niger, mais aussi de relativiser les
approches classiques quand à l'explication des tensions issues de la
gestion post conflit. L'idée générale que notre
problématique introduit est que le problème du nord Niger doit
s'analyser désormais à partir des contradictions de la gestion
post conflit.
Dans ce cadre, nous avons isolé certaines propositions
principales du néo-institutionnalisme historique pour construire un
modèle d'analyse et dégager des hypothèses de recherche.
Cette d'opérationnalisation du cadre théorique a consisté
à identifier trois hypothèses développées par le
néo-institutionnalisme historique à partir desquelles les axes de
la recherche ont été fixés. Ces hypothèses se
rapportent aussi à trois séquences d'une politique publique,
à savoir l'émergence, la mise en oeuvre et l'impact de la
politique sur son environnement.
C'est ainsi grâce à ces hypothèses que
nous avons filtré la foule des données existantes sur la gestion
post conflit et la question touarègue en général en
fonction de leur «pertinence ». La collecte des données a
été réalisée grâce à la technique de
l'entretien, de l'analyse documentaire et de l'observation participante. La
confrontation de nos hypothèses avec la réalité positive a
mis en évidence la valeur heuristique de celles-ci, mais aussi a permis
d'apprécier les écarts qui les séparent avec les faits
empiriques.
Avec la première hypothèse, nos enquêtes
ont largement confirmé la pertinence de la proposition de
l'institutionnalisme historique sur la continuité historique et le poids
des institutions existantes sur tout processus de changement institutionnel.
L'impact des institutions s'est manifesté de la phase de gestion du
conflit à la gestion post conflit. Aussi bien dans la
1 Le plan de la conclusion est inspiré de la
méthode proposée par Raymond Quivy et L. Van Campenhoudt dans
leur Manuel de recherches en sciences sociales,
(Paris, Dunod, 2006, pp. 215-219).
114
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
configuration des institutions nées de la gestion de la
Rébellion que dans l'orientation de la politique gouvernementale, les
institutions formelles et informelles ont considérablement
structuré les options et les résultats obtenus. Mais cette
influence historique n'occulte pas l'existence d'éléments de
rupture qui se sont manifestés dans la substance des Accords de Paix et
les institutions de gestion post conflit.
L'élément central dans la politique de
réinsertion des ex-combattants est certainement le principe de la
discrimination positive qui contraste avec les logiques d'un Etat à
prétention universaliste. Même si dans les modalités
d'application des Accords de Paix, les normes universelles de l'Etat,
c'est-à-dire les institutions existantes, ont imprimé leur marque
pour amoindrir son effet, il n'en demeure pas moins que cette politique a
consacré une rupture avec celles-ci. En outre, notre hypothèse ne
rend pas compte de l'effet d'autres variables, particulièrement celles
liées aux intérêts socio-économiques des acteurs,
à la dimension internationale de la rébellion touarègue et
aussi aux relations interpersonnelles. Dans leur émergence, les
institutions de gestion post conflit ont été influencées,
en plus des institutions existantes, par ces variables que notre cadre
théorique appréhende mal ou minimise. C'est le cas des relations
personnelles entre acteurs politiques.
Avec la deuxième hypothèse, nous avons mis en
évidence l'effet structurant des institutions sur les comportements des
acteurs. Dans la phase de mise en oeuvre de la réinsertion, les
institutions se sont ainsi présentées à la fois comme des
contraintes et des opportunités pour les ressortissants. Ces effets
institutionnels ont engendré des attitudes et des comportements de la
part des ex-combattants, attestant de ce fait de l'influence structurante des
institutions de gestion post conflit. A analyser l'ossature institutionnelle du
HCRP, il est clairement apparu que les choix opérés
antérieurement en matière de design institutionnel (ses normes de
fonctionnement, sa localisation géographique, ses attributions etc.)
expliquent dans une large mesure les choix stratégiques des acteurs.
Une des conclusions importantes à cet égard est
certainement l'explication institutionnelle du patrimonialisme dans la gestion
interne des Fronts et Mouvements par les anciens combattants. Aussi, l'analyse
a mis en exergue les changements de pouvoir induits par les institutions entre
et au sein des Fronts et Mouvements dans la phase post conflit. Mais à
ce niveau également, la problématique institutionnelle n'explique
pas tout, d'où le recours à des explications relevant d'un
registre de type culturaliste pour rendre compte de certains comportements des
acteurs.
La troisième hypothèse est certainement la plus
pertinente. L'expérience de la gestion post conflit au Niger a
confirmé l'hypothèse de l'institutionnalisme historique sur le
maintien des institutions. La notion de path
dependence rend parfaitement compte du phénomène de
« capture » de la politique de réinsertion des ex-combattants
en montrant le processus d'institutionnalisation de celle-ci et sa
transformation en une contrainte institutionnelle qui a rendu toute tentative
de rupture problématique.
En outre, la confrontation de cette hypothèse avec la
réalité a montré certains paradoxes. C'est le cas du
caractère hasardeux des initiatives de reproduction des institutions qui
ont échappé souvent aux agents du HCRP pourtant
intéressés par celles-ci. Ce paradoxe corrobore l'idée
de
115
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'irrationalité de la décision publique et, en
général, atteste de la pertinence d'une conception «
désenchantée » de l'Etat que l'analyse des politiques
publiques a contribué à révéler1.
En plus, avec le processus de reproduction des institutions,
il est ressorti que les ressortissants ne sont pas les seuls militants du
maintien du statu quo et acteurs du policy lock in.
On a noté également une forte implication des agents de
l'Administration, en particulier du HCRP, partagés entre deux logiques
contradictoires : celle de justifier le bilan de l'exécution d'une
mission et celle de sauvegarder les intérêts symboliques et
matériels que celle-ci a contribué à cristalliser.
La particularité de ce policy lock in
est le caractère discret, voire secret du processus de
reproduction institutionnelle, compte tenu du caractère «
dépolitisé » des Accords de Paix en général et
de la réinsertion des ex-combattants en particulier2. Il se
dégage que l'enjeu principal autour de ce conflit entre institutions de
gestion post conflit et les nouvelles orientations politiques de l'Etat touche
à un des fondamentaux de l'État, à savoir
l'idéologie universaliste.
En général, on peut estimer que les
hypothèses de recherche se sont dans l'ensemble
révélées pertinentes dans l'explication des
phénomènes observés. Les écarts constatés ne
sont pas aussi profonds pour conclure à une faiblesse heuristique de la
théorie à laquelle ces hypothèses se rattachent. Le
recours sporadique à d'autres grilles inspirées de paradigmes
différents, voire concurrents, n'altère nullement la vertu
heuristique des institutions. Au contraire, cette analyse cadre parfaitement
avec la démarche très souvent éclectique des sciences
sociales.
Ceci est d'autant plus évident que les
institutionnalistes historiques n'ont jamais considéré les
institutions comme les seules variables explicatives, ainsi que le soutiennent
Peter Hall et Rosemary Taylor : « ...Bien qu'ils attirent
l'attention sur le rôle des institutions dans la vie politique, il est
rare que les théoriciens de l'institutionnalisme historique affirment
que les institutions sont l'unique facteur qui influence la vie politique. Ils
cherchent en général à situer les institutions dans une
chaîne causale qui laisse une place à d'autresfacteurs en
particulier les développements socio-économiques et la diffusion
des idées »3.
En termes d'apport de connaissances, cette étude peut
être évaluée d'abord selon ce qu'elle ajoute à
l'état de connaissances sur la question touarègue (ce que nous
savons de plus) et ensuite, ce qu'elle nuance, corrige ou remet en question (ce
que nous savons d'autre). Sur le premier aspect, cette recherche apporte une
analyse sur un chantier laissé en friche, insuffisamment
étudié dans une perspective scientifique, du moins politologique.
De par la problématique adoptée, le problème touareg est
analysé autrement que par l'Histoire, le Droit ou l'Anthropologie.
La démarche de l'analyse des politiques publiques a
ainsi permis de « sociologiser » notre
regard sur cette question par l'examen d'une politique concrète, de son
émergence à son impact
1 Des auteurs comme Patrice Duran considèrent l'analyse
des politiques publiques comme une «pensée de crise» car cette
discipline a connu son essor pendant les crises de l'Etat-providence en
Occident. Plusieurs travaux ont contribué à déconstruire
le mythe de la rationalité absolue dans la décision publique. Le
modèle de la poubelle ou garbage can model de
Michael Cohen et James March, l'incrémentalisme de Charles Lindblom ou
encore le modèle de la «fenêtre
d'opportunité» de John Kingdon en sont des
illustrations. Voir Charlotte Halpern, «Décision» in Laurie
Boussaguet et al, op cit, pp. 153-160.
2 Les Accords de Paix sont dans sa sphère de
l'administration, ils ne sont donc pas susceptibles
de débats publics, car il s'agit avant tout pour le Gouvernement
d'honorer des engagements souscrits à l'issue d'un processus politique
exceptionnel. Le cadre institutionnel (le HCRP), de par son organisation et son
fonctionnement, a contribué faire de la question de la
réinsertion une des politiques les moins discutées en public.
3 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p.476.
116
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
sur son environnement en passant par sa mise en oeuvre.
Contrairement aux travaux antérieurs se sont concentrés sur les
causes de la rébellion touarègue, notre travail a eu pour
ambition de compléter la littérature savante par l'étude
de la gestion post conflit issue de cette rébellion. Cette recherche a
mis en lumière les processus politiques qui ont suivi les Accords de
Paix et analysé leurs impacts sur le champ politique nigérien. A
cet effet, l'élucidation des fonctions manifestes et latentes du HCRP
dans ces processus est un apport substantiel pour appréhender l'impact
de la gestion post conflit sur le système politique.
Sur le second angle, cette étude constitue une esquisse
d'explication de la résurgence du conflit au nord Niger, même si
celle-ci n'est pas au centre de notre réflexion. Notre étude sur
la réinsertion relativise certaines perspectives analytiques sur cette
question. L'analyse institutionnelle montre que le recours à la violence
est en partie le résultat d'une structuration institutionnelle. Cette
approche se démarque en cela des explications culturalistes qui
établissent un lien de causalité entre la propension culturelle
(postulée) à la violence des touaregs et la lutte armée.
L'analyse institutionnelle démontre l'existence d'un lien d'engendrement
entre les institutions et le recours à la lutte armée. Le MNJ est
une des expressions de cette dynamique.
Cette recherche permet aussi de nuancer les explications
simplistes inspirées de la sociologie dépendantiste
réduisant la rébellion armée à de
simples conspirations impérialistes. Nous avons rappelé la
nécessité de distinguer la cause
à l'origine d'un phénomène de la
fonction que celui-ci peut être amené
à remplir après sa naissance1. Le MNJ résultent
essentiellement d'une impasse de la politique de gestion post conflit (cause).
Mais une fois constituée, cette rébellion a très vite
été récupérée par des acteurs opportunistes
internes et externes (fonction).
Le processus de reproduction des institutions est un apport
important car il met en exergue la logique intrinsèque du cadre
institutionnel à se reproduire ainsi que les acteurs impliqués et
leurs rôles respectifs dans le processus. L'étude de l'impact de
cette institutionnalisation révèle que la réinsertion des
ex-combattants a engendré des dynamiques à la fois
stabilisatrices et déstabilisatrices. C'est dans cet effet ambivalent
que réside le paradoxe de cette politique.
La réinsertion des ex-combattants a été
un champ d'affrontement entre universalisme et
particularisme. Les contradictions qu'elle suscite
constituent la manifestation tangible d'une crise de légitimité
de l'Etat dont l'analyse déborde le champ des politiques publiques et
sollicite les outils conceptuels la sociologie politique. Le problème
touareg au Niger et au Mali rappelle encore une fois la pertinence du
débat posée par le Pr Basile Guissou sur la crise de l'Etat en
Afrique, notamment sur la nécessité de concevoir «
d'autres constructions politiques et institutionnelles plus
endogènes »2.
Derrière le refus des ex-combattants touaregs
d'admettre l'universalisme et le radicalisme de l'Etat contre la discrimination
positive se révèle une contradiction structurelle du
système politique nigérien. Le déficit
d'intériorisation des valeurs universelles par les ex-combattants, le
refus par ces derniers de s'approprier le cadre démocratique pour faire
valoir leurs droits, sapent la dynamique d'institutionnalisation de l'Etat de
droit et de la démocratie au Niger.
Du point de vue de l'analyse des politiques publiques, cette
tension peut être appréhendée par la notion de
référentiel que développent les
approches cognitives. Comme le montre Pierre
1 Saidou Abdoulkarim, «Conflit dans le nord : esquisse
d'explication à partir de la gestion post conflit» op cit.
2 Basile Guissou, De l'Etat patrimonial à
l'Etat de droit moderne au Burkina Faso. Esquisse d'une théorie de la
construction de l'Etat en Afrique, Thèse de Doctorat
d'Etat en Sociologie Politique, Université de Cocody, Côte
d'Ivoire, 2002.
117
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Muller, « les politiques publiques ne servent
pas (en tout cas pas seulement) à résoudre les problèmes
»1, mais plutôt à imposer des
représentations sur les problèmes. Il n'existe jamais de
consensus aussi bien sur la nature des problèmes, sur la chaîne
causale qui les produit que sur les effets de l'action publique au plan
sociétal.
Les problèmes soulevés par la réinsertion
des ex-combattants confirment cette hypothèse. L'adoption de la
politique de réinsertion est issue d'un rapport de forces, elle n'a
jamais signifié pour l'Etat nigérien la reconnaissance d'un
problème de marginalisation des touaregs. Les Accords de Paix incarnent
l'imposition par les rebelles touaregs d'une interprétation du
réel, d'une lecture particulariste de la réalité positive
que le Gouvernement a accepté par pragmatisme2. Le
Gouvernement a toujours rejeté l'idée que les touaregs seraient
les « véritables Turcs de l'Afrique»
(Mano Dayak). Cette position est toujours vivace dans les sphères du
pouvoir et au sein de l'opinion publique.
Tout aussi vivace est la conviction des ex-rebelles quand au
bien-fondé de la discrimination positive pour qui le maintien d'un Etat
à deux vitesses, qui ignore le principe de l'égalité des
citoyens devant la loi, est la condition de survie de la communauté
politique. Cette culture aristocratique de l'Etat est réelle et demeure.
Mieux, elle a été renforcée paradoxalement par
l'expérience de la gestion post conflit et en constitue, d'ailleurs, un
des effets pervers. En somme, le problème touareg reste
entier3.
Ces réflexions nous conduisent aux apports de
connaissances théoriques. A travers cette recherche, c'est la pertinence
de l'analyse institutionnelle que la science politique behavioriste et le
marxisme, entre autres, ont contribué à marginaliser, qui se
trouve confirmée et confortée. Ce travail procède d'un
effort de réhabilitation des institutions et de l'Etat en
général dans l'analyse politique4.Cependant, en
dépit de la qualité de cette problématique, il faut
reconnaître que celle-ci mérite encore d'être affinée
afin de mieux saisir les faits sociaux.
La complexité de la question touarègue,
notamment l'imbrication d'une multitude de variables à la fois
conjoncturelles et structurelles devrait conduire à des analyses
beaucoup plus éclectiques. En cela, le modèle des « trois I
» est intéressant car il combine à la fois les
intérêts, les idées et les institutions dans l'analyse des
politiques publiques. Ces trois concepts se rapportent aux trois formes de
néo-institutionnalismes, à savoir l'institutionnalisme du choix
rationnel, l'institutionnalisme sociologique et l'institutionnalisme
historique. Il est ressorti des travaux en
1 Pierre Muller, «L'analyse cognitive des politiques
publiques : vers une sociologie de l'action publique» op cit, p. 194.
2 Ce problème rappelle l'expérience historique
du Nigeria où les Nordistes musulmans (Haoussas)
bénéficient des quotas dans les universités pour rattraper
le retard accusé dans le domaine de l'éducation par rapport au
Sudistes chrétiens. Pourtant, historiquement, c'était les Emirs
du Nord qui avaient bloqué l'éducation dans leurs zones
(indirect rule) pour sauvegarder leur culture. Voir
Chris O. Uroh, « On the ethics of ethnic balancing: federal character
reconsidered » in Kunle Amuwo (ed), Federalism and political
restructuring in Nigeria, (Ibadan, Spectrum Books Limited, 2004,
p.196). Le parallèle peut être fait au Niger. Les Touaregs avaient
bénéficié des mêmes «faveurs» que les
Haoussas du Nigeria sous la colonisation ; ils ont été
épargnés de l'école, de l'armée et des travaux
forcés.
3 Voyons par exemple comment les ex-rebelles apprécient
la décentralisation. Lors de la réunion des Chefs de Fronts et
Mouvements du 15 juin 2006 à Niamey, un Chef de Front déclarait :
« 80% des élus locaux de la région d'AgadeD
étaient des détracteurs de la Rébellion, le sens de notre
rébellion, c'était le pouvoir». Autrement dit,
ils ont combattu pour leurs ennemis...
4 Des travaux dans ce sens abondent de plus en plus. Sur le
cas du Niger, on peut citer l'article de Mamoudou Gazibo « La force des
institutions : la CENI comme site d'institutionnalisation au Niger » in
Patrick Quantin (dir), Gouverner les sociétés
africaines, Paris, Karthala, pp. 65-84.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
politiques publiques que chacun de ces trois courants tend
à minimiser les autres variables qui ne relèvent pas de son
champ.
C'est pour remédier à cette faiblesse que la
combinaison de ces trois outils a été pensée. Comme le
constate Yves Surel, «parler des «trois I » peut
alors se concevoir comme une façon de croiser plusieurs approches pour
comprendre les dynamiques propres à l'action publique et comme un bon
moyen de tester des hypothèses alternatives ou complémentaires
sur un même objet »1.Dans le sens de cette
nouvelle articulation théorique, Daniel Beland propose de «
réintégrer certaines variables
socio-économiques dans l'analyse institutionnelle
»2 afin de combler les lacunes de ce cadre
théorique.
Cette articulation doit aussi prendre en compte la place des
idées et des paradigmes politiques, très souvent en marge des
analyses institutionnelles. Dénis Saint Martin montre également
que la logique intrinsèque des institutions à se maintenir que la
notion de path dependence met en exergue n'est pas la
seule explication de la continuité institutionnelle. L'approche
cognitive a permis de mettre en lumière les changements qualitatifs
induits par les idées et les processus d'apprentissage so
cial3.
En outre, il faut relever la faiblesse du
néo-institutionnalisme dans l'explication du changement. La politique de
rupture engagée par le président Mamadou Tandja avec les
politiques antérieures trouve son explication moins dans le cadre
institutionnel que dans d'autres facteurs sociopolitiques internes et externes
au système politique. A cet effet d'ailleurs, André Lecours
estime que la diversité de la théorie institutionnelle n'est pas
mauvaise en soi. Le vrai problème réside dans la propension
à privilégier la continuité au détriment du
changement institutionnel4.
L'analyse institutionnelle doit également, dans la
modélisation de la problématique, préciser le contenu du
concept d'institution. S'il est vrai que ce concept a gagné en
complexité à la faveur de l'avènement du
néo-institutionnalisme, il n'en demeure pas moins qu'il est devenu
depuis lors une sorte de « fourre-tout ». Ce qui fait dire à
M. Gazibo et J. Jenson que « la multitude de
définitions et la faiblesse du consensus à ce sujet ont conduit
àfaire naître des critiques telles que celles émises par
Erhard Friedberg qui considère cette diversité des significations
données à la notion d'institution comme une preuve de la
confusion qui entoure le néo-institutionnalisme »S.
L'institutionnalisme historique gagnerait donc à concevoir
une définition plus précise et opérationnelle de cette
notion centrale.
Enfin, pour approfondir notre objet d'étude, l'analyse
de problématique de la reconversion politique des anciens rebelles nous
parait pertinente. A cet égard, les partis politiques constituent des
sites d'observations privilégiés. Le recours à la violence
par des ex-combattants pourtant intégrés dans divers corps de
l'État indique que la question de la reconversion reste posée.
L'ambivalence des comportements politiques de ces acteurs, partagés
entre les valeurs démocratiques et l'attachement à une culture
aristocratique qui nourrit des pratiques «hors système »,
appelle une élucidation scientifique plus élaborée.
1 Yves Surel, «Trois I », in Laurie Boussaguet et al,
op cit, p. 456.
2 Daniel Beland, «Néo-institutionnalisme
historique et politiques sociales : une perspective sociologique» in
Politique et Sociétés, vol 21,
n°3, 2002, p. 29.
3 Dénis Saint Martin, op cit, p. 45. Hugh Heclo
introduit le concept de policy puDDling pour montrer
que les changements de politiques publiques ne sont pas seulement une affaire
de lutte de pouvoir (powering), mais peuvent aussi
être analysés sous leur dimension cognitive. Cf Jacques De
Maillard, «Apprentissage» in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp.
59-66.
4 André Lecours, op cit, p. 14.
5 Op cit, p.198.
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