Phénomène naturel à toute organisation,
le leadership au sein des différents Fronts et Mouvement armés
est exercé par un Chef, à l'origine de la structure, et ses
proches lieutenants appelés Cadres. A l'issue du processus de
rétablissement de la paix, dix sept (17) structures ont
été dénombrées dont onze (11) Fronts touaregs, deux
(2) Fronts toubous et quatre (4) Mouvements d'Autodéfense (une Milice
Peulh et trois Milices Arabes). Ceci donne ainsi dix sept (17) Chefs de Fronts
et Mouvements. Ces derniers ont reçu avec leurs Cadres un traitement
spécial différent de celui apporté à leurs
combattants.
A l'issue de la session du Comité
Interministériel de Pilotage du 22 avril 1998, il fut
décidé que le cas de la réinsertion des Chefs et leurs
Cadres soit laissé à l'appréciation du Président de
la République2. De ce fait, ils échappent à la
compétence des différents mécanismes
interministériels mis en place. C'est plutôt le HCRP, en tant que
démembrement de l'institution présidentielle, qui a
impulsé la nature de leur réinsertion. Par son truchement, le
Chef de l'État, à l'époque le Général
Ibrahim Baré Mainassara, a apporté deux types traitements aux
élites : il s'agit soit d'une
1 Voir infra, la réinsertion des élites.
2 Cette solution est une clause expresse des Accords de Paix,
précisément le Protocole d'Accord d'Alger en son article 8 et
l'Accord de N'Djaména dans son titre IV.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
nomination politique, soit l'octroi d'une prime correspondant
au départ volontaire des fonctionnaires de l'Etat.
A ce jour, la situation des Chefs de Fronts et Mouvements
peut être présentée dans le tableau n°3 à la
page suivante. Des dix sept (17) Chefs de Fronts et Mouvements, neuf (9)
occupent des postes politiques dont trois (3) ministres et un
député national1. Ce résultat témoigne
de la nature hautement politique de la réinsertion des élites.
Cooptés dans les hautes sphères de l'État, la
réinsertion de ces élites reflète la configuration
institutionnelle de la gestion post conflit qui a fait de leur cas une
prérogative présidentielle.
Mais avant ces traitements, le HCRP avait sollicité les
voeux des Chefs et de leurs Cadres en termes de projet de réinsertion.
L'analyse des fiches de voeux individuelles remplies par ceux-ci permet de les
classer en trois catégories selon les activités
souhaitées. La 1ère catégorie a opté
pour des activités privées (commerce, élevage, agence de
voyage, etc.) avec un montant précis du capital souhaité allant
de sept (7) à cent quarante (140) millions de CFA. La 2e
catégorie a souhaité des activités salariées. Parmi
ceux-ci figuraient des ex-rebelles initialement agents de l'Etat. Ces derniers
ont demandé soit une promotion au sein de leur institution d'origine,
soit une formation continue. Enfin, une 3è catégorie des
élites a sollicité des postes politiques (ambassadeur,
sous-préfet, etc.).
Devant le caractère fantaisiste et irréaliste de
certaines des doléances enregistrées2, le choix d'un
traitement politique de la réinsertion des élites s'est
imposé. En outre, bien avant le règlement définitif de
leur cas, les Chefs et Cadres étaient pris en charge par le HCRP de
façon informelle. Pour remédier à cette situation
d'improvisation, une solution provisoire fut trouvée en 1998 consistant
à accorder des pécules sur les « Fonds de
Sécurité » du Budget National. Il s'agissait d'un
pécule mensuel de cent cinquante mille (150 000) F CFA pour chaque Chef
de Front, et un pécule mensuel pour deux de ses Cadres, à savoir
cent mille (100 000) F CFA pour le premier et soixante cinq (75 000) F CFA pour
le second3.
Par ailleurs, pour accompagner la réinsertion des Chefs
et Cadres, le Gouvernement organisa avec le soutien du PNUD, un Atelier de
Formation en Management à leur intention du 7 au 12 février 2000
à Tahoua. Les quarante cinq (45) participants issus de toutes les
structures ont ainsi bénéficié d'une formation en
Comptabilité Gestion, Fiscalité et Législation
Douanière, Correspondance Commerciale et Administrative par le Cabinet
d'Expert CEFA.
Dans la mise en oeuvre de cette réinsertion, on
constate cependant que la politique n'a pas été respectée
à la lettre.
Certains Chefs et Cadres ont en réalité
cumulé les nominations politiques et les pécules correspondant au
départ volontaire des fonctionnaires. C'est ainsi qu'en juin 2000,
l'Etat a octroyé des pécules à sept (7) personnes par
Front ou Mouvement, à savoir le Chef de la structure et six (6) de ses
Cadres. Les Chefs ont bénéficié chacun de la somme de cinq
millions deux cent mille (5 200 000) F CFA et les Cadres de deux millions neuf
cent mille (2 900 000) F CFA chacun, alors que beaucoup d'entre eux occupaient
déjà des postes politiques au titre de la
réinsertion4.
1 Il existe de nombreux Cadres occupant d'autres postes
politiques parmi lesquels on peut citer Issia Ag Kato, Cadre du FPLS,
actuellement Ministre des Ressources Animales, Omar Sanda, Cadre de la Milice
Peulh, Conseiller Technique du HCRP.
2 On a enregistré par exemple des doléances telles
que «Villa + Voiture + 7 millions ».
3 HCRP, Procès-verbal de la Commission
technique de la Réunion Préparatoire du Comité de
Pilotage, 6 janvier 1998.
4 HCRP, La question du traitement des cadres de
l'ex-Résistance armée et des Comités
d'Autodéfense, juin 2006.
56
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Tableau n°3 : La réinsertion des dix sept
(17) Chefs de Fronts et de Mouvements
Source : Tableau issu de nos
enquêtes.
En 2006, lors de la Réunion des Chefs de Fronts et
Mouvements du 15 juin tenue à Niamey, la question des Cadres fut
réactivée. Pour les Chefs rebelles, les traitements
antérieurs n'ont concerné que les Cadres dits principaux, et il y
aurait encore par Front et Mouvement, des dizaines de Cadres non encore
désintéressés dont le nombre fut estimé à
deux cent cinquante (250). La Réunion décida, sur proposition du
HCRP, de leur octroyer chacun un million deux cent mille (1 200 000) F CFA,
soit au total trois cent millions 300 000 000 F CFA pour l'ensemble des
intéressés.
Mais le paiement de ces pécules fut annulé en
2007 sur instruction du Chef de l'Etat. La politique de réinsertion des
Chefs et Cadres a été au fond, véritablement
influencée par le cadre institutionnel. Le pouvoir
discrétionnaire du Chef de l'Etat de décider du cas des
élites a eu comme conséquence une incohérence dans la
politique. La réinsertion des élites a ainsi fluctué selon
les humeurs du Chef de l'Etat au pouvoir, et également au gré des
circonstances, comme le
1 Rhissa Ag Boula fut ministre du Tourisme et de l'Artisanat
de 1997 à son limogeage en 2004 suite au meurtre d'un de ses adversaires
politiques, Adam Amagué, qu'il aurait commandité. Il
bénéficia d'une liberté provisoire en 2005 grâce
à l'intervention du colonel Kaddafi. Rhissa Ag Boula a
créé un nouveau Front et repris les armes depuis janvier 2008.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
montre la réactivation de la question des Cadres en
2006. Celle-ci faisait suite à la résurgence de la
rébellion au Mali voisin1.
L'annulation du paiement des pécules des Cadres
promises en 2007 avait certainement son explication dans la gestion du conflit
avec le MNJ. En outre, la réinsertion des Chefs et Cadres a
révélé une lecture assez particulière des Accords
de paix par les ex-combattants. Pour ceux-ci, les postes politiques sont des
acquis qui relèvent de l'administration et non
de la politique2.
En d'autres termes, ces quotas ne sont plus susceptibles de
discussion ; et, par conséquent, chaque Gouvernement au Niger doit
nécessairement compter en son sein des représentants de
l'ex-Rébellion. Ceci explique pourquoi la majorité des Chefs
occupent aujourd'hui des postes politiques de façon quasi-inamovible. Si
le cas des élites, laissé à l'appréciation du Chef
de l'Etat, a été mieux maîtrisé, celui des
ex-combattants fut beaucoup plus complexe.