Section 2 : Le modelage institutionnel dans
l'élaboration de la politique de réinsertion
Dans le cadre de la mise en oeuvre des Accords de Paix, un
ensemble de mécanismes a été institué. Le cadre
institutionnel de la gestion post conflit fait de mécanismes permanent
et ad hoc reflète la logique institutionnelle existante (Paragraphe 1).
Le output de la politique de réinsertion a
été largement influencé par ce dispositif institutionnel
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de la
gestion post conflit
1 Ces conditions seront précisées à
l'issue de la session du Comité de Pilotage du
3 septembre 1997. Voir Cabinet du Premier Ministre,
Procès-verbal de Réunion, 3 septembre
1997, HCRP, Critères d'intégration des
éléments démobilisés de la Résistance
Armée-CAD-CVT et FDR dans certains corps de l'Etat,
1997.
48
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
L'analyse des institutions d'application des Accords de Paix
se base sur l'institution permanente du Haut Commissariat à la
Restauration de la Paix (HCRP) (A) et des différents mécanismes
interministériels (B).
A. L'existence d'un cadre permanent : Le HCRP
Le HCRP apparaît dans les deux phases du processus de
paix, celle de la négociation et celle de la gestion post-conflit. Sa
création par le Président Mahamane Ousmane porte l'empreinte du
changement institutionnel intervenu avec l'avènement de la 3e
République. De par sa dénomination, cette institution revêt
une signification universaliste et, en cela, témoigne de la
continuité historique des institutions. En effet, refusant de suivre
l'exemple malien où le Pacte National de 1992 a institué un
Commissariat au Nord", le Gouvernement
n'entendait pas faire du HCRP une institution au profit d'un groupe ethnique ou
d'une région particulière. De même qu'il n'entendait pas
rééditer l'expérience du Ministère des
Affaires Sahariennes et Nomades de la Première
République.
Le règlement de la Rébellion (le mot touareg
n'apparaît nulle part dans les textes) n'est qu'un aspect des
attributions du HCRP. Le HCRP était censé être un organe
neutre dans la mesure où le Haut Commissaire assurait la
présidence du Comité Spécial de Paix
(CSP). C'est du moins la perception qu'en avaient les ex-rebelles
touaregs qui avaient au début manifesté leur appréhension
quand à son impartialité. Mr Soumana Souley en témoigne :
« De toutes les actions menées par le Haut Commissaire
pour affirmer sa position médiane, il a été
systématiquement contesté par la partie ex-Résistance, qui
a toujours dénoncé sa position de fonctionnaire.
L'ex-Résistance a toujours montré sa défiance
vis-à-vis de cet organe faisantpartie intégrante de la
hiérarchie de l'appareil d'Etat
»2.
L'institution est rattachée à la
Présidence de la République et le Haut Commissaire
bénéficie du rang de ministre. Le HCRP est organisé
administrativement suivant le schéma des ministères. Le Haut
Commissaire dispose d'un Cabinet constitué d'un Chef de Cabinet, d'un
Secrétaire Particulier et d'un ou deux Conseillers Techniques. Le
Secrétariat Général coiffe les Départements des
Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C) et des Affaires
Juridiques et Politiques (DAPJ), le Service Financier et le Service d'Ordre.
Une Cellule d'Appui au HCRP fut créée par arrêté
n°3/PRN/HCRP du 20 janvier 1998 avec l'appui du Programme des
Nations-Unies pour la Développement (PNUD) avec pour mission d'aider
à la mise en oeuvre de la politique de développement de la zone
pastorale.
Si la création du HCRP fut une réponse
institutionnelle aux conflits armés et une reprise en main de la gestion
de la Rébellion par le pouvoir civil, il n'en demeure pas moins que
l'évolution de ce cadre a démontré l'influence
évidente de l'institution militaire. En effet, le HCRP fut une
institution hybride, tantôt administrée par un militaire,
tantôt par un civil. Quelle est la logique derrière les
nominations des Hauts Commissaires ? L'analyse des données
révèle, comme le comme le montre le tableau n°2 à la
page suivante, l'existence de corrélation entre la
1 Pacte National du 12 avril 1992, Chapitre IV, Titre III
(Point 43) sur la « création d'un Commissariat au Nord
pour une durée de cinq ans renouvelables chargé d'animer la mise
en oeuvre» du Pacte, notamment sur la Statut Particulier des
régions nord du Mali, publié par le journal
Construire l'Afrique, Numéro Spécial
« Kidal : les germes d'une sécession ou d'une
fédération du Sahara mauritanien au Niger ? », n°169,
du 1er au 15 juillet 2006, pp. 15-19.
2 Soumana Souley, « Le processus de paix au Niger »,
(document non daté).
49
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
qualité de la personnalité nommée
(militaire/civil) et le type de régime (civil/militaire) ou la
qualité du Chef de l'Etat (militaire de formation ou non).
Il est ainsi apparu que tous les quatre (4) militaires
nommés à la tête du HCRP l'ont été soit, sous
un régime d'exception (donc avec un Chef d'État militaire), soit
sous un régime civil, mais avec un Chef d'État militaire de
carrière. Il s'agit pour le premier cas du Lieutenant-Colonel Laouel
Chékou Koré et du Colonel Seyni Garba, respectivement
nommés par le Général Ibrahim Baré
Mainassara1 et le Commandant Daouda Malam Wanké. Pour le
second cas, il s'agit des Lieutenants-colonels Sofiani Amadou et Hamidou
Maigari, respectivement nommés par les présidents Ibrahim
Baré Mainassara et Mamadou Tandja.
Tableau n°2 : Liste des Haut Commissaires à
la Restauration de la Paix
Noms et prénoms
|
Période
|
Profession
|
Période de nomination
|
Maï Maigana
|
Du 14 janvier 1994 au 7 novembre 1995
|
Fonctionnaire à la retraite
|
3è République
|
Joseph Diatta2
|
Du 7 novembre 1995 au 8 mai 1996
|
Diplomate
|
3è République
|
Laouel Chékou Koré
|
Du 8 mai 1996 au 19 juin
1997
|
Offi cier des FAN
|
Conseil du Salut National
|
|
Sofiani Amadou
Du 19 juin 1997 au 19 juin 1998
|
Officier des FAN
|
4è République
|
|
Moustapha Tahi
Du 19 juin 1998 au 13 avril 1999
|
Diplomate
|
4è République
|
Seyni Garba
|
Du 13 avril 1999 au 30 janvier 2004
|
Officier des FAN
|
Conseil de Réconciliation Nationale
|
|
Hamidou Maigari
Du 30 janvier 2004 au 13 septembre 2005
|
Officier des FAN
|
5è République
|
|
Mohamed Anacko Depuis le 13 septembre
2005.
|
Ancien Chef de Front
|
5è République
|
|
Sources : Tableau établi par
nous à partir des décrets de nominations publiés dans le
Journal Officiel de la République (Archives
Nationales du Niger).
Des trois Haut commissaires civils1, seul
Moustapha Tahi a été nommé par un président
militaire de carrière, le Président Baré Mainassara. La
signification de ces données est de montrer
1 Le Général Baré avait renversé
le 27 janvier 1996 le régime de la 3è République suite
à l'instabilité institutionnelle provoquée par la
Cohabitation et mis en place un Conseil du Salut National (CSN) composé
d'officiers des FAN. Après une transition de six (6) mois, il se fit
élire Président de la République dans la cadre de la
4è République avant d'être assassiné le 9 avril 1999
par une junte militaire, le Conseil de Réconciliation Nationale (CRN),
dirigée par le Commandant Daouda Malam Wanké. Cette junte
organisa, après une transition de neuf (9) mois, des élections
générales à l'issue desquelles Mamadou Tandja, ancien
Colonel des FAN, fut élu Président de la 5è
République.
2 Joseph Diatta fut en fait nommé par décret
n°95-176 (bis)/PM du 7 novembre 1995 pour assurer l'intérim du Haut
Commissaire cumulativement avec ses fonctions de Secrétaire
Général du HCRP.
50
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
la perception militaire de la gestion post conflit par les
Chefs d'État issus de l'armée. Mais nos enquêtes nous ont
montré l'existence d'autres variables explicatives. Celles-ci tiennent
à des impératifs pragmatiques et à des facteurs
conjoncturels. La variable pragmatique se vérifie dans la mesure
où presque tous les Haut Commissaires, militaires et civils, ont eu une
expérience prouvée dans la gestion du problème de la
Rébellion. Les nominations n'obéissent donc à aucune
complaisance.
D'ailleurs, certains militaires n'avaient aucune relation
personnelle avec le Président qui les a nommés. C'est le cas de
Laouel Chekou Koré nommé par le président Baré. Cet
officier de la Gendarmerie Nationale s'était illustré, entre
autres, par son expertise dans l'enquête internationale
consécutive au crash d'avion dans lequel Mano Dayak avait trouvé
la mort en décembre 1995. C'est aussi le cas de Moustapha Tahi, ancien
Maire d'Agadez et président du Comité Régional
de Paix d'Agadez qui a joué un rôle notable dans la
conclusion de l'Accord Additionnel d'Alger entre le Gouvernement et la
coalition UFRA/FARS en 1997. Il fut également membre de la
Commission Ad hoc Chargée de Réfléchir sur le
Règlement Négocié de la Rébellion
sous la Transition en octobre 1992.
En deuxième lieu, la variable conjoncturelle explique
certaines nominations. C'est le cas de celle du Colonel Seyni Garba
(aujourd'hui Général) qui faisait suite au Coup d'Etat du
Commandant Daouda Mallam Wanké le 9 avril 1999. En poste à
l'Etat-major des FAN en qualité de Chef d'Etat-major en Second sous le
régime renversé, celui-ci devait être «
dégagé » pour deux raisons. D'abord, parce qu'il
n'était pas acteur dans le Coup d'Etat qui fut l'oeuvre de la Garde
Présidentielle ; ensuite, l'Officier que la junte nomma à la
tête de l'Etat-major (le Commandant Soumana Zanguina) était de
grade inférieur2.
Outre ces facteurs extérieurs au processus de paix, la
nomination de Seyni Garba, officier expérimenté et
respecté, était inspirée par les problèmes de
grades des ex-rebelles intégrés au sein des FAN. La nomination de
Mohamed Anacko, en remplacement du Lieutenant-colonel Hamidou Maïgari
était également due à des facteurs extérieurs au
processus de paix, du moins pour ce qui est du départ de ce dernier du
HCRP. Le lieutenant-colonel Hamidou Maigari devait partir en formation à
l'extérieur. Avant son départ, il fut nommé par le Chef de
l'Etat pour prendre la tête de la Garde Présidentielle.
L'arrivée de Mohamed Anacko au HCRP, ancien Chef de Front a
été la plus controversée3. Du côté
des ex-rebelles, cet acte fut interprété selon le camp où
se situent les différents acteurs.
Pour la faction UFRA dont il est le Président, il
s'agit là d'un geste positif et d'une marque de confiance pour les
Touaregs. Mais pour les autres factions, (notamment la CRA et l'ORA), cette
nomination a été perçue comme une faveur accordée
à une faction de la Rébellion au détriment des autres. Aux
yeux de certains citoyens nigériens, cet acte était dangereux
car, les ex-rebelles ne sont pas encore vus comme dignes de confiance au point
d'occuper des postes aussi stratégiques pour la sécurité
du pays.
1 Mohamed Anacko est un cas atypique, il n'est ni un civil
ordinaire, ni un militaire officiel. Il est un ancien chef de guerre, notamment
chef de la rébellion du FPLS et de la coalition UFRA. A sa nomination au
HCRP, il était Conseiller à la Présidence de la
République avec rang de ministre.
2 Voir Journal Officiel de la République du
Niger, Numéro Spécial n°6 du 13 avril 1999, p.
142.
3 Surtout que Hamidou Maigari avait proposé au Chef de
l'Etat pour le remplacer au HCRP, Mr Sani Gonda, Secrétaire
Général de l'Institution, en poste dans cette institution depuis
1994 où il a occupé aussi le poste de Directeur des Affaires
Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C).
51
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Cette suspicion s'est d'ailleurs renforcée depuis
l'avènement du MNJ avec la défection de certains ex-chefs
rebelles dont Rhissa Ag Boula du FLAA.1 En fait, la nomination de
Mohamed Anacko était une réponse implicite aux revendications des
ex-combattants qui ont fustigé lors du Forum d'Agadez en 2005 la «
marginalisation des ressortissants de la région d'Agade
»2 dans le Gouvernement. Un ex-responsable du
FPLS nous a confié que Mohamed Anacko a été proposé
à ce poste par la section MNSD Nassara d'Agadez, parti dans lequel il
milite, afin combler le vide créé par le limogeage de Rhissa Ag
Boula du Gouvernement en 2004.
Il faut dire que depuis la cérémonie
Flamme de la Paix en septembre 2000 à Agadez
qui a marqué la dissolution de tous les Fronts et Mouvement et leur
désarmement, les conditions d'une paix durable semblaient être
remplies. Ce qui pouvait donc justifier une administration civile au HCRP et
même un Haut Commissaire issu de la Rébellion. En
réalité, dans les débuts du processus de paix, les
questions militaires étaient centrales et nécessitaient une
administration militaire. Il s'agissait des questions liées au
désarmement, au cantonnement des combattants, au respect du
cessez-le-feu, etc. bref, toutes choses qui relèvent des
compétences militaires.
Cette alternance entre militaires et civils à la
tête du HCRP a été favorisée par l'impact de
l'institution militaire sur le processus. Il est ressorti de nos enquêtes
que les militaires affichent plus d'autorité et de rigueur dans
l'administration. Ils sont moins enclins à transiger sur des principes,
contrairement aux civils qui font montre de plus de souplesse. Et leur
qualité d'officier des FAN impose le respect (sinon la peur) ; et cela a
facilité les rapports avec non seulement le Chef de l'État, mais
aussi l'ensemble des administrations.
En somme, le HCRP en tant qu'institution permanente de
gestion post-conflit, fut considérablement influencée par la
logique institutionnelle militaire. Celle-ci confirme une fois de plus que
l'environnement institutionnel formel et informel constitue une variable
explicative suffisamment pertinente pour déterminer les situations
politiques. Ce « monde saturé d'institutions
» a également influencé largement les
mécanismes interministériels de gestion post-conflit.
|