Les institutions se présentent ici comme une limite de
la capacité d'influence des ressortissants sur le processus de mise en
oeuvre de la politique de réinsertion. En rétrécissant la
marge de manoeuvre de ces acteurs, les institutions induisent d'autres
attitudes et comportements. Cette réalité se lit dans les
contraintes que constitue l'administration militaire du HCRP et
également dans la rigidité des normes régissant les
institutions dans lesquelles les ex-combattants ont été
intégrés. Au-delà des significations que la nomination des
militaires à la tête du HCRP a revêtues, l'administration
militaire a rempli certaines fonctions latentes.
Le contexte issu de la signature des Accords de Paix
était marqué par les relations de suspicion et de méfiance
mutuelles entre les parties. Au HCRP, cette situation post conflit a mis
à mal les relations entre le personnel civil et les ex-combattants
directement sortis des maquis. Des incompréhensions entre les deux
parties se sont ainsi soldées par des agressions physiques ou menaces
verbales, toutes choses qui ont créé un contexte de travail
tendu, voire dangereux pour le personnel civil.
Trois agents du HCRP ont fait les frais de ce climat de
psychose. Un d'entre eux fut physiquement agressé par un Cadre de
l'ex-Rébellion dans les locaux du HCRP, les deux autres furent
menacés de mort, dont un avec arme à feu. L'arrivée des
militaires à partir de mai 19961 a permis de mettre en
confiance les agents du HCRP en leur offrant un cadre de travail plus
sécurisé. Cette situation conduit le colonel Laouel Chékou
Koré, (à l'époque chef d'escadron) alors Haut Commissaire,
à placer des sentinelles à l'entrée des locaux.
1 Bien avant la nomination du Chef d'Escadron Laouel C.
Koré, c'est le Chef d'Escadron Yayé Garba qui fut nommé
Conseiller Technique du Haut Commissaire le 25 mars 1996.
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La sécurisation du cadre de travail apparaît ici
non pas comme une cause de l'arrivée des militaires, mais comme une
fonction latente que l'institution militaire remplit pour le HCRP. Si pour les
cadres du HCRP, l'administration militaire est facteur de
sécurité et de sérénité, il n'en est pas de
même pour les ex-rebelles. Pour ces derniers, la gestion des militaires,
en dépit de certains atouts qu'elle présente, apparaît
plutôt comme une contrainte, une limitation de leur pouvoir d'influence.
Ainsi, le dispositif militaire dans les locaux de l'institution a eu un impact
dissuasif sur les ex-combattants. Les comportements violents ont cessé
avec le temps au profit des rapports plus empreints de compréhension et
de civilité.
De ce point de vue, l'administration militaire a eu une
incidence sur les attitudes et les comportements des acteurs, notamment les
ex-combattants. Cette incidence a été ainsi structurante car
l'administration militaire a changé le contexte et les options qui y
étaient disponibles. Une action violente, verbale ou physique, de la
part des ex-combattants envers le personnel entraînerait certainement des
mesures de représailles immédiates de la part des militaires. La
prise en compte de ce changement de données conduit à un
changement d'attitude et de comportement.
L'institution fournit donc une information aux acteurs quand
aux conséquences de leurs actes, c'est-à-dire les
réactions possibles qui peuvent en résulter. Cette
réalité confirme la vertu structurante des institutions. Pour
Peter Hall et Rosemary Taylor, en effet, « le point central
est qu'elles (institutions) a~~ectent les comportements des individus en jouant
sur les attentes d'un acteur donné concernant les actions que les autres
acteurs sont susceptibles d'accomplir en réaction à ses propres
actions ou même en même temps qu'elles
»1.
Une autre dimension de l'impact militaire sur les
comportements est la rigidité et la fermeté des officiers quand
au respect de certains principes. Très peu prédisposés
à transiger sur les principes (contrairement aux civils), les militaires
se sont surtout distingués par leur conception stricte des Accords de
Paix. Beaucoup de demandes des ex-combattants manifestement en marge des
clauses des Accords de Paix se sont heurtées au refus catégorique
des militaires. C'est le cas des problèmes nés de
l'intégration des ex-combattants dans les corps militaires et para
militaires.
Les demandes des ex-combattants en faveur d'une
réintégration des éléments déserteurs ou
révoqués n'ont été admises dans l'agenda du HCRP
qu'en 2006 avec l'avènement d'une administration civile. Les normes
régissant les institutions d'accueil des ex-combattants
intégrés ont produit les mêmes contraintes et induit des
attitudes et des comportements. Comme nous l'avons souligné, les Accords
de Paix n'ont pas consacré une rupture totale avec les institutions
antérieures.
Les conditions d'accès dans les différents corps
de l'Etat n'ont pas substantiellement changé, à l'exception bien
sûr, du fait que les ex-combattants sont dispensés de passer les
concours d'entrée, là où cela était exigé.
Dans l'esprit des Accords de Paix, les ex-combattants intégrés ne
sont pas censés, en vertu de leur situation, bénéficier
d'un traitement particulier. Une fois admis dans la Fonction Publique par
exemple, l'ex-combattant est censé être régi par les
mêmes textes que les autres fonctionnaires travaillant dans ce même
corps. Il en est de même dans toutes les institutions.
En général, l'adaptation au nouvel emploi s'est
faite sans heurt dans les corps civils. C'est surtout au sein des corps
militaires et para militaires que la rigidité des normes a
été difficile à
1 Op cit, p. 472.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Août 2009
assimiler pour les ex-combattants, comme en témoignent
les désertions et révocations au sein des FNIS. Les normes
encadrant les comportements des acteurs ont eu des incidences sur les attitudes
et les comportements des ex-combattants de deux manières.
D'abord, par leur rigidité et leur portée
universelle, les normes ont conduit à des comportements d'auto
discipline de la part des ex-combattants. Celle-ci fut dictée par un
calcul rationnel que les institutions, en fournissant des informations fiables
aux acteurs, ont favorisé. Il est bien connu que dans les corps
militaires et paramilitaires, la hiérarchie est très stricte sur
le respect des normes.
En plus, le pouvoir des autorités politiques sur ces
corps n'est pas si important qu'il puisse permettre une interférence de
celles-ci sur les affaires internes à ceux-ci. Il en découle une
conséquence de taille : il est difficile, voire impossible pour un
ex-combattant frappé par une sanction au sein de son corps de
bénéficier d'un traitement complaisant en se servant de ses
relations politiques.
Dans la même perspective, un ex-combattant
intégré à l'Université ne peut espérer
bénéficier des faveurs en sa qualité d'ancien rebelle.
Bref, les institutions d'accueil des ex-combattants ignorent la discrimination
positive. L'auto discipline, c'est-à-dire la conformité aux
règles par l'appropriation et l'intériorisation
extérieures de celles-ci, est ainsi une conséquence de la force
structurante des institutions.
Dans un second lieu, l'on a assisté à des
comportements qu'Albert Hirs chman appelle «comportements de
sortie» (exit) dictés par le refus
d'intérioriser les régulations contraignantes des
institutions1. Les désertions des ex-combattants au sein des
FNIS en sont des manifestations tangibles. Dès juillet 1997, 56
ex-combattants destinés aux FAN avaient
démissionné2. Dans une logique compréhensive,
ces « comportements de sortie» ne sont pas
uniquement imputables à la rigidité des normes et à
l'incapacité ou le refus des ex-combattants de s'y adapter.
Ils procèdent également d'une
«frustration relative» (T. Gurr) que les
ex-combattants ont développée au sein de ces institutions. Selon
plusieurs témoignages de ces derniers, il n'y aurait une méfiance
et une suspicion contre tous les éléments intégrés.
Et l'accès à des postes stratégiques leur serait interdit
quelque soit leur rang. D'après un ancien Cadre de
l'ex-Rébellion, « on ne donne jamais à un
ex-combattant intégré la responsabilité de gérer un
magasin de munitions ou les clés d'un véhicule 4X4. On est
intégrés que de manière mécanique, on pense que
nous sommes toujours prêts à reprendre la guerre
»3.
En juin 2006, dans la déclaration sanctionnant leur
rencontre avec le HCRP, les Chefs de Fronts et Mouvements avaient
fustigé les « renvois complaisants»
et les « révocations planifiées
»4 de leurs combattants dans les FDS. Mais
l'argument de la «frustration relative»
n'occulte pas celui de la logique utilitaire. Pour certains, la
désertion était rationnelle dans la mesure où elle leur
ouvrait des perspectives plus prometteuses. C'est ainsi que beaucoup sont
retournés en Libye ou en Algérie, pays dont beaucoup d'entre eux
détiennent la nationalité d'ailleurs.
1 Selon cet auteur, trois options se présentent pour
un acteur face à un changement de contexte : la « défection
» (exit), « la loyauté »
(loyality) et « la prise de parole »
(voice). Voir Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit,
302 ; Phillipe Braud, op cit, p. 47
2 HCRP, Estimation du coût du processus de
paix, juillet 1997, p. 4.
3 Il s'exprimait pendant la réunion des Chefs de Fronts
et Mouvements du 15 juin 2006 au HCRP.
4 HCRP, Conclusions de la Réunion des Chefs
et Cadres de l'ex-Résistance Armée et Comités
d'Autodéfense, juin 2006, p. 2.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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En clair, la rigidité de l'administration, militaire
comme civile, explique certains comportements des ex-combattants
intégrés, même si ces comportements obéissent
également à d'autres logiques. Cette hypothèse se
vérifie avec les normes informelles.