Les Accords du 24 avril prévoyaient la mise en place
d'un Comité Spécial de Paix (CSP)
constitué des deux parties et des trois médiateurs chargé
de démarrer la mise en oeuvre des engagements pris. Le CSP siégea
à cinq reprises à Niamey en 19954. Mais, grâce
à la « confiance retrouvée »
entre la partie gouvernementale et la Rébellion, il fut
décidé sur proposition de la France, que les deux parties
continuent seules la mise en oeuvre des Accords. C'est ainsi que s'agissait de
la réinsertion des ex-combattants, des rencontres entre les deux parties
aboutirent aux Relevés de Conclusions
suivants5 :
- Le Relevé de Conclusions entre le Gouvernement et
l'ex-Résistance autour de la détermination des effectifs du 7 au
4 juillet 1996 ;
- L'Acte Additif à la détermination des
effectifs entre le Gouvernement et l'ORA en date du 4 septembre 1996 ;
- Le Protocole d'Accord sur le cantonnement, les
intégrations et le désarmement des 25 novembre au 14
décembre 1996 ;
1 Accord du 24 avril 1995, article 22 (Titre V, point B).
Souligné par nous.
2 Phillipe Garraud, «Agenda/Emergence » in Laurie
Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques
publiques, op cit, p. 54.
3 André Lecours, op cit, p. 12. Voir aussi M. Gazibo et J.
Jenson, op cit, p. 204.
4 Les cinq sessions se sont tenues aux dates ci-après :
- 1ère session du 23 mai au 2 juin 1995
- 2è session du 13 juillet au 11 août 1995
- 3è session du 10 au 18 novembre 1995
- 4è session du 5 au 18 novembre 1995
- 5é session du 13 au 26 décembre 1995. Voir
HCRP, Mise en oeuvre des Accords de Paix, août
1996, p. 3.
5 HCRP, Bilan du processus de paix,
août 2004, p. 5.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
- Le Forum de réconciliation intercommunautaire de
Tahoua (CVT -- CAD) du 15 février 1997 ;
- Les Procès-verbaux des Comités de Pilotage du
3 septembre 1997 et 22 avril 1998 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et les FARS
suite à l'armement additionnel du 2 juin 1999 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et le FDR du
19 août 1999 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et la Milice
Peulh du 7 février 2000 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et la Milice
Arabe de N'Guigmi du 30 mai 2000.
Les critères de déterminations des quotas par
Front ou Mouvement reposaient essentiellement sur l'armement détenu,
c'est-à-dire la « capacité de
nuisance» selon l'expression du Colonel Laouel Chékou
Koré, ancien Haut Commissaire à la Restauration de la Paix.
Ainsi, plus la structure dispose d'armes, plus elle aura des quotas. La
qualité des armes importait beaucoup puisqu'on tenait compte du nombre
de personnes nécessaire pour les manier. A titre d'exemple, un
Kalachnikov donne droit à une (1) place, une lance-roquette anti-char ou
une 12-7 donne trois (3) à quatre (4 places), un appareil radio de
transmission peut donner une (1) à deux (2) places etc. Cette formule
propre à l'institution militaire reflétait l'effet de celle-ci
sur ce processus décisif.
De l'avis de Soumana Souley, «par ce
procédé incitatif, le Gouvernement entendait dissuader les
rebelles de garder des armes de guerre.1 Pourtant, le
désarmement de certains chefs de guerre comme Chahaï Barkaï
des FARS ne fut pas chose aisée2. Aussi, cette formule,
pourtant universelle en matière de gestion post-conflit, ne fut pas
appliquée à la lettre. Il était apparu que les Fronts les
moins dotés en armement en seraient lésés. En
vérité, beaucoup de ces Fronts étaient fictifs, ils
étaient créés à la hâte par certains
opportunistes pour bénéficier des intégrations.
Déjà en 1996, lors de la réunion de
travail entre le HCRP, la Rébellion et la Médiation sur les
modalités de cantonnement, le HCRP avait proposé trois
critères d'admission sur les sites de cantonnement : être
nigérien, appartenir à un Front et détenir une arme. Ce
dernier critère fut rejeté par la Rébellion qui estima que
« tout élément remplissant les deux premiers
critères dans la limite de 5900 combattants devrait être admis
»3. Cette position fut acceptée par le
HCRP et la Médiation.
La Réunion du Comité de Pilotage
du 3 septembre 1997 a décidé d'attribuer les quotas
au prorata de 20 % de l'effectif théorique et 80% pour
l'armement4. En 1999, le FDR, s'estimant lésé par les
critères définis plus haut, introduisait un critère
d'ordre démographique et spatial. Dans un document adressé au
HCRP, il exprimait sa position en ces termes : «Pour le FDR,
le
1 Entretien à Niamey, 15 avril 2006.
2 Le « Commandant»
Chahaï avait signé un accord avec le gouvernement le 6 juin 2000
qui l'autorise à garder des armes même après le
désarmement de tous les Fronts afin d'assurer sa sécurité.
Ces armes devraient être restituées après l'installation
des USS dans le Kawar. Il garda ainsi une mitrailleuse 14,5 mm, une FAL
N°56353, une AK47 N°R22462, une SG N°64827 et quatre PA. Avec
l'installation des USS dans le Manga en fin 2000, le HCRP lui somma par lettre
N°44/HCRP/CT du 22 février 2001 de rendre les armes détenues
conformément à l'accord conclu. Une mission du HCRP fut
dépêchée pour le rencontrer à cet effet, mais en
même temps, les FAN en décidaient autrement. Une mission
lancée en même temps que celle du HCRP le 21 septembre 2001
attaqua le convoi du « commandant» qui
trouva la mort dans les combats. Voir HCRP, Bref aperçu sur
le désarmement des FARS, (document non daté) et
HCRP, Armement détenu par les FARS, juin
2000.
3 HCRP, Procès-verbal de
Réunion, 25 septembre 1996, p. 4. Voir aussi, HCRP,
Protocole d'Accord sur le cantonnement, les intégrations et
le désarmement, 25 novembre au 17 décembre 1996, p.
2.
4 Procès-verbal de Réunion du
Comité de Pilotage du 3 septembre 1997, p.
3.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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Karvar-Manga est un espace géographique
aussi vaste que l'Aïr-ADarvak et la population qui y vit est aussi
nombreuse que celle de l'Aïr-ADarvak. Il serait dès lors aberrant,
voire cynique de vouloir affecter au FDR, le 1/15 des quotas
réservés à l'autre ex-Rébellion. Une telle
démarche ne peut relever que du simplisme et de l'arithmétique
pur »1. C'était donc sur la base d'une
formule hybride combinant les critères à la fois politiques et
techniques que les quotas furent déterminés, tel que
illustré dans le tableau n°1 ci-dessous.
Tableau n°1 : Poids des Fronts et Mouvements en
pourcentage et par ordre dé croissant2
Source : HCRP, Poids en
pourcentage des ex-Fronts et Mouvements, juillet 2006.
Les modalités d'application montraient, par ailleurs,
le rôle des institutions existantes dans l'attribution des grades. La
hiérarchie militaire refusa l'attribution des grades aux ex-rebelles
démobilisés. Dès mars 1995, les FAN s'étaient
prononcées contre toute intégration des éléments
démobilisés de la Rébellion en leur sein ; «
cela du fait même du caractère républicain
d'une armée, condition fondamentale de la viabilité de l'Etat
»3. Selon les officiers, l'égalité
d'accès pour tous les citoyens aux emplois militaires est «
incompatible avec la prise en compte de facteur ethnique
»4.
En effet, les mesures de discrimination positive en faveur
des ex-combattants contredisent les normes régissant l'institution
militaire. Cette contradiction fut à l'origine de la reprise des
hostilités par l'UFRA en septembre 1997. Finalement, les FAN ont
accepté le principe de l'intégration des éléments
démobilisés, mais à condition d'être encadrée
par des normes
1 FDR, Propositions du FDR sur
l'intégration, la réintégration, l'insertion
socio-économique et la détermination des grades, 23
février 1999, p. 1.
2 Seuls les Fronts et Mouvements du Manga (Est) ne figurent
pas dans ce tableau, à savoir le FDR, rébellion toubou et les
deux Milices de la zone (Milice Arabe de N'Nguigmi et la Milice Peulh de
Diffa). Ces structures ont été intégrées avec les
Accords de N'Ndjamena de 1998 sur des bases forfaitaires.
3 HCRP, Note sur la question de..., op
cit, p. 18.
4 ibid.
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
pré cises1. C'est ainsi qu'il fut
décidé que la formation des éléments
démobilisés ne pouvait se faire dans des camps isolés,
contrairement aux voeux de la Rébellion qui envisageait la formation de
ses éléments dans des écoles françaises. Les
écoles existantes de formation furent alors utilisées.
Ainsi, la logique institutionnelle propre à cette
structure étatique fut un facteur structurant dans l'application
pratique des clauses liées à la réinsertion. L'option du
HCRP fut dès les Accords du 9 octobre 1994 de solliciter l'avis de
toutes les structures de l'Etat sur d'éventuelles intégrations
des éléments de la Rébellion. Chaque structure se
prononçait en fonction de sa logique intrinsèque en termes de
critères d'entrée et de capacité d'absorption.
La Garde Républicaine offrait dès mars 1995 des
possibilités d'intégration pour les ex-combattants. Ce corps
disposait d'une catégorie E en voie d'extinction qui pouvait accueillir
les ex-combattants non titulaires du Certificat de Fin d'Etudes du Premier
Degré (CFEPD). En outre, il fut également décidé
que pour l'ensemble des corps de l'Etat, les intégrations se feront
selon les nécessités de services exprimées par les
institutions compétentes. Et surtout que l'affectation des agents dans
le Nord se fera en fonction de la connaissance du terrain et non du seul fait
d'être ressortissant de la Région.
Au cours du processus, les conditions pratiques de
sélection selon les corps furent graduellement définies et
précisées, notamment au sein des commissions
spécialisées qui seront créées à cet effet.
Il apparaît évident que malgré des éléments
de rupture, les institutions antérieures et leurs normes de
fonctionnement ont fortement encadré le processus de définition
de la politique de réinsertion. Malgré la présence des
représentants de la Rébellion dans toutes les sphères de
décisions, l'Etat a largement sauvegardé ses principes de
fonctionnement.
Au sein des Forces de Défense et de
Sécurité (FDS), la seule innovation qualitative fut la
création des Unités Sahariennes de
Sécurité (USS) composées de ressortissants
des zones touchées par le conflit. Mais ce corps était
lui-même incorporé au sein des Forces Nationales
d'Intervention et de Sécurité (FNIS) avec la
Garde Républicaine qui existait
déjà, et avec un Commandement Central basé à
Niamey. En clair, l'universalisme et la logique jacobine de l'Etat ne semblent
pas avoir souffert outre mesure de l'application des Accords à cette
étape précise. Cette réalité s'observe
également dans le cadre institutionnel de la gestion post-conflit.