Section II- Le souci des hommes d'affaires de
satisfaire et de
conserver leur clientèle
Pendant la période coloniale, des hommes d'affaires ont
investi dans le secteur de la presse dans le but d'informer les populations qui
vivaient dans le pays et de faire des profits. Ces promoteurs de journaux
n'appartenaient pas officiellement à l'un des partis politiques qui
occupaient l'espace public camerounais. C'est pour cela qu'il semble
intéressant également de voir pourquoi même ces journaux
qu'on aurait pu qualifier d'indépendant en raison de l'origine de leurs
capitaux ne publiaient pas les nouvelles liées aux revendications
d'indépendance. Cette section entend procéder tour à tour
à l'analyse des thèmes développés par les journaux
qui étaient édités par les hommes d'affaires (paragraphe
I) puis à l'interprétation de ladite analyse sous l'angle
historique (paragraphe II).
II-1-Les journaux édités par les hommes
d'affaires : des publications au contenu
cherchant à satisfaire une
clientèle d'origine française
En étudiant les thèmes développés
par les journaux édités au Cameroun par les hommes d'affaires, on
se rend compte que ces publications accordent leur priorité aux articles
qui sont liés aussi bien à la politique intérieure de la
France qu'aux activités de l'administration coloniale. En effet, ces
organes de presse accordent 34,7% de leurs articles aux faits
d'actualité liés à la politique intérieure de la
France c'est-à-dire ceux qui se déroulent sur le sol
français, soit un ensemble de 449 articles sur 1293publiés.
D'ailleurs la 4ème page du journal La presse du Cameroun
est réservée exclusivement aux articles
développés par le journal français France-Soir
qui traitent des faits d'actualité s'étant
déroulés en France. Pour ce qui est des faits d'actualité
s'étant déroulés au Cameroun, les activités de
l'administration coloniale occupent 24,5% de l'ensemble des articles
publiés soit 318 sur 1293 articles de presse. Ce qui amène
à dire que les sujets liés à la politique française
et aux activités de l'administration coloniale occupent à eux
seuls 59,2% de l'ensemble des articles de presse publiés par les organes
de presse appartenant aux hommes d'affaires soit 767 articles sur 1293. Or, que
ce soit l'actualité politique de la France ou même les
activités de l'administration coloniale, ces deux thèmes
intéressent au premier chef les Français vivant au Cameroun.
Cette prépondérance des articles concernant la
politique intérieure de la France et les activités de
l'administration coloniale laisse croire que les publications
éditées par les hommes d'affaires sont destinées non pas
à un lectorat hétérogène c'est-à-dire
constitué de l'ensemble des habitants du Cameroun, mais plutôt aux
Français qui vivent dans le pays en général et plus
particulièrement aux Cameroun. En effet, ces organes d'information, si
on s'en tient à leur contenu, consacrent leurs articles aux sujets qui
intéressent prioritairement les Français. Il s'agit des articles
de presse liés à la politique française et ceux concernant
les activités des autorités coloniales. Parmi les sujets
liés aux activités des autorités coloniales on a :
les différentes tournées qu'elles ont effectuées à
l'intérieur du pays, les textes administratifs signés par elles,
les visites des autorités françaises au Cameroun, les missions
des autorités françaises à l'ONU pour un compte rendu de
l'administration du Cameroun par la métropole, la nomination de
nouvelles autorités coloniales au Cameroun et les visites des
dirigeants de l'AEF au Cameroun. Les journaux fondés par les
hommes d'affaires ne publiaient pas les faits d'actualité liés
aux revendications d'indépendance ; seul le plaidoyer des
conseillers de l'ATCAM concernant l'amnistie des nationalistes qui avaient
été condamnés après les événements
sanglants de mai 1955 (qui ont abouti à la dissolution de l'UPC) sont
évoqués dans ces publications. Ce plaidoyer occupe 0,8% de
l'ensemble des articles.
La prédominance des faits liés à
l'actualité politique française et aux activités des
autorités coloniales laissent donc ressortir que ces journaux cherchent
à satisfaire une clientèle d'origine française. Ce contenu
indique que les clients des journaux édités par les hommes
d'affaires étaient des ressortissants français vivant au
Cameroun. Les Camerounais n'étaient donc pas concernés par ces
publications et comme l'indique Marc Joseph Omgba Etoundi (1982 :9)
parlant du lancement du journal La presse du Cameroun:
« le nouveau quotidien venait prendre la relève d'un
périodique paraissant deux fois par semaine, L'Éveil du Cameroun.
Comme son nom ne l'indique pas, celui-ci fût lancé et animé
par les colons pour la défense de leurs
intérêts. ». Ces organes de presse
édités par les hommes d'affaires étaient donc au service
de leur lectorat, composé essentiellement d'Européens en
général et de Français en particulier. Les thèmes
développés dans les colonnes de ces publications indiquent
à suffisance leur souci de ne satisfaire qu'un lectorat constitué
de colons vivant dans le territoire camerounais et pour Israël
Léonard Sah (1974 :113), présentant L'Éveil du
Cameroun: « il leur servait en outre de bulletin de liaison
à travers le territoire. Les populations camerounaises ne se sentaient
donc en rien concernées par cette publication au service des
colons. ».
L'analyse des thèmes qui se dégagent de ces
journaux publiés au Cameroun par les hommes d'affaires à
l'ère des revendications indépendantiste indique donc que ces
organes de presse étaient destinés aux Français vivant au
Cameroun. Ceux-ci étaient les principaux clients de ces publications et
le contenu indique une prédominance des thèmes liés
à la politique française et aux activités de
l'administration coloniale parce que les promoteurs de ces supports
d'information voulaient satisfaire leurs clients qui étaient les
Français vivant au Cameroun.
|