B. L'inflation des demandes des ex-combattants
Le processus de mise en oeuvre des Accords de Paix,
particulièrement de la politique de réinsertion des
ex-combattants, a engendré beaucoup de contradictions qui rendent sa
terminaison aléatoire. En plus de la dynamique reproductrice
engagée par le HCRP lui-même, les ex-combattants contribuent, par
l'articulation des demandes, à maintenir les institutions de gestion
post conflit. Et de ce fait, ils participent à consolider les acquis de
la discrimination positive. Profitant à la fois de leurs ressources
politiques et d'un cadre institutionnel favorable, les ex-combattants ont
contribué à créer un cercle vicieux autour de la politique
de réinsertion. Il en a résulté un processus circulaire
interminable par lequel chaque demande satisfaite conduit à la
formulation d'une autre demande.
Il est donc tout à fait justifié de parler de
capture de la politique ou de policy lock in. Cette
inflation des revendications s'observe d'abord par le traitement de la question
des Chefs et Cadres. Depuis septembre 2000, la réinsertion des
élites fut réalisée selon les modalités convenues
entre les parties. Ce traitement des Chefs et Cadres, laissé à
l'appréciation du Chef de
1 Entretien à Niamey, 25 juillet 2008.
2 Entretien à Niamey, 16 mars 2008.
3 Aucun des cadres du HCRP ne milite activement dans un parti
politique.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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l'Etat, était donc achevé. Mais en 2006, cette
question fut curieusement réactivée lors de la réunion des
Chefs des Mouvements et Fronts du 15 juin. L'explication donnée par les
Chefs et Cadres était que « ce premier traitement ne
couvrait pas l'ensemble des Cadres mais ceux dits principaux
»1. Les Fronts et Mouvements disposeraient encore
chacun d'une «quinzaine, voire d'une quarantaine de Cadres
»2 en attente. Le nombre de «
nouveaux Cadres» fut estimé à 250
personnes auquel le Chef de l'Etat promis un pécule de 1 200 000 F CFA
chacun.
A y regarder de très près, la distinction
Chef/Cadre/Combattant est un leurre. La
distinction sert uniquement aux élites d'accumuler les
privilèges en gonflant les effectifs. Beaucoup d'éléments
permettent d'attester que ces « nouveaux
cadres» sont en réalité fictifs. Dans le
traitement de cette question, le FLAA avait par exemple demandé au Haut
Commissaire d'intercéder auprès du Trésorier
Général pour que le mandatement des 25 500 000 F CFA lui revenant
soit fait au profit du Trésorier du FLAA et non pas directement aux dix
sept (17) « Cadres ».
Le FLAA avait en effet « décidé
de faire bénéficier le montant revenant aux dix sept (17)
ex-combattants à autant d'ex-combattants qui sont actuellement dans le
dénuement total... »3. Ces fonds devaient
aussi servir à désintéresser les «
martyrs et victimes de guerre »4 du
FLAA. En clair, la réinsertion des Cadres visait donc autre chose, faute
de Cadres...
D'ailleurs, il suffit de consulter les listes transmises par
les différents Fronts et Mouvements pour constater que les mêmes
noms se sont répétés depuis le début du processus.
En fait, c'est au gré des intérêts et des circonstances que
l'on devient Chef, Cadre ou Combattant5. Un Chef de Front ou de
Mouvement peut ainsi se « rabaisser » au statut de Combattant
lorsqu'il s'agit d'empocher des sommes d'argent importantes. De même, un
Combattant peut être auréolé du statut de « Cadre
» ou « Chef » lorsqu'on décide de lui faire
bénéficier de certains avantages.
Une autre revendication, cette fois-ci pour les Chefs,
était l'élaboration du statut pour ex-
Chefs de rébellion ou de mouvement d'autodéfense
afin de « leurfaciliter les rapports de travail avec les
représentants de l'Etats à tous les niveaux et déterminer
un statut leur permettant une vie décente
»6. Il s'agit là d'une revendication
inédite et qui va certainement au delà des clauses des Accords de
Paix. Les Chefs estiment être ignorés officiellement par les
institutions. Le HCRP est la seule institution qui les reconnaît comme
interlocuteurs.
En effet, dans tous les Ministères, un Chef de Front
est un citoyen ordinaire et ne peut être reçu qu'en cette
qualité. Or, les Chefs estiment être des «
autorités »7. Et pour cette
raison, ils revendiquent un statut qui leur permette d'accéder à
toutes les institutions en cette qualité. Dans une note adressée
au Chef de l'Etat en date du 12 juin 2007, les Chefs de Fronts et Mouvements
1 HCRP, Traitement de la question des
Cadres...op cit, p. 1.
2 Ibid.
3 Lettre du FLAA au HCRP, 2006.
4 Ibid.
5 Sur les listes des 250 cadres et des 300 ex-combattants
(initialement destinés aux Société d'Etat)
bénéficiaires des pécules à titre compensatoire, se
trouvaient de nombreux ex-combattants, cadres et chefs occupant
déjà des postes dans les corps de l'Etat.
6 HCRP, Conclusions de la réunion des
Chefs...op cit, juin 2006, p. 1.
7 C'est le mot utilisé par le «commandant» A.
N'Gadé, «Chef d'État-major» du FLAA pendant la
réunion du 15 juin 2006 au HCRP.
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réitéraient également leur revendication
sur « la nomination des responsables des ex-Fronts et de leurs
principaux Cadres »1, question qui était
censée être réglée...
D'autres demandes formulées par l'ex- Rébellion
ont trait à leurs combattants. A ce sujet, les ex-combattants ayant
bénéficié de bourses d'études dans les
écoles professionnelles ont réclamé une intégration
directe dans la Fonction Publique. Ceci n'a pourtant jamais été
prévu dans les Accords de Paix et leurs modalités d'application.
C'est le cas de trente trois (33) «ex-combattants »
diplômés de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA) pour lesquels
les Chefs avaient demandé une intégration directe «
conformément aux accords de paix ». Pour
les ex-combattants intégrés dans les corps militaires et para
militaires, révoqués conformément aux textes en vigueur ou
ayant déserté, les Chefs avaient sollicité «
la réintégration des éléments sur
lesquels desfautes graves ne pèsentpas
2».
En termes clairs, il est demandé aux pouvoirs publics
de faire dérogation aux lois et règlements de l'Etat pour le
traitement des problèmes relatifs aux ex-combattants. Mieux,
l'ex-Rébellion demande que le recrutement des ex-combattants dans les
corps militaires et para militaires soit annuel. Cette requête suppose
l'existence d'un « stock » important d'ex-combattants non encore
intégrés, ce qui est naturellement inexact.
Dans le fond, l'ex-Rébellion cherche à travers
la perpétuation de cette politique clientéliste à
conserver sa capacité distributive, et ainsi continuer à faire
des « bons investissements ». Cette logique
reproductrice est aussi évidente dans la réinsertion
socio-économique des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak
concernant 3 160 éléments. Le Projet Consolidation de la Paix
dans l'Aïr et l'Azawak (PCPAA), censé clôturer ses
activités en 2007 démontre toute la réalité de ce
cercle vicieux autour de la politique de réinsertion. La réunion
du Comité de Pilotage de ce Projet tenue le 17
mars 2008 à Niamey a décidé de l'extension pour une
année supplémentaire du Projet. Deux raisons majeures ont
été invoquées pour justifier cette extension. Il s'agit
d'abord de la nécessité d'impliquer les femmes dans le processus
de réinsertion et de la conception d'un document pour une
deuxième phase.
L'introduction de la composante féminine est
justifiée par l'équipe du Projet en raison « des
problèmes d'identification des bénéficiaires
» lors de l'établissement des listes des
ex-combattants. Il est ainsi indiqué que « les femmes
qui constituent les premières victimes en matière de conflits,
ont été sous-représentées sur les listes des ex-
combattants bénéficiaires des actions du Projet. C'est ainsi que,
sur les 3 160 ex-combattants ayant bénéficié
déjà de la subvention, figurent seulement 156 femmes, soit un
taux de représentativité de 4,93%. On ne compte que huit (8)
coopératives féminines sur les 298 coopératives
d'ex-combattants appuyés par le Projet soit 3,10%
»3.
Quand à la conception d'un document de projet pour une
seconde phase, elle vise à « consolider les acquis de
la première phase du PCPAA à travers la poursuite des
activités de consolidation de la paix et d'amélioration de
lagouvernance locale »4 et à
«promouvoir un développement durable des tones
pastorales touchées par les conflits armés, notamment
l'AïrlAawak, le Kawar et le Manga ». Avec ces deux
nouvelles dimensions, le Projet de réinsertion assure sa propre
reproduction et s'enlisera certainement dans un cercle vicieux.
1 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts,
Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12
juin 2007.
2 HCRP, Conclusions de la réunion des
Chefs...op cit, juin 2006, p. 2.
3 République du Niger, PNUD, (Document de projet
Niger), Consolidation de la Paix dans l'Aïr et
l'ADawak, mars 2007, p. 9.
4 Ibid, p. 14.
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Comment expliquer que c'est seulement douze (12) années
après les Accords de la Paix que l'on se préoccupe du sort des
femmes ? Comment expliquer aussi que la réinsertion
socio-économique se confonde avec le « développement des
zones touchées par le conflit » ? Cette clause est, en effet,
officiellement honorée depuis longtemps1. Cette extension de
la réinsertion traduit une volonté de perpétuer les acquis
de la politique de gestion post conflit. La communauté
d'intérêts entre les acteurs autour de cette question s'explique
par les velléités de rupture radicale du Gouvernement. Il est
paradoxal de constater que ce sont les bailleurs de fonds (PNUD notamment) qui
se montrent plus entreprenants que le Gouvernement lui-même sur des
questions liées à sa propre sécurité.
Ce manque d'intérêt explique pourquoi le
Gouvernement n'a rien prévu dans son budget 2007 pour soutenir la
réinsertion. En ressuscitant la question du développement des
zones touchées par le conflit, ces acteurs s'assurent ainsi du maintien
de la politique ; surtout que le Projet parle explicitement des zones de
l'Aïr, de l'Azawak, du Kawar et du Manga pour éviter la controverse
autour du Programme de Développement de la Zone Pastorale
élaboré en 2000 par le HCRP2.
Ainsi, à travers tous ces processus de reproduction
activés par les acteurs, la politique de réinsertion des
ex-combattants devient un éternel recommencement, un cercle vicieux
savamment entretenu par des acteurs intéressés. Ce processus
d'institutionnalisation révèle des effets ambivalents sur le
système politique en général.
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