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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

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par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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B. Les contraintes géographiques et linguistiques

Les institutions se présentent comme une contrainte et un facteur structurant des comportements des acteurs dans leur dimension informelle. Cette capacité des normes informelles à modeler les attitudes et comportements peut s'apprécier à travers l'impact de la situation géographique du HCRP et le rôle de la langue de travail. L'implantation du HCRP dans la capitale, outre qu'elle répond à des nécessités pratiques, est porteuse d'une valeur symbolique. Contrairement au modèle malien et à l'expérience nigérienne sous la 1ère République, le Niger a créé un HCRP dont les attributions ne font référence à aucune ethnie ou région spécifiques.

Cette démarcation avec toute référence particulariste témoigne une fois encore de la continuité historique, du poids des institutions antérieures qui s'observe dans la nature des institutions de gestion post conflit. Mais le facteur structurant est surtout lié à la distance géographique entre l'institution et la majorité des ex-combattants. Si cette distance a été une opportunité pour les ex-combattants résidant à Niamey, elle apparaît comme une contrainte pour ceux résidant dans les zones reculées.

En plus d'être à des centaines de kilomètres de la capitale, les ex-combattants sont également dispersés non seulement dans les quatre régions (Kawar, Manga, Aïr, Azawak) mais aussi disséminés à l'intérieur de celles-ci. Ce cumul de facteurs objectifs et handicapants amenuise la capacité des ex-combattants à influer sur la politique de réinsertion. Le HCRP ne dispose pas d'antenne régionale ou autre structure déconcentrée chargée de mettre en oeuvre sa politique sur place. Cette situation met les ex-combattants en position de dépendance vis-à-vis de leurs Chefs installés à Niamey.

C'est à ces derniers qu'il appartient par exemple de constituer les listes de leurs éléments candidats à l'intégration ou à la réinsertion socio-économique. Dans certains cas, les listes sont dressées sans tenir compte des ex-combattants résidant dans les zones reculées. C'est ainsi pour la réinsertion socio-économique dans l'Aïr et l'Azawak, les deux cent vingt (220) ex-combattants par Front ou Mouvement ont été déterminés par la direction de chaque structure basée à Niamey. L'instabilité qui caractérise ces listes témoigne des tensions qu'elles soulèvent au sein de ces structures1. Les ex-combattants n'ont jamais manqué une occasion pour demander une déconcentration du HCRP dans les zones touchées par le conflit.

En juillet 1997, les ex-combattants avaient demandé une restructuration du HCRP et une intégration de leurs représentants dans la gestion de cette structure2. Ils l'ont également exprimé avec force pendant le Forum d'Agadez de février 2005 en demandant que le HCRP « transfère carrément ses bureaux à Agade pour permettre aux ex-combattants de s'adresser directement à cette

1 Nous avons été chargé au HCRP en 2006 de tenir le fichier des 3160 ex-combattants de l'Aïr/Azawak. Nous étions à ce titre fréquemment sollicité pour, soit retirer un nom pour le remplacer par un autre, soit pour un ex-combattant de vérifier par lui-même son nom ou celui d'un de ses proches sur la liste etc.

2 Ministère du Plan et de la Privatisation (Cellule Zone pastorale), Rapport d'activités du mois de juillet 1997, p. 6.

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institution »1. En dépit de ces multiples revendications, aucune mesure n'a été prise dans ce sens ou même envisagée par le Gouvernement.

L'impact de cette contrainte géographique a été structurant car elle réduit la marge de manoeuvre des ex-combattants. Certains ont adopté des «comportements de sortie » (exit), d'autres se sont contentés des protestations verbales (voice). Dans le premier cas, les ex-combattants désillusionnés par le processus ont préféré vaguer à d'autres occupations ou émigrer dans les pays voisins. C'est le cas dans l'Aïr et l'Azawak de ceux ayant été programmés pour la réinsertion socio-économique. Ils ont attendu dix (10) ans pour voir leurs projets démarrer.

Dans le deuxième cas, les ex-combattants se sont saisi des rares occasions qui se sont présentées à eux pour exprimer leur mécontentement. Il s'agit en particulier des missions du HCRP dans leurs zones ou de celles des autorités politiques. Certains se sont souvent organisés pour créer une insécurité à travers des attaques armées afin d'attirer l'attention des autorités.

Par ailleurs, la langue du travail, le Français, a été une variable importante dans la structuration des attitudes et comportements des ex-combattants. En effet, pour un ex-combattant, la maîtrise de la langue française est une ressource stratégique. Au contraire, pour l'analphabète, l'usage du Français dans le processus devient une contrainte qui réduit les options à lui offertes. L'ex-combattant analphabète ne peut lire les Accords de Paix, ni les autres documents de travail de sa structure ou de l'Etat, de même qu'il ne peut prétendre à certaines responsabilités, quelque soit son rang dans sa structure. C'est tout le sens de la distinction utilisée par le HCRP entre le « Chef » et le « Responsable » pour qualifier les différents acteurs.

Le premier est le chef de guerre et fondateur de la structure, tandis que le second n'est pas forcément le chef, mais le cadre, « l'évolué » vivant à Niamey et qui représente sa structure dans les réunions avec le HCRP2. Dans les cas où le Chef est analphabète, le responsable arrive avec le temps à le supplanter en termes d'influence dans le processus en raison de son bagage intellectuel. Cette contrainte linguistique amenuise donc le pouvoir du Chef analphabète ainsi que ses combattants étant dans la même situation. Ceci renverse avec le temps les rapports de force au sein de la structure car, en temps de paix, les ressources intellectuelles et éducationnelles supplantent celles liées à la maîtrise du canon.

Au-delà de la rupture d'autorité qu'elle induit au plan interne, la contrainte linguistique et éducationnelle a, à certains égards, changé les rapports de force entre les structures existantes, c'est-à-dire les Fronts et Mouvements. Il est ainsi apparu qu'un Mouvement d'Autodéfense, moins influent qu'un Front en termes de capacité de nuisance, peut mettre en valeur ses ressources intellectuelles pour modifier les rapports de force.

A titre d'illustration, la Milice Peulh de Diffa a été l'une des structures qui a réalisé les meilleurs « investissements ». Mr Saidou Omar Sanda, un de ses responsables, ingénieur en Informatique de formation, est depuis 2008 Conseiller Technique au HCRP, position qui le met au coeur du système décisionnel. Il tient son poste non pas à la puissance de sa structure, mais à son niveau intellectuel et à son expérience en matière de gestion conflit. Très réputé pour son

1 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la région d'Agade~, (synthèse des travaux avec la coordination des ex-combattants), mars 2005 (document non paginé).

2 Pour les FARS par exemple, le Responsable est Ali Sidi Adam, Conseiller à la Présidence de la République, les Chefs de guerre étaient Barka Wardougou et le feu Chahaï Barkaï. Pour le FLAA, le responsable est le «Commandant» Amadou N'Gadé, «Chef d'Etat-major» du Front et propriétaire d'une société de gardiennage à Niamey. Le Chef de Front était Rhissa Ag Boula.

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expertise en informatique, il a pu faire valoir ses compétences à un moment où le HCRP cherchait justement des technocrates.

Dans toutes les autres structures, les Chefs analphabètes se sont contentés de la réinsertion sous forme de pécules ou de postes protocolaires (Chargé de mission, Conseiller etc.) pendant que les autres se sont taillés des portefeuilles ministériels. Le tableau n°5 ci-dessous montre que huit (8) sur les dix sept (17) leaders de ces Fronts et Mouvements n'ont pas fréquenté l'école moderne.

Mais il faut préciser que certains ont effectué des études en Arabe de niveau secondaire ou supérieure en Libye. C'est le cas d'Ali Sidi Adam des FARS. Aussi, certains des Chefs rebelles, à l'exemple du ministre Issiad Ag Kato, ancien « Chef d'État-major » du FPLS, se sont formés après les Accords de Paix.

Tableau n°5 : Les ex-Chefs de Fronts et de Mouvements par niveau d'instruction

Noms et Prénoms

Structure

Niveau d'instruction

Activité actuelle

Mohamed Ikta Abdoulaye

FFL

Etudes secondaires

Lieutenant des Douanes

Hamad Ahmed Halilou

APLN

Études coraniques

Conseiller à la Primature

Alhadi Alhadj

FPLN

Études coraniques

Conseiller à la Présidence

Bilal Islamane

ARLN

Etudes secondaires

Préposé des Douanes

Goumour Ibrahim

MRLN

Études coraniques

Chargé de Mission à la
Présidence

Najim Boujima

CVT

Études coraniques

Activités privées

Ahmed Boubacar

CAD

Études secondaires

Activités privées

Maazou Boukar

Milice Peulh

Études coraniques

Conseiller à la Présidence

Sélim Hamed

Milice Arabe

Etudes secondaires

Député national

Issa Lamine

FDR

Études supérieures

Ministre de la Santé

Ahmed W. Hounouna

MUR

Etudes coraniques

Activités privées

Silimane Hyard

FAR/UFRA

Etudes coraniques

Activités privées

Rhissa Ag Boula

FLAA

Etudes supérieures

En rébellion

Mohamed Anacko

FPLS

Études supérieures

Haut Commissaire
(HCRP)

Mohamed Akotey

FLT

Etudes supérieures

Ministre de
l'Environnement

Ousmane Ismaghril

FAR/ORA

Etudes secondaires

Activités privées

Ali Sidi Adam

FARS

Études coraniques

Conseiller à la Présidence

 

Source : Tableau établi par nous.

Celui-ci a non seulement passé le bac, mais aussi obtenu une licence et une maîtrise en Gestion des Ressources Humaines, puis un Master en Affaires Internationales en France. Lors des réunions de travail au HCRP, les ex-combattants analphabètes, lorsqu'ils sont invités, n'ont pas la possibilité de participer qualitativement aux débats car les documents de travail sont en Français. En général, les débats se déroulent également en Français, surtout lorsque les représentants des bailleurs de fond sont présents. Or, c'est justement pendant ces rencontres que les vraies décisions sont arrêtées.

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Lors de la réunion du Comité de pilotage du Projet Aïr/Azawak du 5 février 2007, c'est après les discussions en plénière que les représentants des ex-combattants se sont isolés pour faire leurs recommandations, en se débrouillant au passage pour les faire rédiger et saisir en Français. La seconde réunion du Comité de Pilotage le 17 mars 2008 (à laquelle nous avons pris part), aurait entraîné le même scénario n'eut été l'intervention du Haut Commissaire Mohamed Anacko, touareg lui-même. Ce dernier s'était efforcé de traduire en tamasheq les débats pour les représentants de la Rébellion présents dans la salle, et restituer en retour leurs points de vue à la plénière.

Ces variables linguistiques et éducationnelles ont des effets structurants dans la mesure où elles déterminent la conception que les acteurs se font de leurs intérêts. Souvent, même lorsque les réunions se font en tamasheq et en haoussa, la substance des débats n'est pas toujours celle que l'on retrouve dans les rapports administratifs officiels. Autrement dit, les rapports de synthèse ne reflètent pas toujours les points de vue exprimés par les ex-combattants dans leurs langues. En juin 2006, pendant la rencontre entre le HCRP et les anciens Chefs rebelles et de Mouvements, l'essentiel des débats se sont déroulés en tamasheq et en haoussa car les ex-combattants étaient majoritaires dans la salle.

Pourtant, au moment de lire la déclaration finale devant les journalistes, certaines des décisions arrêtées ont été délibérément occultées dans le communiqué final. Ainsi, alors que les ex-combattants avaient à l'unanimité conclu à « l'insuffisance des fonds destinés à la réinsertion socio-économique », le communiqué a retenu simplement que « la réunion a évoqué la question de la réinsertion socio-économique »1. En plus, le point relatif au « déplacement des ex-chefs de Fronts ainsi que de leurs biens dans les tones touchées par le conflit »2 a été purement et simplement supprimé, quelques minutes avant la lecture du communiqué.

Toutefois, il existe des cas exceptionnels où les ex-rebelles refusent délibérément d'user du Français même lorsqu'ils le parlent. L'ancien Chef Toubou des FARS, Chahaï Barkaï utilisait un interprète lors des réunions de travail avec les cadres du HCRP alors qu'il parlait bien Français, ce que ses interlocuteurs ne savaient pas. Sans doute s'agit-il d'une autre stratégie de combat[

La reprise en main du processus par les anciens combattants instruits au détriment de leurs frères d'armes analphabètes, la forte dépendance de ces derniers vis-à-vis des premiers sont ainsi des manifestations tangibles de la structuration des situations politiques par les institutions informelles, notamment la langue et le niveau d'instruction.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams