Paragraphe 2 : Les mécanismes de résistance
de l'institution
Le cadre institutionnel de la gestion post conflit et la
politique de réinsertion qu'il conduit résistent à la
politique de rupture de l'État non seulement par les stratégies
de survie du HCRP (A), mais aussi par l'engagement des ex-combattants
eux-mêmes à défendre les acquis de la gestion post conflit
(B).
A. Les stratégies de survie du HCRP
Depuis sa création, le HCRP a tenté,
malgré les résistances, de remplir la plénitude de ses
attributions, ou du moins à diversifier ses missions si l'on accepte la
conception réductrice qui le confine au seul dossier de la
rébellion. L'institution s'est beaucoup investie dans la promotion de la
culture de la paix. Plusieurs rencontres intercommunautaires ont
été organisées à travers le pays afin de consolider
la paix et la quiétude sociale. C'est le cas du Forum de Tesker dans
l'est du pays en 2005 pour une coexistence pacifique entre les
différentes communautés de cette localité. Le HCRP a
également tenté de se déployer dans le règlement
des conflits fonciers opposant chaque année agriculteurs et
éleveurs sans grand succès.
Dans le planning de ses activités 2006 et 2007, le HCRP
prévoit dans le cadre de l'accomplissement de sa mission des actions
comme la résolution des conflits intercommunautaires liés
à la gestion des ressources naturelles, les sensibilisations des
élus locaux sur la gestion et la prévention des conflits, la
multiplication des manuels scolaires sur la culture de la paix, des ateliers de
formation des inspecteurs de l'enseignement primaires, etc. En
réalité,
1 C'est-à-dire les processus de cantonnement,
désarmement et réinsertion avec tous les abus qui en ont
résulté, notamment la manipulation des effectifs par
l'ex-rébellion, le coût exorbitant du processus etc.
2 Cette appréhension est d'autant plus justifiée
que le MNJ n'est pas un groupe homogène. A côté des
ex-rebelles touaregs, il y aurait des anciens militaires fidèles au
président Baré, des trafiquants et bandits opérant dans le
Sahara etc.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'institution cherche à élargir son champ
d'action, à se créer une raison d'exister dans la mesure
où les options du Chef de l'Etat sur la politique de réinsertion
indiquent une volonté de rupture.
Cependant, ces tentatives de diversification de ses missions
furent bloquées par l'absence de financement. C'est seulement en 2006
que l'institution a pu marquer un tournant décisif avec son implication
dans le traitement de l'insécurité au nord Tillabéri. Ce
conflit meurtrier opposant éleveurs peulh nigériens et
éleveurs touaregs maliens le long de la frontière était
jusqu'ici géré par le ministère de l'Intérieur. Le
HCRP organisa du 17 au 18 mars 2007, à Tillabéri au Niger, un
Forum sur l'insécurité transfrontalière et le Pastoralisme
avec la partie malienne.
Mieux, le HCRP a lancé en septembre 2007 sous sa
tutelle un Projet Pilote d'Appui à la Transhumance
Transfrontalière (PAGTT) entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso pour
une période de dix huit (18) mois. Ce projet a pour objectif global la
sauvegarde et l'accroissement de la production pastorale au Sahel1.
De manière plus précise, il vise à sécuriser
durablement l'accès aux ressources naturelles aux éleveurs
transhumants dans les zones transfrontalières. Les cadres du HCRP
impliqués dans le projet s'occupent de la composante intitulée
«prévention, gestion des conflits et promotion d'une culture de la
paix »2.
A travers ces deux initiatives, le HCRP élargit ses
compétences au delà de la seule politique de mise en oeuvre des
Accords de Paix en général et de la réinsertion des
ex-combattants en particulier. Mais si cette logique de reproduction donne
à l'institution des raisons objectives d'exister, il n'en demeure pas
moins qu'elle révèle des paradoxes. Le premier paradoxe est
inhérent à l'origine de ces deux initiatives.
En effet, aussi bien pour le problème
d'insécurité au nord Tillabéri que pour le Projet sur la
Transhumance Transfrontalière, l'initiative est venue de
l'extérieur. Pour le premier cas, ce sont les organisations de la
société civile de la zone, à savoir le Conseil des
Eleveurs Nord Tillabéri (CENT) et l'Association pour la Redynamisation
de l'Elevage au Niger (AREN) à travers Dr Gandou Zakara et Boubacar
Diallo qui en étaient les initiateurs. En bons entrepreneurs politiques,
ces derniers avaient saisi le HCRP en réaction à la gestion
purement militaire de ce conflit par le Ministère de l'Intérieur.
Ils ont ainsi trouvé un accueil favorable auprès du HCRP qui se
cherchait une raison d'exister. Une «fenêtre
d'opportunité» était donc ouverte.
Le projet sur la transhumance est issu d'une discussion entre
le Haut Commissaire et le Délégué de la Commission
Européenne en 2006. Le Haut Commissaire sollicitait au début un
appui pour la réinsertion des ex-combattants. Le
Délégué de la Commission Européenne indiqua que son
institution était plus disposée à intervenir dans le
domaine de la transhumance transfrontalière. C'est ainsi donc que
l'idée germa au HCRP d'intégrer cette dimension dans ses
activités3.
Ces deux exemples de reproductions institutionnelles
témoignent de la nature hasardeuse des politiques étatiques en
général et de celles du HCRP en particulier. Ils confirment toute
la complexité de la décision et participent à la
déconstruction du mythe de la rationalité de l'Etat
1 République du Niger (HCRP/MEF), U. E.,
Etude d'identification d'un projet d'appui à la gestion de la
transhumance dans les nones transfrontalières du Niger (phase 1 : Mali,
Burkina Faso), décembre 2006.
2 Le Secrétaire Général du HCRP est
coordonnateur du Projet, le Chef du Service Financier en est le
gestionnaire-comptable et le DAES/C, l'expert en matière de conflits. Un
des Secrétaires du HCRP est également recruté dans la
cellule de gestion du Projet qui est logée dans les locaux du HCRP.
3 Pourtant, dans tous les documents officiels, il est
écrit que c'est sur instruction du Chef de l'Etat que l'étude sur
l'insécurité transfrontalière a été
lancée...
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
que la science politique doit à Hegel et M. Weber. Ce
processus décisionnel est mieux appréhendé par le
modèle développé par John Kindgon qui remet en cause le
modèle séquentielle.
Dans notre contexte, il apparaît donc que l'intervention
du HCRP sur ces deux questions (transhumance, insécurité nord
Tillabéri) n'est nullement une politique pensée par l'institution
elle-même. Le HCRP s'appropriait et exécutait des priorités
définies par d'autres institutions. De ce point de vue, ces
interventions procèdent plutôt de processus parallèles et
autonomes ayant conduit au couplage entre trois
courants : les problèmes (insécurité), les solutions
(CENT, AREN, Union Européenne) et la politique (HCRP).
Le deuxième paradoxe de cette dynamique de reproduction
est lié à son impact. Le projet sur la transhumance a permis
à l'institution, certes, d'améliorer sa situation
financière et matérielle, mais aussi, il a contribué
à affaiblir sa capacité institutionnelle. Cette capacité
de l'institution était mise à rude épreuve avec une
érosion des relations professionnelles entre les agents du HCRP
impliqués dans l'équipe du projet et les autres agents, lesquels
ont développé un sentiment de frustration.
L'avènement de ce projet a «
créé un climat de travail malsain»
selon le mot d'un cadre du HCRP. Les agents non impliqués dans la
cellule du projet estimaient que celui-ci était taillé sur mesure
pour des considérations matérielles et se plaignaient de
«l'opacité» qui entoure son
management. Ces effets pervers ont quelque peu ralenti l'élan du HCRP
par rapport à sa mission en matière de gestion conflit, puisque
c'étaient justement les chevilles ouvrières de l'institution qui
s'occupaient de la cellule de gestion du projet1.
Deux « clans» se sont ainsi constitués au
HCRP autour de ces enjeux : celui des cadres membres de la cellule de gestion
du projet et celui des autres agents. Les relations étaient devenues
plus étroites et soudées entre les membres de la cellule du
projet, créant du coup une distance avec les autres agents. Ces
incompréhensions se sont manifestées jusque dans les taches les
plus élémentaires de l'administration (enregistrement de
courrier, livraison de lettres etc.)2. Ainsi, tout en
renforçant les capacités matérielles et financières
du HCRP3, le projet a aussi affaibli à un moment donné
cette institution au plan des rapports humains.
Au-delà de cela, il faut relever que la diversification
des attributions du HCRP révèle un dilemme pour les cadres de
l'institution. Ces derniers ont d'abord le souci de défendre leur «
mandat » en démontrant que le HCRP a achevé sa mission
d'application des Accords de paix. Tous les documents de l'institution
répètent que la réinsertion socio-économique des
ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak (censée finir en 2008)
était la dernière phase de la politique de réinsertion en
particulier et du processus de paix en général.
Mais ce bilan positif est aujourd'hui contrarié par le
discours du MNJ qui considère la gestion post conflit comme un
échec. Ce que conteste Mr Chipkaou Oumarou qui affirme : «
Le MNJ nous a poignardé dans le dos. Le HCRP envisageait de
se déployer sur d'autres champs, notamment sur les
1 Les quatre cadres du HCRP membres de l'équipe du
Projet bénéficient des indemnités en argent et en nature
qu'ils cumulent avec tous leurs avantages au titre du HCRP.
2 Par exemple, le planton refusait de livrer le courrier du
Projet prétextant qu'il n'est payé que par le HCRP, le Projet ne
lui donne rien. Il en est de même pour la Secrétaire qui refuse de
toucher à tout travail du Projet. Les membres de l'équipe du
Projet font appel en cas de besoin au concours des Appelés du Service
Civique, dont nous même.
3 Le Projet a mis à la disposition du HCRP un
véhicule 4X4, des ordinateurs et lui fournit régulièrement
du carburant.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
actions de développement dans les tones
à risque et la promotion de la culture de la paix. Le MNJ est venu comme
un désaveu, une négation de toutes les actions que le HCRP a
menées depuis sa création »1.
C'est pourquoi, depuis que le HCRP a été
dessaisi du dossier MNJ par le Chef de l'Etat, les actions de l'institution
s'inscrivent uniquement dans le parachèvement des Accords de Paix
antérieurs, c'est-à-dire ignorant l'existence du MNJ, comme si de
rien n'était... C'est le sens que Mr Omar Sanda, Conseiller Technique au
HCRP, donne au projet d'extension du Projet Aïr/Azawak :
«Notre politique actuelle consiste à ignorer le MNJ. Il
s'agit pour nous de poursuivre les actions de réinsertion des 3160
ex-combattants de l'Aïr/Aatvak conformément aux engagements pris
par le Gouvernement 2». Mais tout en se souciant
de leur bilan, les cadres de l'institution aspirent en même temps
à préserver le HCRP pour des considérations
«corporatistes ».
Le rattachement du HCRP à la Présidence de la
République fait des agents de l'institution des
privilégiés par rapport aux agents des autres ministères.
Outre le fait symbolique de la valorisation sociale du statut d'agent de la
Présidence de la République, le personnel de cette haute
institution bénéficie de nombreuses gratifications
matérielles et financières. La suppression du HCRP
entraînerait le redéploiement de ses cadres dans leurs
ministères d'origine et donc, consacrerait la fin des privilèges.
En plus, aucun des agents de l'institution ne peut espérer obtenir un
poste plus « juteux » que celui qu'il occupe au HCRP avec l'emprise
des partis politiques sur la haute administration3.
Les cadres du HCRP sont les premiers militants de la
préservation du cadre institutionnel de la gestion post conflit et, en
conséquence, de la politique de discrimination positive qu'il symbolise.
Les ex-combattants partagent les mêmes intérêts pour le
maintien du HCRP, mais sont très réservés sur la nouvelle
orientation que les cadres veulent donner à l'institution. Les
ex-combattants estiment que le HCRP est très loin d'avoir achevé
sa mission de gestion post conflit au point de songer à se
déployer sur d'autres champs. Ceci explique l'inflation de leurs
revendications.
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