B. Les relations avec les autres institutions
Dans le cadre de l'exécution de la politique de
réinsertion des ex-combattants, le HCRP entretient de relations
fonctionnelles avec plusieurs institutions et ministères
concernés. L'organisation de l'institution sur le modèle des
ministères ne donne à celle-ci aucune prééminence
sur ces derniers. Elle suggère plutôt des rapports de pure
coopération. Mais malgré l'absence de pouvoir hiérarchique
sur le plan institutionnel, le HCRP dispose de certains atouts qui lui
confèrent un pouvoir d'influence sur les ministères.
Au lendemain des Accords de Paix, les mécanismes
interministériels ad hoc mis en place plaçaient le HCRP au coeur
du processus de paix. En matière de réinsertion des
ex-combattants, le HCRP présidait le Comité
Spécial de Paix (CSP) en 1995 et la Commission
chargée de l'intégration et de la réinsertion
socio-économique des ex-combattants mise en place en 1997.
Il était également représenté dans tous les autres
mécanismes mis en place à cet effet. A partir de la Flamme de la
Paix, ces mécanismes ont disparu.
Le HCRP est resté ainsi la seule institution
compétente en matière de suivi de la politique de
réinsertion des ex-combattants. Les rapports que l'institution
entretient avec les autres ministères portent essentiellement sur le
traitement des ex-combattants bénéficiaires de
l'intégration. Le HCRP est seul à détenir les
données relatives aux Fronts et Mouvements, notamment l'identité
des ex-combattants, leur structure d'appartenance, leurs attentes en
matière de réinsertion etc.
Ainsi, s'agissant des ex-combattants à
réintégrer dans leurs corps d'origine (Société
d'Etat, Fonction Publique, etc.), c'est le HCRP qui certifie à travers
des correspondances officielles que les concernés sont effectivement
ex-combattants et soumet leurs dossiers à l'institution
concernée. Il en est de même pour les intégrations
où, en fonction des besoins exprimés par les différentes
institutions, le HCRP introduit les dossiers de recrutement des ex-combattants.
Si le traitement de ces cas s'est passé sans heurt, certaines questions
assez complexes ont entraîné des incompréhensions entre le
HCRP et certaines structures. Et avec les conflits de compétence ainsi
générés, chaque institution déploie ses ressources
politiques pour s'affirmer et défendre ses principes.
Plusieurs cas permettent d'illustrer cette
réalité. On peut citer celui des « transferts de grades
» au sein des Forces de Défense et de Sécurité (FDS).
Il s'agit des grades d'officiers ou sous-officiers alloués à
chaque structure en fonction de son quota. Et il arrive que ces postes soient
vacants en cas, par exemple, de démission ou de révocation du
candidat au grade désigné par sa structure et remplissant les
critères d'admission.
Dans ces cas, les responsables de la structure
concernée sollicitent la médiation du HCRP pour obtenir le
transfert du grade en question au profit d'un autre ex-combattant qu'elle aura
désigné. Il existe un deuxième type de transfert de grade
qui se passe d'un corps à un autre. Par exemple, le transfert d'un grade
de lieutenant de la Gendarmerie Nationale au FNIS, ou vice-versa. C'est ainsi
qu'en 2007, un ex-combattant de la Milice Arabe devant bénéficier
d'un poste d'officier dans la Gendarmerie Nationale « s'est vu
refusé cette faveur par suite d'indiscipline lors d'un
stage
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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de formation d'officier
»1. La Milice Arabe avait sollicité que
ledit poste, « étant un acquis »,
soit transféré dans le corps des FNIS au profit d'un autre
ex-combattant de la Milice intégré dans ce corps.
Sur ces questions délicates qui dérogent aux
normes établies, les ministères concernés résistent
en faisant valoir les textes en vigueur. C'est le cas en février 2000,
d'un ex-combattant dont le HCRP a demandé l'inscription au Lycée
kassai de Niamey. Le Ministère de l'Education Nationale rejeta la
demande en faisant valoir que l'intéressé, ayant
déjà redoublé une fois, ne peut plus s'inscrire dans un
lycée public conformément aux textes en vigueur2.
Souvent, face aux résistances des ministères, le
HCRP fait intervenir un de ses atouts majeurs à savoir, son rattachement
à la Présidence de la République. C'est ainsi qu'en 2007,
deux officiers intégrés l'un dans les FAN et l'autre dans la
Gendarmerie Nationale ayant tous les deux écopé de sanctions dans
leurs corps respectifs, ont demandé l'intervention du HCRP pour obtenir
une «grâce »3.
L'institution adressa une « demande de grâce
» « à titre humanitaire
» directement au Chef de l'Etat. Une telle démarche
ne serait certainement pas recevable au Ministère de la Défense
Nationale ou à l'Etat-major des FAN.
En réalité, lorsque les problèmes
touchent aux FDS, les chances sont toujours minces que le Chef de l'Etat
intervienne. Militaire lui-même, le président Mamadou Tandja s'est
montré très réticent sur ces questions, et en cela, moins
entreprenant que son prédécesseur Ibrahim Baré Mainassara
que les ex-combattants regrettent beaucoup d'ailleurs. Il est très
difficile pour le Chef de l'État de braver le règlement militaire
dans un pays où l'armée continue à jouer un rôle
politique important.
Une autre forme d'intervention du HCRP pour les ex-combattants
a consisté à plaider en leur faveur pour l'obtention de certaines
prestations. Par exemple, à maintes reprises, le HCRP écrit au
Ministère du Tourisme pour solliciter la délivrance au profit
d'un ex-combattant d'une autorisation de création d'agence de voyage
dans la région d'Agadez. C'est le cas aussi des demandes de port d'armes
à feu. Suite à la réunion du Comité de
Pilotage des 22 et 23 avril 1998, il fut décidé de
permettre aux ex-combattants, selon des conditions pré
cises4, de porter des armes à feu.A cet effet, le HCRP a
introduit toutes les demandes de port d'arme des candidats auprès du
Ministère de l'Intérieur.
Ces différentes interventions du HCRP pour
régler certaines difficultés nées de la réinsertion
s'expliquent par le fait que les autres institutions ignorent dans leur logique
la politique de deux poids deux mesures issue des Accords de Paix. Pour
utiliser le langage systémique, on dira que ces institutions sont des
entités autoréférentielles (N.
Luhmann) qui rejettent toute demande étrangère aux normes du
système. Pour le Ministère de la Défense par exemple, le
cas d'un ex-combattant sanctionné selon les textes en vigueur dans les
FAN n'est pas un problème politique, voire une menace pour le processus
de paix. Il s'agit plutôt d'un cas d'indiscipline ordinaire qui
1 Ce sont les termes utilisés par le HCRP dans sa lettre
adressée au Chef de l'État à cet effet.
2 MEN, Lettre N°0342/MEN/DESG du 9 mars 2000.
3 Le premier relevant de la Gendarmerie Nationale a
écopé de « 60 jours d'arrêt de rigueur et
6 mois de mise en non activité » ; le deuxième
est sous-officier des FAN et a écopé « de 60
jours d'arrêt de rigueur suivi d'un an de mise en non activité
avec effacement au tableau d'avancement».
4 Il s'agit de « trois autorisations de port
d'armes par Front, Mouvement ou ComitéCes autorisations seront
délivrées par le Ministère de l'Intérieur et de
l'Aménagement du Territoire à titre provisoire pour une
durée d'une année et concerneront uniquement les armes de poing
(PA » in HCRP, Procès-verbal du
Comité Technique de la réunion préparatoire du
Comité de Pilotage, 6 janvier 1998, p. 5.
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doit être traité conformément aux textes
en vigueur. Cette réaction institutionnelle contraste avec la logique du
HCRP qui se charge de traduire ces problèmes dans un langage politique,
condition indispensable pour leur admission dans l'agenda institutionnel.
Une autre illustration est celle de quatre (4) ex-combattants
inscrits à l'Université de Niamey. Ces derniers avaient
sollicité l'intervention du HCRP afin de s'inscrire à
l'Université de Ouagadougou au Burkina Faso en bénéficiant
du statut de réfugiés politiques. Le Haut Commissaire adressa une
lettre à la Présidence de la dite Université pour
introduire leur candidature. Ces étudiants se plaignaient de
l'instabilité qui paralyse les années universitaires à
Niamey. Il est bien clair qu'une telle demande serait bloquée par
les gate keepers (filtres) du «
système » du Ministère de
l'Enseignement supérieur.
En général, les rapports entre le HCRP et les
autres institutions de l'Etat n'ont pas été influencés
outre mesure par l'inégalité consacrée par l'organisation
institutionnelle. Même si le HCRP, en tant que prolongement de la
Présidence de la République, bénéficie d'une
autorité supérieure sur certaines institutions,
l'expérience a montré que chaque institution déploie des
mécanismes de résistances en faisant valoir les textes qui la
régissent. L'analyse des relations de pouvoir entre les ex-combattants
confirme aussi la capacité des acteurs à résister aux
inégalités induites par les institutions.
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