B. Le changement des choix politiques
Les développements précédents
suggèrent bien que la gestion post conflit est devenue un
véritable secteur d'action publique tel que le
conçoit l'analyse des politiques publiques3. Si la politique
de réinsertion et le cadre institutionnel de sa mise en oeuvre
apparaissent comme des contraintes, il n'en demeure pas moins que l'Etat
déploie des stratégies de rupture qui indiquent
1 Entretien à Niamey, avril 2006.
2 Par exemple, interpellés sur le recrutement sans
concours des ex-combattants, le réflexe de tous les ministres de la
Fonction Publique depuis 2000 a été de répondre qu'il
s'agit d'une clause des Accords de Paix, ils ne font qu'appliquer la « loi
». C'est donc une question purement administrative qui n'est pas sujette
à discussion.
3 Pierre Muller distingue trois dimensions constitutives d'un
secteur de politiques publiques : l'existence d'acteurs exprimant des
intérêts spécifiques (les ex-combattants),
l'émergence d'un cadre institutionnel (le HCRP) et la dimension
cognitive qui exprime la vision des acteurs (les perceptions des
ex-combattants). Cf Pierre Muller, « Secteur » in Laurie Boussaguet
et al, op cit, pp. 407-414.
92
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
une volonté de changement. L'explication de ce
changement de cap déborde les limites de la présente
étude.
On retiendra simplement qu'il s'inscrit dans une vaste
politique de diversification des partenaires stratégiques engagée
par le président Mamadou Tandja dont les enjeux sont liés
à l'exploitation des ressources minières. Cette politique de
rupture se traduit notamment par l'abolition du quasi-monopole français
en la matière et une plus grande implication de nouveaux partenaires
dont la Chine prin cipalement1. Une telle politique exige donc de la
fermeté vis-à-vis des dissidents Touaregs accusés
d'être instrumentalisés par la France et la Libye2.
Deux indicateurs principaux et intimement imbriqués
permettent d'accréditer l'hypothèse de changement de la politique
de réinsertion. Il s'agit d'abord de la tendance à la
marginalisation du HCRP qui procède d'un choix politique de rupture avec
les options antérieures en matière de gestion post conflit. Ce
changement de cap politique se traduit ensuite dans le choix de l'option
militaire face à la rébellion du MNJ.
A travers la destruction graduelle du HCRP, la logique de
perpétuation des acquis de la discrimination positive autour desquels se
sont cristallisés les intérêts des ex-combattants se trouve
ainsi menacée. La marginalisation du HCRP se mesure par une lecture
simpliste et réductrice de ses attributions, et par l'affaiblissement de
sa capacité institutionnelle. Réduite à un rôle
d'institution de mission, le HCRP est de facto dessaisi de certaines de ses
autres attributions que sont, entre autres, la recherche et la consolidation de
l'unité nationale, le raffermissement de la paix sociale etc.
Les réactions du HCRP pour rentrer dans la
plénitude de ses attributions se sont souvent heurtées à
des résistances diffuses mais farouches3. Déjà
en 1995, les cadres du HCRP ont vainement tenté de faire intervenir
l'institution dans la gestion du conflit institutionnel et politique né
de la Cohabitation ; ce qui aurait certainement modifié la perception de
l'opinion publique sur les missions du HCRP. De par son rattachement à
la Présidence de la République, le HCRP ne pouvait être
perçu comme une institution neutre et au dessus des
considérations partisanes.
Cette perception du HCRP comme la main du Chef de l'Etat
résulte de son rôle dans le règlement de la
rébellion armée où cet organe a été
contesté au début par les rebelles touaregs. Ces derniers ont en
effet considéré le HCRP comme une institution partisane incapable
de se placer au dessus de la mêlée. Soumana Souley en
témoigne : « Cet état d'esprit s'est
installé et cristallisé; ainsi transposé aux crises
politiques qui ont défrayé la chronique en 1995-1996 pendant la
cohabitation, il est évident que le Haut Commissariat ne pouvait pas
dès lors se déployer sur le terrain de la
gestion
1 La Chine a lancé le 27 octobre 2008 la construction
d'une raffinerie de pétrole à Zinder qui aura une capacité
de 20 000 barils/jour. Le bloc d'Agadem d'où la raffinerie sera
alimentée dispose d'une réserve estimée à 328
millions de barils et 10 milliards de m3 de gaz. Cf Le republicain
n°849 du 30 octobre au 5 novembre 2008, p. 9.
2 En 2007, le président Mamadou Tandja a accusé
le Libye et Areva d'être derrière la rébellion du MNJ. Le
DG de Areva Niger et son Attaché en Sécurité furent
expulsés du territoire nigérien en juillet 2007. Les rapports
avec Areva se sont depuis normalisés avec la reconduction du partenariat
minier entre les deux parties le 13 janvier 2009 qui s'est traduit par une
revalorisation du prix de l'uranium.
3 A titre d'exemple, en 2007 le ministère de
l'Intérieur n'a pas apprécié l'implication du HCRP dans le
règlement du problème d'insécurité au nord
Tillabéri qu'il estime comme relevant de ses seules attributions. Il l'a
fait savoir dans une lettre adressée au HCRP. Ce conflit meurtrier
oppose les éleveurs peulhs du Niger aux touaregs maliens le long de la
frontière commune. Le Ministère de la Défense Nationale,
pour sa part, boycottait les réunions tenues sur cette question au
HCRP.
93
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
des tensions politiques alors même que
l'article premier de son décret de création lui ouvrait ce
terrain de par la consolidation de l'unité nationale et de
l'a~~ermissement de la paix sociale »1.
Aussi, plusieurs autres mécanismes de gestion des
conflits sont nés avec le temps selon les domaines. C'est ainsi qu'un
Conseil National de Dialogue Politique a
été institué en 2004 pour le règlement des conflits
à caractère politique. C'est également le cas de la
Commission Nationale du Dialogue Social pour la
gestion des conflits entre l'Etat et les partenaires sociaux, du
Secrétariat Permanent du Code Rural pour les
conflits agriculteurs/éleveurs etc. Toutes ces institutions occupent
aujourd'hui des terrains dans lesquels le HCRP ne peut intervenir.
La politique de rupture se laisse voir depuis quelques
années à travers l'affaiblissement de la capacité
institutionnelle du HCRP. Cette institution a vu ses moyens d'actions en termes
de ressources humaines, matérielles et financières, s'amenuiser
d'année en année, à telle enseigne que l'institution n'est
plus en mesure aujourd'hui d'assumer pleinement sa mission.
D'abord, cette politique a consisté en la suppression
de certains postes comme l'Attaché militaire, l'Attaché de
Presse, la Cellule d'Appui, etc. En plus, les vacances de postes ne donnent pas
lieu à des remplacements, histoire d'étouffer l'institution par
extinction. C'est ainsi que le poste de Directeur des Affaires Juridiques et
Politiques (DAPJ), malgré sa place stratégique dans le dispositif
institutionnel, est resté vacant pendant cinq (5) ans (2002-2007). Le
poste de Conseiller Technique du HCRP est également resté vacant
toute l'année 2007, l'année de naissance du MNJ...
Depuis sa création, certains de ses mécanismes
n'ont jamais été mis en place, comme par exemple, la
Commission de Restauration de la Paix et de la Consolidation de
l'Unité Nationale. Cette commission est placée sous
la présidence du Haut Commissaire et est composée au terme de
l'article 7 de l'arrêté n°005/PRN du 24 février 1994
« de personnalités représentatives de la
société civile issues de toutes les régions du pays
». Elle était censée assister le HCRP dans sa
mission à travers un modèle participatif.
Aussi, dans les dispositions déterminant l'organisation
interne du HCRP, notamment en ce qui concerne les Attributions des
Départements des Affaires Juridiques et Politiques (DAPJ) et des
Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C), il est prévu
certains services techniques comme celui des Affaires Politiques, des Affaires
Sociales censés renforcer la capacité institutionnelle de
l'Institution, mais ces services n'ont jamais existé dans la
réalité2.
Toutes les tentatives de l'institution pour s'adapter à
son environnement et améliorer la qualité de son travail se sont
heurtées à des rejets complets. Depuis quelques années
déjà, le HCRP a soumis au Secrétariat
Général du Gouvernement un ambitieux projet de réforme
institutionnelle qui prévoit, entre autres, des postes de Chargés
de Missions dans les zones sensibles, un Service de la Documentation, un
Chargé des Relations Publiques3.
Cet input n'a donné lieu
à ce jour à aucune réponse malgré l'insistance du
Haut Commissaire en 2006 et 2007. Il s'agissait dans ces réformes de
corriger certaines incohérences juridiques et administratives. Comme on
l'a noté, il existe des services existant dans les textes,
1 Soumana Souley, Le processus de paix au
Niger, op cit, p. 3.
2 Il en est ainsi du Service des Etudes et de la Documentation
prévu dans l'Arrêté N°005/PRN du 24 février
1994 portant organisation et fonctionnement du HCRP en son article 3.
3 HCRP, Rapport de présentation du projet
de décret portant organisation du HCRP et du projet
d'arrêté~ixant les avantages à allouer à certains
agents du HCRP, 2007.
94
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
mais qui n'ont jamais vu le jour et des services ayant une
existence de facto, c'est-à-dire existant dans la réalité
sans être prévus par les textes1.
D'autres incohérences ont trait aux textes. Par
exemple, le décret n°94/105/PRN du 22 juin 1994 fixant les
avantages alloués à certains responsables du HCRP cite le
décret n°93/160/PRN du 12 novembre 1993 portant création
d'une Commission de Restauration de la Paix (CRP),
alors même que ce dernier décret a été
expressément abrogé par le décret n°94/007 du 14
janvier 1994 portant création du HCRP en son article 7.
La politique d'extinction du HCRP s'apprécie aussi
éloquemment à travers la baisse drastique de son budget. Le
budget de l'institution est passé de 40 millions en 2005 à 25
millions en 2006 alors que même le HCRP budgétisait ses
activités en 20062 à 326 millions, soit un
écart de 301 millions ! Un indicateur aussi éloquent de la
rupture d'option entre le Chef de l'Etat et le HCRP est l'écart profond
entre le projet de discours que l'institution propose à l'occasion de la
Fête de la Concorde et le discours final lu par le Chef de
l'Etat.3 De plus en plus, en effet, le projet de discours du HCRP
est vidé de sa substance à la Présidence de la
République en ce qui concerne l'appréciation du HCRP sur le
processus de paix.
Autre preuve du désintérêt de la
Présidence envers le HCRP : en janvier 2008, le personnel de
l'institution a même failli être oublié par le protocole de
la Présidence pour la présentation des voeux de nouvel an au Chef
de l'État. Cette politique hostile de l'Etat vis-à-vis du HCRP
n'est que le reflet de la nouvelle conception de la politique de
réinsertion des ex-combattants des autorités politiques.
Au-delà de la lecture réductrice des
attributions de l'institution, cette attitude procède d'une logique de
rupture in crémentale, de changement de cap dans la conduite de la
réinsertion dont la terminaison brutale s'avère impossible. Ceci
permet de nuancer l'effet de la path dépendance
en matière de possibilité de changement. Bruno
Palier et Giuliano Bonoli attirent l'attention sur le fait que des changements
fondamentaux peuvent être induits, même «
derrière une stabilité de surface
»4. Autrement dit, les élites politiques
ne sont pas toujours prisonnières des choix antérieurs.
Depuis 2007, avec la gestion de la nouvelle rébellion
du MNJ, la politique de rupture s'est radicalisée. Le Chef de l'Etat a
rejeté un plan de négociation soumis par le HCRP en 2007 et
opté en faveur de l'option militaire. Le gouvernement nigérien
refuse toujours la qualité de rébellion au MNJ. En plus, dans les
tentatives de négociation et de dialogue tacites avec les rebelles, le
Gouvernement a carrément écarté le HCRP au profit des
personnalités dites personnes ressources (députés de la
région d'Agadez, chefs traditionnels, etc.).
Cette politique de path shifting
s'observe également dans le traitement des combattants du MNJ ayant
accepté de déposer les armes. Contrairement au processus
antérieurs de réinsertion, ces derniers sont directement
reçus à la Présidence de la République où
ils bénéficient de sommes d'argent en échange de leur
« acte patriotique ». La volonté
politique est claire, il s'agit d'éviter les
1 Il en est ainsi du Service Financier du HCRP qui n'a aucune
existence juridique.
2 HCRP, Planning d'activités du HCRP
2006, décembre 2005
3 Chaque année, c'est le HCRP qui propose au Chef de
l'Etat le discours du 24 avril.
4 Bruno Palier, Guiliano Bonoli, op cit, p.408. Voir
également sur les limites de la path
dependence, Dénis Saint Martin, «Apprentissage social
et changement institutionnel : la politique de `l'investissement dans
l'enfance' au Canada et en Grande Bretagne » in Politique et
Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 41-67.
95
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
« erreurs du passé
»1 en refusant toute perspective de signature
d'un accord additionnel. Ainsi, la réinsertion des ex-combattants du MNJ
par le HCRP risquerait d'être un cercle vicieux, d'autant plus qu'il
existe le risque de dissension au sein du cette rébellion ; ce qui
conduirait éventuellement à la reprise des hostilités par
des factions dissidentes et la conclusion de protocoles d'accords
interminables2. Bref, le même scénario des
années 90 risquerait de se répéter.
Le HCRP est soupçonné de vouloir maintenir le
cercle vicieux autour de la gestion post conflit. D'ailleurs, la signature en
Libye d'un protocole d'accord avec le MNJ est la troisième étape
du plan de négociation que le HCRP a soumis au président Tandja.
Le refus du Gouvernement de négocier peut donc être
interprété comme une volonté politique de tourner la
page. Le Gouvernement nigérien a ainsi depuis
2007 engagé une nouvelle dynamique en matière de gestion du
problème touareg en général censée dépasser
le cercle vicieux créé par l'expérience
antérieure.
Le HCRP, institution perçue comme le principal «
reproducteur » de cette politique de réinsertion, ne peut que faire
les frais de cette nouvelle option politique. Mais l'institution ne reste pas
inactive, elle déploie des résistances farouches pour survivre
dans cet environnement hostile.
|