La politique de réinsertion des ex-combattants a
essentiellement produit deux types de traitements. Il s'agit d'abord des
intégrations qui ont consisté à
recruter directement les ex-combattants dans divers corps de l'Etat et de la
réinsertion
socio-économique qui a permis de
réinsérer à la vie civile des ex-combattants à
travers l'octroi des subventions dans le cadre des projets communautaires. La
réinsertion des ex-combattants a été faite sur fond de
tension. En effet, si dans le cas des intégrations, le processus a
été réalisé avec diligence, de nombreux cas de
désertions ou de révocation des ex-combattants au sein des FNIS
ont mis à mal le processus de paix.
Pour la réinsertion socio-économique, les dix
ans de retard que sa réalisation a accusé n'étaient pas
aussi pour apaiser les tensions. Les effectifs ont été
déterminés à travers les différents
Relevés de Conclusions issus des
réunions entre les deux parties. Les recrutements au titre des
intégrations furent déterminés non seulement par les
critères de compétence, des besoins exprimés par les
ex-combattants eux-mêmes, mais aussi en fonction des besoins de service
exprimés par les administrations. Au total, trois mille quatorze (3014)
ex-combattants ont été intégrés, comme
illustré dans le tableau n°4 à la page suivante. Il est
à noter que pour certains ex-combattants, il s'agissait des
réintégrations.
En effet, l'article 16 de l'Accords de Paix du 24 avril 95
engageait le Gouvernement à réintégrer à la
Fonction Publique et dans les Sociétés d'Etats, les
éléments démobilisés de la Rébellion qui
avaient quitté leurs postes. Il en a été de même
pour les élèves et étudiants. Dans la
1 Les états de paiement étaient
déjà préparés par le HCRP et transmis au
Ministère des Finances. Certains ex-combattants s'étaient
même endettés, convaincus qu'ils étaient que le paiement
était acquis. En fait, il semble que le Chef de l'Etat a
été dissuadé d'aller au bout de ce processus par les
désertions de certains ex-combattants pour rejoindre le MNJ.
2 Cette distinction entre politique et administration est de
Claude Ake. Il l'exprimait en ces termes : «reduced to the
essentials, the difference is that politics refers to the process whereby
members of the community arrive at decisions about the management of matters of
common concern, administration refers to the implementation of these decisions
(...) The political situation is one in which the issues are still in dispute,
the administrative situation is highly structured because it is a matter of
relating determinate rules and norms to standardized circumstances. So in a
sense, administration begins where politics ends» in C. Ake,
Social science as imperialism: the theory ofpolitical
development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979, p 107.
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
pratique, ces réintégrations se sont
passées sans heurt majeur par la médiation du HCRP qui
introduisait les dossiers des ex-combattants aux institutions
concernées. Mais, il est à relever que certains avaient
opté pour d'autres emplois au lieu de reprendre leur activité
d'origine.
C'est le cas surtout des Chefs et Cadres, qui, on l'a vu, ont
bénéficié d'un traitement spécial. Les
intégrations ont en même temps permis à l'Etat de
répondre à une question centrale des Accords de Paix, à
savoir la sécurité des zones touchées par le conflit. La
mise en place des Unités Sahariennes de
Sécurité (USS), corps constitué en
majorité des ex-combattants et/ou des ressortissants des zones
affectées par la Rébellion, a été
considérée comme un des quatre (4) piliers des Accords de Paix
par le HCRP. Ces Unités ont absorbé 1602 ex-combattants, soit
53,15% du total des ex-combattants intégrés. Ceux-ci ont
été repartis dans les quatre compagnies créées par
décret n°98-038/PRN/MI/AT du 23 janvier 1998 dans les zones
touchées par le conflit (Kawar, Manga, Aïr et Azawak).
En ce qui concerne la réinsertion
socio-économique, le processus accusa un long retard. Ce processus a
concerné au total 4050 ex-combattants. Au début, le
Relevé de Conclusions du 4 juillet 1996
prévoyait 3500 éléments. Par la suite s'étaient
ajoutés 250 éléments consécutivement aux
Relevés de Conclusions conclus entre le HCRP
et le FDR, la Milice Peulh et la Milice Arabe de N'Guigmi. En plus, en
septembre 2000, des 600 ex-combattants initialement destinés à un
recrutement dans les Sociétés d'Etat, 300 avaient opté
pour la réinsertion socio-économique.
Tableau n°4 : La situation des intégrations
dans les corps de l'Etat
Source : HCRP, Bilan du
processus de paix, août 2004, p. 6.
1 Ecole Nationale d'Administration, Institut de Formation aux
Techniques de l'Information et de la Communication, Institut Pratique de
Développement Rural (Kollo).
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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Le Gouvernement n'a pu honorer ses engagements pour les 300
ex-combattants restants. Ceux-ci avaient reçu en compensation un
pécule de un million cinq cent mille (1 500 000) F CFA chacun en 2006.
Au total, la réinsertion socio-économique a permis de
désintéresser 4050 ex-combattants repartis en trois zones,
à savoir le Kawar (230 ex-combattants), le Manga (660 ex-combattants) et
l'Aïr/l'Azawak (3160 ex-combattants). La réinsertion
socio-économique des ex-combattants est inséparable du
développement des zones touchées par le conflit qui fait l'objet
du Titre V de l'Accord de Paix du 24 avril 1995.
Pour répondre à cette clause, le Gouvernement a
adopté deux approches. L'une a consisté à prendre des
mesures urgentes en vue de réhabiliter les zones touchées par le
conflit et d'occuper temporairement les ex-combattants
démobilisés. L'autre approche s'inscrit dans le long terme. Elle
était censée aboutir à l'élaboration d'un vaste
programme de développement de la zone pastorale. Au titre des mesures
d'urgence, deux Projets à Haute Intensité de Main-d'oeuvre (HIMO)
ont été réalisés en vue non seulement de
réhabiliter les infrastructures de développement, mais aussi
occuper les ex-combattants en attente de leurs intégrations ou
réinsertion1.
En outre, une Table Ronde fut organisée du 30 au 31
octobre 1995 à Tahoua afin de mobiliser les Bailleurs de Fonds et
relancer les projets de développement des zones concernées. Dans
le cadre du long terme, des études avaient été
commanditées par l'Etat à travers des experts afin de
déterminer les opportunités d'emploi pour les ex-combattants.
C'est ainsi que le Cabinet Maina Boukar et Conseils a
réalisé en août 1997 deux études :
Etudes sur les opportunités d'emploi et d'occupation et les
potentialités de réinsertion socio-économique des
ex-combattants et le Rapport sur les quelques
résultats de l'enquête relatifs au profil et aux attentes des
ex-combattants et le rapport de l'informaticien sur le programme mis en place
et sur le déroulement des enquêtes. Au mois de
novembre 1997, une étude fut réalisée par un Expert du
Bureau International du Travail (BIT) sur un programme de réinsertion
des ex-combattants2.
Ce programme n'a pu être exécuté, faute
de financement. La réinsertion socio-économique ne
débutera qu'en 2002, soit sept (7) ans après les Accords de Paix.
Dans le Kawar, elle fut exécutée par le Projet Consolidation de
la Paix dans la Région de Bilma entre avril 2002 et le 31 mai 2004. Les
ex-combattants furent organisés en Coopératives et Groupements
selon les domaines économiques choisis et ont
bénéficié des subventions et de l'encadrement technique du
Projet.
Dans le Manga, le Projet Consolidation de la Paix dans la
Région de Diffa exécuta la réinsertion des 660
ex-combattants entre mai 2001 et le 31 mai 2003. 95 Microprojets
regroupés en 9 Groupements d'Intérêt Economique (GIE) ont
été formés et financées. L'ensemble de ces Projets
était financé grâce au soutien du PNUD, du Programme des
Volontaires des Nations-Unies (PVNU) et de la Coopération
Française (principal bailleur de fonds).
Pour la zone Aïr/Azawak, la réinsertion ne
débuta qu'en 2006 avec le soutien de la France, des USA, du PNUD, du
PVNU pour le grand contingent des ex-combattants. En termes de résultats
obtenus, le Projet Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'Azawak (PCPAA)
a constitué 298 coopératives, 298 Microprojets financés
à hauteur de 1 042 800 $ US dans des
1 HCRP, Programme d'Intervention HIMO au profit des
Ex-combattants dans l'Aïr et l'Arawak, Novembre 1997.
2 République du Niger, Proposition pour un
programme d'urgence de réinsertion des ex-combattants,
novembre 1997.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
domaines comme l'élevage, l'agriculture, le commerce
général, etc.1 Le PCPAA a été
prolongé pour une année supplémentaire lors de la
dernière réunion du Comité de
Pilotage2 du Projet tenue à Niamey le 17 mars
2008.
La réinsertion socio-économique fut très
lente dans son application. Cette lenteur est d'autant plus paradoxale que la
réinsertion socio-économique concerne l'écrasante
majorité des ex-combattants dont le niveau d'instruction n'était
pas compatible avec les intégrations3. Plusieurs facteurs
expliquent ce paradoxe. Le plus important a été l'insuffisance du
financement due en partie au boycott économique de certains pays suite
au Coup d'Etat du Général Ibrahim Baré Mainassara en
janvier 19964.
Certaines puissances comme les Etats-Unis avaient, en effet,
combattu le régime de la 4è République à travers
une suspension de leur coopération économique et
financière5. Le problème de financement a failli
remettre en cause le processus de paix à certaines périodes,
comme le note Soumana Souley : « ...les requêtes de
financement ont toujours tardé à être honorées au
regard des difficultés financières de l'Etat. Cette situation
pouvait compromettre le bon déroulement du processus. Au cantonnement
des ex-combattants par exemple, n'eut été l'intervention rapide
du partenaire français qui a déboursé plus d'une centaine
de millions, des problèmes insurmontables auraient ramené le
processus en arrière »6.
Selon Abdourahamane Mayaki, Expert en Bonne Gouvernance au
PNUD/Niger, le démarrage tardif de la réinsertion des
ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak s'explique du fait que «
les partenaires voulaient d'abord intervenir dans un
échantillon restreint avant d'élargir à l'Aïr et l'A
atvak l'expérience née de la gestion de la question dans le
Katvar et le Manga »7. On note également
un manque d'enthousiasme dans la recherche de financement par le Gouvernement
qui, par ailleurs, a toujours été le dernier à s'acquitter
de sa contribution dans le financement des différents projets de
réinsertion. Cette attitude a conduit la France à conditionner
son appui au versement par le Gouvernement du Niger de sa contribution (10%) au
titre du PCPAA en 2006.
En plus, la réinsertion des ex-combattants
s'était heurtée au refus de certains partenaires dont les
méthodes d'intervention étaient incompatibles avec la
discrimination positive8.
1 PCPAA, Rapport annuel, janvier
2008.
2 C'est le Haut Commissaire qui préside le
Comité de Pilotage du Projet en partenariat
avec le Ministère du Développement Communautaire et de
l'Aménagement du Territoire
3 Selon l'enquête du Cabinet Maina et Conseils
d'août 1997 portant sur un échantillon de 1851 ex-combattants, il
était ressorti que 57,15% n'avaient reçu aucune instruction
scolaire tandis que 30,60% ont, soit suivi des cours d'alphabétisation,
soit fréquenté l'école coranique, et donc appris à
lire et à écrire. Les autres, qui ne sont que 245, soit 12,25% se
repartissent entre le CFEPD/CAP (168), le BEPC (65), le Bac (8) et
l'Université (4). Voir Etudes sur les opportunités
d'emploi et d'occupation et les potentialités de réinsertion
socio-économique des ex-combattants, août 1997, Page
3.
4 Voir Dodo Boukari AbdoulKarim, « La
conditionnalité démocratique de l'aide au développement :
le cas du Niger depuis le coup d'Etat du 27 janvier 1996 » in Actes du
Premier Colloque International sur le thème
«Armée et démocratie en Afrique : cas du
Niger». Niamey, 6-9 décembre 1999.
5 L'Ambassadeur américain Joseph Wilson, alors en
poste à Niamey, a révélé dans ses mémoires
(The politics of truth, 2004) qu'il s'était
personnellement investi pour la chute du régime de Baré
Mainassara.Voir Africa International, n°378
juillet/août 2004, page 4.
6 Soumana Souley, op cit, p. 17.
7 Interview dans la revue Seeda
consacrée à la rébellion touarègue,
n°41-42, 2008, p. 14.
8 A la rencontre des Bailleurs de Fonds sur le financement du
programme d'urgence de réinsertion socio-économique des
ex-combattants tenue le 19 décembre 1997 à Niamey, la
représentante de ECHO (Office Humanitaire de la Communauté
Européenne) a estimé que son institution se veut communautaire,
ses actions sont censées bénéficier à toute la
population et non à une frange représentée par les
ex-combattants. Voir HCRP, Rapport de synthèse de
la
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Au total, en termes de policy
output, le Gouvernement a réinséré à
la vie civile plus de sept mille quatre cent quatre vingt trois (7483)
ex-combattants, toutes catégories confondues. Il s'agit pour le
traitement des Chefs et Cadres de cent dix neuf (119) personnes, à
savoir les dix sept (17) Chefs et leurs Cadres (à raison de 6 par
structure) estimés à cent deux (102) personnes. Pour les
ex-combattants, trois mille quatorze (3014) ont bénéficié
des intégrations, quatre mille cinquante (4050) de la réinsertion
socio-économique et trois cent (300) ex-combattants initialement
prévues pour les Sociétés d'Etat,
bénéficiaires d'une réinsertion spéciale.
Réunion des Bailleurs de Fonds sur le
Financement du Programme d'Urgence de Réinsertion
Socio-économique des Ex-combattants tenue à Niamey le 19
décembre 1997, décembre 1997, p. 5.
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