Les normes formelles qui régissent le cadre
institutionnel de la gestion post conflit induisent des résultats en
termes de comportement des acteurs, notamment les ressortissants
eux-mêmes. Ainsi, les institutions créées et leurs
règles officielles de fonctionnement se présentent comme une
opportunité pour les ex-combattants destinés à la
réinsertion. Cette hypothèse se vérifie à travers
l'administration du HCRP et le rattachement de celui-ci à la
Présidence de la République.
En effet, l'alternance entre une administration militaire et
civile n'est pas sans incidence sur l'exécution de la politique de
réinsertion. Au terme du décret n°94-007/PRN du 14 janvier
1994 portant création et attributions du HCRP, le Haut Commissaire est
nommé par le Chef de l'Etat de façon discrétionnaire, ce
dernier pouvant choisir un civil ou un militaire. Le style de commandement
propre aux militaires se présente comme une opportunité à
cet égard. La discipline, la rigueur et le sens du travail bien fait qui
caractérisent l'institution militaire ont permis de faciliter
l'exécution de la politique de réinsertion. Le parcours des
militaires au HCRP a été marqué par le travail rigoureux,
le respect strict des normes de travail etc. bref, toutes choses qui ont
largement contribué à accroître la capacité
institutionnelle de l'institution.
Tous les agents du HCRP reconnaissent que le rythme de
travail était plus rigoureux sous l'administration militaire.En outre,
l'administration militaire a été d'un grand secours pour la
facilitation des contacts entre le HCRP et les commandements militaires du
Nord. Au sortir des Accords de Paix, la politique de réinsertion et
beaucoup de questions liées à la gestion post conflit
1 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 209.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
en général, relevaient dans une large mesure
des compétences des FAN. Les militaires étaient incontournables
dans la gestion des processus de désarmement, de démobilisation
et de cantonnement. Jusqu'à présent d'ailleurs, c'est un ancien
militaire à la retraite, le sergent-chef Mamane Garba, qui occupe le
poste d'opérateur radio au HCRP.
La détermination des quotas par Front et Mouvement qui
tenait compte de l'armement des différentes structures fut
essentiellement l'oeuvre des militaires. Dans la mise en oeuvre des Accords de
la Paix, la présence des officiers à la tête du HCRP a
été très déterminante pour débloquer
certaines impasses. C'était, en effet, grâce à la
nomination des militaires comme le colonel Seyni Garba (aujourd'hui
général) que les problèmes de grades ont pu être
surmontés, ainsi que les problèmes liés au transfert de
grades.
Les militaires avaient la possibilité de conduire des
missions difficiles dans des zones dangereuses du Nord et de l'Est du Niger et
prendre contact avec les groupes dissidents. Ces facteurs ont largement induit
des comportements favorables des ex-rebelles et favorisé leur
adhésion aux Accords de Paix. Par ailleurs, le rattachement du HCRP
à la présidence de la République est certainement un des
facteurs structurants les plus importants. En effet, le Haut Commissaire ne
rend compte qu'au Chef de l'Etat. L'institution du HCRP est ainsi partie
intégrante d'une institution politiquement irresponsable. Car, de par
ses attributions et son organisation formelle, le HCRP n'entretient avec les
autres ministères que des rapports de coopération.
En 1995, sous la direction Mai Maigana, le Haut Commissaire,
fort de sa position vis-à-vis du Chef de l'État, convoquait
même des ministres pour régler certains problèmes relevant
de leurs compétences. Il faut en plus souligner que l'organisation des
pouvoirs est telle que le Parlement n'a pas la possibilité d'interpeller
le Haut Commissaire pour s'expliquer sur l'exécution de la politique de
réinsertion. Ce dernier a rang de ministre mais n'est pas membre du
Gouvernement. L'impact de cette configuration a facilité la mise en
oeuvre de la politique de réinsertion. Le HCRP avait ainsi la
possibilité de traiter directement avec le Chef de l'Etat en se passant
du Gouvernement.
L'institution était aussi, de par son statut juridique,
à l'abri de tout contrôle direct du Parlement. C'est ainsi que
beaucoup de dossiers pendants et controversés furent rapidement
débloqués. C'est le cas de la question des trois cent (300)
ex-combattants initialement destinés aux Sociétés
d'État que le Chef de l'État a réglé en juin 2006.
L'élément structurant a été pour les ressortissants
de cette politique de redéployer toutes leurs stratégies sur la
Présidence de la République. Car les autres institutions (le
Parlement, la Primature par exemple) n'avaient aucune emprise sur le HCRP qui
dispose d'une autonomie dans la gestion de la réinsertion. Les
correspondances officielles du HCRP étaient traitées avec
diligence dans tous les ministères1. Sur celles-ci, on
pouvait lire couramment l'expression «sur instruction du Chef
de l'État.... ».
En plus, l'institution dispose d'un mécanisme lui
permettant administrativement de faire parvenir au Chef de l'Etat certaines
informations directement, sans transiter par le circuit ordinaire de la
Présidence2. La place centrale du Chef de l'Etat dans la
gestion post conflit
1 Le HCRP utilise cette formule par exemple pour faire
débloquer avec diligence des fonds destinés aux ex-combattants
par le Ministère des Finances et de l'Economie.
2 Ces correspondances confidentielles et directes sont
appelées «Note au Président de la République ».
L'essentiel des demandes des ex-combattants dont le contenu semble
controversé sont transmises par le truchement de ces «notes
».
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
explique également que des fonctions politiques
à la Présidence de la République soient attractives et
perçues comme stratégiques. Mohamed Anacko, avant sa nomination
au HCRP était Conseiller à la Présidence avec rang de
ministre avant d'être ministre délégué aux Finances.
C'est également le cas de Ali Sidi Adam, responsable des FARS, le front
le plus puissant militairement, qui est Conseiller à la
Présidence.
C'est dire que les perceptions des acteurs et leurs actions
ont été construites et modelées par ce dispositif
institutionnel de nature présidentialiste. Ceci était d'autant
plus pertinent que la réinsertion des Chefs et Cadres était
laissée à l'appréciation du Chef de l'Etat. Ce pouvoir
discrétionnaire, à lui conféré par les Accords, a
orienté toutes les stratégies des ex-Chefs et Cadres sur la
Présidence. L'opportunité pour les ex-combattants, c'est aussi le
bénéfice de discrétion que de tels arrangements
institutionnels offraient.
En effet, l'autonomie du HCRP et son rattachement direct au
Chef de l'Etat ont permis à beaucoup de demandes des ex-combattants
suffisamment controversées d'être traitées sans heurt. La
politique de réinsertion, avec le principe de discrimination positive
qu'elle implique, n'a jamais fait l'unanimité au sein de l'opinion
publique. Elle a même été farouchement combattue par
beaucoup de nigériens. La procédure assez discrète de
règlement de certaines difficultés nées de la
réinsertion a évité au pouvoir politique de mettre
à mal sa légitimité. C'est le cas par exemple de la
réinsertion des Cadres.
Il est certain que si beaucoup de Cadres ont cumulé des
avantages (contrairement aux Accords de Paix), c'est en partie en raison du
dispositif institutionnel fermé, à l'abri de la curiosité
du public. Toutes ces implications produites par les institutions ont
favorisé une conception néo-patrimoniale de la politique de
réinsertion. Le caractère fermé du cadre institutionnel
explique pourquoi la résurgence de la rébellion en 2007 a surpris
l'opinion publique.
Les multiples tractations secrètes qui ont
été menées entre le HCRP et le premier noyau du MNJ depuis
2004 ne pouvaient être perçues par le public. Il suffit d'ailleurs
de parcourir les articles de la presse écrite sur le conflit au nord
pour constater ce déficit d'information. Il est fort probable que les
limites de la gestion post conflit, les signes alarmants d'une reprise des
hostilités auraient été perçues si le Haut
Commissaire pouvait être interpellé par l'Assemblée
Nationale pour s'expliquer sur la gestion des Accords de Paix.
Le HCRP est au Niger l'une des institutions qui communiquent
le moins1. Cette situation a été savamment
exploitée par les ex-combattants, notamment les élites
résidant à Niamey, pour faire aboutir certaines demandes
contestables au regard des prescriptions des Accords de Paix. Ces facteurs
structurants sont également perceptibles au niveau de certaines normes
informelles tel que le processus décisionnel du HCRP.